Économie

Algérie : les enjeux de la décision sur la production de maïs

L’Algérie doit-elle nourrir en priorité les poules ou les vaches ? La question divise. Certains investisseurs agricoles installés dans le Sud du pays affichent leurs inquiétudes sur les réseaux sociaux après la décision du Conseil des ministres d’accorder la priorité au maïs grain aux dépens du maïs ensilage.

Une décision qui vise la réduction des importations de maïs. Problème, nombreux sont ceux qui ont investi dans la production très lucrative du maïs ensilage destiné aux vaches laitières.

Dans le Sud de l’Algérie, c’est l’Office national des aliments du bétail (ONAB) qui est chargé de promouvoir la culture du maïs grain à travers la signature de contrats avec les investisseurs disposant de pivots d’irrigation.

D’abord payé 4.500 DA le quintal, ce prix est passé à 5.000 DA à partir de 2021, pour encourager les investisseurs à semer du maïs.

Les premiers essais ont été concluants même si l’ONAB a parfois été montré du doigt pour des retards de paiement. La masse de feuillage produit par le maïs dans un environnement désertique a également intéressé les éleveurs.

Les essais de récolte de maïs comme fourrage vert ont montré tout son intérêt en élevage. En 2011, à Hassi Ghaneme (Menia), un des premiers à récolter du maïs vert à grande échelle en utilisant la technique de l’ensilage est Mahmoud Hedjadj.

Il a pour cela utilisé du matériel d’origine autrichienne présent au Salon de l’Agriculture Sispa d’Alger. Un matériel qui permet de tasser mécaniquement et d’enrubanner à l’aide d’un film plastique le maïs sous forme de balles rondes après que les tiges auparavant récoltées aient été hachées par une ensileuse.

Le maïs détourné pour alimenter les vaches laitières

Le succès a été immédiat, notamment auprès des éleveurs de vaches laitières. Rapidement, la région de Ghardaïa toute proche s’est transformée en un pôle laitier et dès 2017, on comptait plusieurs laiteries.

La production abondante de lait a permis à des industriels la mise sur le marché de lait, mais également de produits laitiers à des prix non réglementés (yaourt, lait fermenté, fromages, desserts glacés…).

Le maïs, un sujet que Rabah Ouled Heddar de la chambre d’agriculture d’El Menia connaît bien. Suite à la décision de privilégier le maïs grain, il livre sur les réseaux sociaux un état de la filière maïs et indique qu’aujourd’hui la région compte 25 opérateurs spécialisés dans la récolte du maïs ensilage.

Aux combinés de presse et enrubannage de la marque Göweil d’origine autrichienne, dont le prix est de 140 millions DA, sont venus s’ajouter ceux plus accessibles du constructeur turc Komsilaj Makine.

Cette mécanisation des opérations de récolte avec conditionnement sous forme de balles rondes d’une tonne constitue une véritable révolution technique.

Elle a permis de réduire les coûts de commercialisation en masse de ces balles rondes. Alors que le maïs grain est acheté au prix de 5.000 DA le quintal, celui de la tonne de maïs ensilage se négocie autour de 14.500 DA et les transporteurs la revendent aux éleveurs 18.000 DA.

À partir de 2011, les localités de Hassi-Ghaneme, Menia, Hassi El-Gara et Hassi-Lefhal particulièrement bien pourvues en ressources hydriques, se sont spécialisées dans cette production destinée à nourrir les vaches laitières.

Les balles rondes sont chargées sur des camions semi-remorques qui remontent vers les élevages du Nord. C’est le cas de la coopérative Vallée Soummam Sidi Aïch à l’Ouest de Béjaïa qui informe régulièrement ses adhérents de nouveaux arrivages. Ce fourrage venu du Sud est une bénédiction pour les petites exploitations laitières aux surfaces fourragères réduites.

Les acheteurs sont légion et ces dernières années, ils viennent de toutes les wilayas d’Algérie pour s’approvisionner en maïs ensilage produit à Menia. Le succès est tel que les investisseurs ont même demandé l’autorisation d’exporter ces balles rondes.

Rabah Ouled Heddar fait remarquer qu’« importer cette substance est presque impossible et aucun pays ne la produit, surtout après la guerre au Soudan. Les pays du Golfe ont de grandes difficultés à fournir cette substance et recherchent des projets de partenariat en Égypte, en Libye et en Algérie ». Une autorisation d’exportation cependant refusée.

La récolte du maïs sous forme d’ensilage a fait école en Algérie. C’est le cas à Naâma où depuis 2014, il est cultivé grâce à des kits d’aspersion.

À ses débuts et en absence de matériel pour la mise sous forme de balles rondes, Larbi Lahmar, un agriculteur, confiait à Ennahar TV qu’il employait dans la cour de sa ferme une vingtaine d’ouvriers employés au conditionnement manuel du fourrage dans des sacs en plastique de 50 kg.

Dans cette région d’élevage ovin touchée par la sécheresse, il indiquait que ce nouveau fourrage était surtout destiné à l’élevage du mouton. Depuis, Larbi Lahmar s’est équipé d’une enrubanneuse de petite dimension et ne tarit pas d’éloge quant à l’intérêt du maïs ensilage.

Cette forte demande pour le maïs ensilage s’est faite au détriment de la production du maïs en grain en Algérie.

En 2021, Youcef Mosbah, le directeur des services agricoles de la wilaya de Menia, confiait à l’agence APS que la production locale de maïs ensilage atteignait 150.000 tonnes contre 13.000 pour le maïs grain.

Même situation à Adrar, où en 2022, près de 88.000 quintaux de maïs grain ont été récoltés contre plus de 600.000 quintaux en maïs ensilage.

En 2020, pour la wilaya d’Ouargla, le quotidien L’Expression titrait « Le maïs de Ouargla gagne du terrain », en fait, cela concernait les superficies de maïs ensilage qui atteignait près de 600 hectares contre 60 l’année précédente.

Le maïs ensilage plus rentable pour les investisseurs

L’explication de ce succès réside dans le produit brut réalisé par les investisseurs. À raison de rendements moyens en maïs ensilage de 37 tonnes contre 5 tonnes en grain, selon Rabah Ouled Heddar, le produit financier est de 250.000 DA par hectare contre 536.500 DA en maïs ensilage.

Et cela, en 80 à 90 jours avec 6.000 m³ d’eau par hectare contre 130 à 150 jours pour le maïs grain avec 6.000 à 8.000 m³ d’eau par hectare.

En 2021, l’agence APS rappelait les objectifs du ministère de l’Agriculture tracés pour 2024 : « Le secteur œuvre à cultiver le maïs sur 18.000 ha, en vue de produire 88.000 tonnes en 2021, ce qui réduira la facture de son importation d’un taux de 2 % ».

À l’occasion, il a rappelé que « les besoins nationaux se chiffrent, selon l’exposé du ministre, à 4,5 millions de tonnes (par an), représentant un montant de près de 900 millions de dollars ».

Un montant qui place l’Algérie parmi les 20 plus grands importateurs mondiaux de maïs grain.

La décision de produire localement cette céréale va permettre d’économiser annuellement près d’un milliard de dollars, de réduire la dépendance de l’Algérie vis-à-vis de l’étranger, maîtriser la chaîne de production de la volaille et de stabiliser les prix du poulet qui a atteint en 2023 des records à 600 dinars le kilo.

Produire en Algérie les besoins en maïs grain nécessiterait la mise en culture de 900.000 hectares.

Un maïs indispensable à l’élevage de poulets de chair qui permet de produire une viande à la portée des ménages à faible revenu.

Entre utilisation du maïs sous forme de grains en élevage avicole ou sous forme d’ensilage pour la production de lait et de viande rouge, le Conseil des ministres a tranché dimanche dernier en faveur du premier.

La réduction de la facture annuelle consacrée à l’importation de maïs a certainement pesé lourd dans la balance, d’autant plus que ce maïs grain contribue à la fourniture d’une viande blanche bon marché.

Un modèle agricole à revoir

Reste à trouver des alternatives pour les investisseurs et opérateurs ayant investi dans la production d’ensilage de maïs. La solution pourrait passer par la culture du sorgho, dont la récolte reste très proche du maïs ensilage, voire dans l’incorporation d’orge et de triticale dans les rations des poulets de chair et de poules pondeuses.

Cette décision de privilégier la culture du maïs grain illustre les défis posés au secteur agricole algérien.

Malgré les progrès de ces dernières années, la totalité ou une grande partie du blé, des oléagineux, de la canne à sucre et de la poudre de lait proviennent de l’étranger.

En 1980, une étude prospective sur l’agriculture algérienne à l’horizon 2000 avait testé différents scénarios.

Il apparaissait alors que seule une plus grande importance donnée aux protéines végétales par rapport aux protéines animales, c’est-à-dire l’élevage, permettait la réduction des importations. En 2024, il semble que le débat reste ouvert.

SUR LE MÊME SUJET : 

Le Qatar va produire du blé dur dans le Sahara algérien

Les plus lus