Politique

Algérie-France : une crise d’une ampleur inédite

Enième crise entre l’Algérie et la France. Cette fois, elle est d’une ampleur inédite. Les choses sont allées trop loin du côté français avec des déclarations au vitriol du président Emmanuel Macron.

Des propos inédits, en tout cas jamais entendus à ce niveau de responsabilité. Pour brûler ses vaisseaux et fermer la porte à toute possibilité de réconciliation, on ne s’y prendrait pas autrement.

| Lire aussi : L’Algérie va revoir ses relations économiques avec la France (sources)

Emmanuel Macron s’est interrogé sur l’existence même de la nation algérienne avant la colonisation française, a rappelé aux Algériens qu’ils ont toujours été colonisés, qualifié les dirigeants du pays de système politico-militaire qui vit de la « rente mémorielle » et contre lequel, a-t-il insinué, le président Abdelmadjid Tebboune serait impuissant.

Ce discours surréaliste intervenait seulement deux jours après l’annonce officielle par le gouvernement français de sa décision de réduire drastiquement le quota de visas accordés aux citoyens des pays du Maghreb, les Algériens en tête.

Dans les propos qu’il a tenus jeudi 30 septembre devant des étudiants descendants d’acteurs de la guerre d’Algérie et qui ont été rapportés par le journal Le Monde, Emmanuel Macron a confirmé ce que beaucoup soupçonnaient déjà, à savoir que la restriction ciblera en premier les dirigeants algériens.

Comment en est-on arrivés là, à quelques mois de la fin du mandat d’un président qui, quoi que l’on dise, a fait avancer le dossier de la mémoire et s’est toujours montré prudent quand il s’agit d’évoquer l’Algérie et sa situation interne ?

Depuis l’élection du président Tebboune en septembre 2019, c’est carrément la lune de miel entre les deux chefs d’État. « C’est quelqu’un (Emmanuel Macro) de très honnête qui veut apaiser la situation, qui veut servir bien sûr son pays la France et en même temps, permettre à nos relations de retrouver leur niveau naturel », disait Tebboune en avril 2020 de son homologue français.

« Je vous le dis franchement : je ferai tout ce qui est en mon possible pour aider le président Tebboune dans cette période de transition. Il est courageux », estimait de son côté M. Macron en novembre de la même année.

 Un timing qui soulève des interrogations

Ce genre d’échanges entre les deux présidents était fréquent, faisant presque oublier les lourds contentieux qui s’accumulaient entre les deux pays.

Pendant ces deux années, seul celui de la mémoire était évoqué publiquement avec une volonté exprimée de part et d’autre d’aller de l’avant et même des actions concrètes.

C’est pendant cette période que les crânes de résistant algériens, conservés dans un musée parisien depuis un siècle et demi, ont été restitués, qu’un travail commun a été lancé concernant la question des archives, que la France a reconnu officiellement sa responsabilité dans la torture pratiquée pendant la guerre d’Algérie et dans la mort des résistants Maurice Audin et Ali Boumendjel.

Emmanuel Macron a surtout franchi le pas de qualifier le colonialisme de « crime contre l’humanité ». Pour un pays qui, en 2005, avait adopté une loi glorifiant le colonialisme, c’était un grand pas en avant.

Le reste des dossiers qui fâchent relevait presque du tabou. On en parlait peu, du moins comparativement à cette question de la mémoire.

Depuis le déclenchement du Hirak et la démission du président Bouteflika en avril 2019, la France a vu son influence économique en Algérie se réduire chaque mois davantage.

De nombreuses entreprises françaises ont quitté le pays, certaines ont vu leur contrat de gestion non renouvelé (Suez, RATP…), avec, dans beaucoup de cas, un contentieux financier qui attend toujours d’être réglé.

Parallèlement, l’Algérie, grand importateur de blé français, s’est mise à diversifier ses sources d’approvisionnement en optant notamment pour des fournisseurs russes.

Il y avait aussi cette question des visas et des laissez-passer consulaires pour les Algériens établis illégalement dans l’Hexagone, la présence militaire française au Mali et le rôle attendu de l’Algérie, le soutien de la France au Maroc dans le dossier du Sahara occidental, la situation politique interne de l’Algérie…

La crise actuelle, l’une des plus graves entre les deux pays depuis 1962, sinon la plus retentissante, est l’aboutissement logique de cette accumulation de litiges et de contentieux peut-être pas suffisamment pris en charge.

Cela dit, le timing fait clairement peser sur le président Macron des soupçons de calcul électoraliste. Il est difficile d’expliquer autrement que le vase déborde subitement à sept mois de la présidentielle française à laquelle l’extrême droite semble avoir réussi à imposer ses thèmes de débat.

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