Alors que l’Espagne ambitionnait de devenir le hub gazier de l’Europe, c’est l’Italie qui se voit offrir cette opportunité grâce à ses relations historiques avec l’Algérie et le chamboulement de la carte énergétique mondiale par la guerre en Ukraine.
Historiquement premier fournisseur en Gaz de l’Espagne, à laquelle elle est reliée par deux gazoducs, le Medgaz et le GME, l’Algérie a perdu cette position début 2020 au profit des Etats-Unis.
Dans leur stratégie de développement, les Espagnols ont opté pour la diversification des sources et des moyens d’approvisionnement. La position du pays, à la fois sur l’Atlantique et la Méditerranée, fait de lui une porte d’entrée vers l’Europe pour le gaz d’Afrique du nord transporté par gazoducs et le GNL américain acheminé par méthaniers.
Ses grandes capacités de regazéification devaient permettre à terme d’acheminer le gaz américain jusqu’au cœur de l’Europe, notamment vers l’Allemagne en passant par la France.
Mais deux événements survenus dans les premiers mois de cette année 2022 ont tout chamboulé. L’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février dernier a rappelé à l’Europe sa vulnérabilité en étant dépendante dans une très large mesure des hydrocarbures russes et c’est tout l’Occident qui s’est mis à la recherche d’alternatives.
Le 18 mars, le gouvernement espagnol a commis une imprudence restée à ce jour inexpliquée en annonçant son appui au plan marocain d’autonomie pour le Sahara occidental, non sans savoir qu’un tel revirement ne plaira pas à Alger.
Avant cette date, l’Algérie était très déjà sollicitée pour fournir plus de gaz, y compris par l’Espagne qui s’inquiétait pour ses approvisionnements depuis novembre 2021 suite à la décision de l’Algérie de fermer le GME (gazoduc Maghreb-Europe) qui traverse le Maroc suite à la rupture des relations diplomatiques avec ce pays en août.
Leur nouvelle position de force n’a pas échappé aux autorités algériennes qui ont décidé de faire du gaz un levier de pression diplomatique. A Alger, on n’est pas sans connaître les ambitions de l’Espagne.
Dès le 25 mars, une source officielle algérienne a prévenu dans une déclaration à un journal espagnol (El Confidencial) que l’Algérie « modulera ses relations en direction de certains partenaires de l’Europe du sud qui ont investi en Algérie et qui entretiennent d’excellentes relations traditionnelles avec notre pays », citant précisément l’Italie comme un pays qualifié « pour devenir le hub gazier dans la région eu égard à la capacité du gazoduc Enrico Mattei et à la demande et la disponibilité affichées par les opérateurs de ce pays ami ».
Le 11 avril, c’est le premier passage à l’acte avec la signature à Alger d’un accord entre les compagnies Sonatrach et ENI, en présence du Premier ministre italien Mario Draghi, pour l’augmentation des flux gaziers de 9 milliards de mètres cubes supplémentaires d’ici 2023-2024.
Le 18 juillet, un autre accord est signé impliquant cette fois, outre la compagnie italienne, l’Américain Occidental et le Français Total Energies.
D’un montant de 4 milliards de dollars, l’accord porte sur le développement du périmètre de Berkine (Hassi Messaoud) et « permettra d’alimenter l’Italie en très grandes quantités de gaz naturel », selon le président de la République Abbdelmadjid Tebboune.
Mario Draghi était de nouveau présent, venu assister par ailleurs au sommet des gouvernements algérien et italien, pour ce qui semble être sa dernière mission avant sa démission.
Les deux pays, aux relations historiques distinguées, ont décidé de faire du gaz un tremplin vers une coopération plus large et, surtout, vers une relation stratégique. Cette visite « se veut un pas de plus vers l’établissement de relations stratégiques », a indiqué le président algérien à l’issue de sa rencontre avec le président du conseil italien.
En attendant le gaz du Nigeria
D’ici à la fin de l’année, six milliards de mètres cubes supplémentaires seront pompés vers l’Italie et l’augmentation sera encore plus conséquente avec l’accord qui vient d’être signé.
L’Algérie se retrouve de facto premier fournisseur de l’Italie en gaz, faisant de ce pays, qui importait pourtant 40% de son gaz de Russie avant la guerre en Ukraine, l’Etat européen qui a le moins de soucis pour son approvisionnement.
Avec l’Espagne, les relations n’ont pas cessé de se dégrader depuis le 18 mars. Le 8 juin, l’Algérie a annoncé la suspension du traité d’amitié, de bon voisinage et de coopération signé par les deux pays en 2022, une suspension suivie de celle des transactions commerciales.
Pendant le même mois, la Russie est devenue deuxième fournisseur de l’Espagne en gaz, derrière les Etats-Unis, reléguant l’Algérie à la troisième place.
Déjà très critiqué en interne pour avoir pris seul l’initiative de s’aligner sur les thèses marocaines et avoir mis en péril les relations avec un partenaire important, le gouvernement de Pedro Sanchez l’est encore plus avec cette succession d’accord conclus par les Italiens dans le secteur énergétique algérien.
« Avec cet accord, l’Italie devient le grand hub énergétique de l’Europe, un rôle que notre pays aurait pu jouer si les relations diplomatiques étaient maintenues normalement », regrette le journal The Objective.
« Il (l’accord) fait du pays transalpin un partenaire privilégié du Maghreb. Non seulement sur les questions énergétiques, mais aussi sur la question sahraouie, dans laquelle les deux puissances ont convenu de soutenir un référendum d’autodétermination pour résoudre le conflit », ajoute le journal.
L’Italie pourra même devenir un hub géant lorsque va arriver le gaz du Nigeria qui vient de relancer avec le Niger le mégaprojet du gazoduc transsaharien. Et la position de l’Algérie s’en trouverait encore plus renforcée. Une telle carte énergétique, personne ne l’a vue venir. La guerre en Ukraine mais aussi l’entente algéro-italienne chamboulent tout.
Pour l’Algérie, les dividendes de la nouvelle conjoncture ne se comptent pas. Outre le fait de disposer d’un partenaire stratégique dans le Sud de l’Europe, de la taille de l’Italie, elle voit déjà ses difficultés à attirer les investissements étrangers commencer à prendre fin.
Avec la crise ukrainienne, les Européens regrettent tous les investissements qu’ils ont refusé de consentir dans le secteur pétrolier algérien. Les observateurs s’attendent à voir les investissements continuer à affluer et le partenariat avec l’Italie s’intensifier. Avec toutefois le risque, mettent-ils en garde, de mettre tous les œufs dans le même panier en dépendant d’un seul client.