Sur quoi débouchera le mouvement de contestation du cinquième mandat ? Le renoncement de Bouteflika à sa candidature, le départ de son cercle proche, le démantèlement du système, une véritable démocratie ?
Peu importe, l’essentiel est déjà là. La nation algérienne est en train de renaître et les Algériens ont recouvré leur dignité bafouée des décennies durant. Leur deuxième révolution n’a pas encore abouti qu’elle émerveille déjà le monde.
Comme celle de 1954 qui a montré la voie de la décolonisation aux peuples opprimés d’Afrique et d’ailleurs. Avec la gaieté et le pacifisme en plus. Des millions de citoyens dans les rues, des jeunes et moins jeunes, beaucoup de femmes, d’enfants, et même des bébés, des chants, de la joie, des slogans, mais pas le moindre incident. Pas une insulte n’a été proférée ni une pierre lancée sur les forces de l’ordre. Pas de violence, mais beaucoup de détermination.
Le monde n’en revient pas. C’est donc bien ça le peuple algérien affublé de tous les clichés réducteurs, incapable de s’exprimer que par la violence ou de se soulever pour autre chose que le pain, un peuple constitué d’un conglomérat de tribus qui s’entredéchirent, un peuple arriéré, soumis. En trois semaines, c’est six décennies de préjugés, de contre-vérités et de littérature trompeuse qui ont volé en éclats.
Une nouvelle ère a commencé quelle que ce sera, encore une fois, l’issue du mouvement populaire. « Pour les Algériennes et Algériens, c’est un acte de courage que de descendre dans la rue, après tout ce qu’ils ont vécu. En France, on n’est pas largement aussi courageux que le sont les Algériens, on ferait bien de s’en inspirer. Ce mouvement est maître de lui-même, il a une vocation extrêmement pacifique et les forces de l’ordre ont un comportement plus mesuré et plus proportionné que les violences auxquelles nous assistons en France ». C’est un responsable politique français qui parle ainsi au soir du troisième vendredi de colère saine en Algérie. Jean-Luc Mélenchon ne demande pas moins à ses compatriotes que de s’inspirer des Algériens. Le sentiment du leader de la France Insoumise est sans doute partagé dans son pays et ailleurs.
Le peuple algérien, réduit à s’inspirer en toute chose de ce qui se faisait outre-mer, en occident précisément, fait maintenant la leçon à ce même occident en matière de lutte pour la démocratie, de civisme, de pacifisme, de valeurs, de courage.
C’est l’acte I de la révolution joyeuse. Il faut dire que les jeunes et les femmes qui battent le pavé depuis maintenant près de trois semaines ont fait taire les sceptiques, à commencer par le pouvoir qu’ils contestent avec force et ses soutiens.
Plus personne n’ose parler de la fameuse main étrangère, évoquée dès que le peuple réclame un droit, de manipulation ou d’égarement. Quand les porte-voix du pouvoir ne se taisent pas, ils saluent le civisme des manifestants.
Bouteflika lui-même en arrive à soutenir presque les manifestations. « Nous nous félicitons de cette maturité de nos concitoyens, y compris de nos jeunes, et du fait que le pluralisme démocratique, pour lequel nous avons tant milité, soit désormais une réalité palpable », déclarait-il à la veille du troisième vendredi. Non, Bouteflika, qui s’accroche au pouvoir en dépit du bon sens, ne soutient pas les manifestations. C’est juste que les jeunes ne lui aient laissé aucun argument.
Le chaos syrien promis en chœur n’aura pas lieu, c’est maintenant certain, pas plus que l’intervention étrangère et tous les épouvantails brandis par le système pour garantir sa survie. La révolte de la jeunesse est d’autant plus méritoire qu’elle est spontanée, sans tutelle partisane et qu’elle intervient après des décennies de fermeture, d’oppression, de sevrage culturel, de peur. Tel un ressort longtemps compressé, la société algérienne relâche, subitement mais sans brusquerie, l’énergie potentielle emmagasinée. Le monde bouillonnant qui l’entoure ne pouvait que s’en extasier.