Une tribune de l’ancien ambassadeur de France en Algérie, Xavier Driencourt, publiée dans le Figaro, suscite polémique et interrogations. Par son contenu, le texte constitue une autre épreuve pour la relation entre Alger et Paris.
Xavier Driencourt a été ambassadeur de France en Algérie à deux reprises, entre 2008 et 2012, puis de 2017 à 2020.
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Sa mise à la retraite l’a libéré du devoir de réserve et il s’exprime régulièrement tant sur la situation interne de l’Algérie, que sur la relation de celle-ci avec son pays.
« Effondrement de l’Algérie »
Mais dans sa dernière tribune, Xavier Driencourt n’a pas fait que rompre avec le langage mesuré et prudent de la diplomatie. En prophétisant sur l’ « effondrement » de l’Algérie, il est allé loin autant dans l’analyse que par la rhétorique.
Si la présidence de la République et le ministère des Affaires étrangères algériens n’ont pas réagi officiellement, plusieurs réactions ont été suscitées chez certaines personnalités et médias.
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La réplique de Salah Goudjil, président du Conseil de la nation, peut même s’apparenter à une réaction officielle de l’Algérie vu la qualité de deuxième personnage de l’Etat que lui confère sa fonction de président du Sénat. Elle a été du reste reprise par l’agence officielle APS.
Goudjil a dénoncé les « porte-voix des résidus de la colonisation française » dans sa réponse « aux déclarations faites par l’un de ceux qui ont exercé des responsabilités représentatives et diplomatiques de leur pays en Algérie ».
« Ces porte-voix sont toujours nostalgiques de leur sinistre passé et tentent désespérément de nous donner des leçons, en remettant en cause les démarches entreprises par l’Algérie », a ajouté le président du conseil de la nation.
Dans sa tribune, Xavier Driencourt a mis en garde que l’Algérie risque d’entraîner la France dans son « effondrement », faisant le parallèle avec la chute de la IVe République à Alger en 1958.
Dans sa réaction, Salah Goudjil a rappelé la lutte et le combat du peuple algérien qui « a contribué au cours de sa glorieuse Révolution au renversement de six gouvernements des autorités coloniales et à la chute de la IVe République ».
« L’Algérie distingue entre les résidus de la colonisation et le peuple français »
Néanmoins, indique Goudjil, « l’Algérie qui a fait par le passé la distinction entre la colonisation française et le peuple français, fait aujourd’hui la distinction entre les résidus de la colonisation et le peuple français, partant de sa foi ferme et inébranlable ».
L’autre réaction notable est venue de Abdelaziz Rahabi, ancien ministre et ex-ambassadeur d’Algérie en Espagne. Dans une tribune publiée sur TSA ce mardi, il l’accuse de réactiver le « discours sur la supposée menace que représente l’Algérie et les algériens pour la stabilité de l’Occident ».
Abdelaziz Rahabi estime que cette tribune est « une parfaite reproduction des analyses de cercles plus au moins officieux des années quatre-vingt-dix qui prédisaient avec une insistance répétée un effondrement de l’Algérie ».
Abdelouahab Benzaim, ancien sénateur FLN, a adressé un message à Xavier Driencourt pour lui rappeler le passé colonial « peu honorable » de la France en Algérie. « Il ne faut pas oublier, et avant de parler du présent, nous vous rappelons une partie du passé qui n’est pas honorable et qui a été l’œuvre de vos ancêtres », écrit l’ancien sénateur dans un texte publié sur les réseaux sociaux.
S’adressant à la France, Benzaim assène : « Vous êtes la cause des malheurs, des problèmes et des maladies dont vous prétendez que nous souffrons». Benzaim a rappelé aussi le « lourd tribut par les émigrés algériens partis travailler dans des conditions difficiles en France ».
Xavier Driencourt « a plus dévoilé sa véritable nature et ce qu’il pense des Algériens et de l’Algérie que développé une analyse objective de la situation actuelle du pays », écrit le quotidien El Watan dans un commentaire.
« Provocation flagrante », titre pour sa part le quotidien arabophone El Khabar en une de son édition de ce mardi, estimant que « Xavier Driencourt a perdu la boussole ».
Algérie – France : réchauffement des relations
Dans sa tribune, Xavier Driencourt a accablé le pouvoir algérien de tous les maux possibles : « système militaire », « brutal », « formé aux méthodes de l’ex-URSS », « affairiste », « obsédé par le maintien de ses privilèges et de sa rente », « indifférent aux difficultés du peuple algérien »…
Il a écrit « 45 millions d’Algériens n’ont qu’une obsession, partir et fuir » et que « à ce rythme-là, peu de gens resteront en Algérie ».
Cette tribune, qui est aussi un réquisitoire à l’égard de la politique algérienne d’Emmanuel Macron à qui il reproche d’avoir fait des concessions à Alger sur la mémoire et les visas, même si, paradoxalement, il lui rend hommage pour ses déclarations faites en septembre 2021, survient dans un contexte de reprises des relations entre l’Algérie et la France.
« Notre aveuglement est une erreur historique: croire à Paris qu’en allant à Alger, en cédant aux Algériens sur les dossiers qui leurs sont chers, mémoire et visas, nous les gagnerons à notre cause et les amènerons vers plus de coopération est un leurre », estime Xavier Driencourt qui prédit une nouvelle crise entre les deux pays : « A l’aube d’une élection présidentielle algérienne, 2024 verra inéluctablement une nouvelle crise tant le discours anti-français est le levain d’une campagne électorale réussie. »
Après plusieurs mois d’une grave brouille provoquée justement par les propos controversés du président français à l’égard de l’Algérie, les relations entre les deux pays se sont mises à se réchauffer.
Emmanuel Macron a effectué en août une visite en Algérie qualifiée de « très réussie », suivie quelques semaines plus tard d’un déplacement de sa Première ministre Elisabeth Borne, accompagnée quasiment de la moitié de son gouvernement.
Fin décembre, le président Abdelmadjid Tebboune a annoncé dans une interview au Figaro qu’il effectuera une visite en France au courant de l’année 2023, réaffirmant la « complicité » et l’ « amitié réciproque » qu’il entretient avec son homologue français.
La tribune rappelle combien la relation franco-algérienne, pour être complexe et particulière, est sujette à des épreuves en tout genre.