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Algérie : les Italiens à la rescousse du couscous local

Algérie : les Italiens à la rescousse du couscous local

En Algérie, le couscous est plus qu’un simple plat, c’est le plat national. Ces dernières années la consommation de couscous et de pâtes alimentaires n’ont cessé de croître faisant du blé dur un produit stratégique pour le pays.

Pour sécuriser et améliorer la production de blé dur, l’Algérie mise sur un partenariat avec l’Italie. Qui de mieux que des Italiens pour cultiver du blé destiné à la confection de pâtes et de couscous. Un savoir-faire dont compte profiter la partie algérienne.

Les deux parties ont vu grand. Le projet verra le jour sur une concession de 36.000 hectares à Timimoun à 1200 km au sud-ouest d’Alger dans une région aride dont le sous-sol regorge d’eau.

C’est la société italienne Bonifiche Ferraresi (BF) dirigée par l’administrateur Federico Vecchioni qui représente la partie italienne. Cette entreprise a fait ses preuves, elle dispose de plusieurs milliers d’hectares de culture de blé dur en Italie, de moulins et d’usines de pâtes commercialisées sous la marque Stagioni d’Italia.

En Algérie, l’agriculture locale devrait assurer cette année 80 % des besoins locaux en blé dur, selon le ministère de l’Agriculture. Et selon le Département américain de l’Agriculture, la production algérienne de blé devrait atteindre 3 millions de tonnes pour la campagne 2023-2024, en hausse de 11 % par rapport à la saison précédente.

Les autorités algériennes prévoient une production plus élevée de 4 millions de tonnes de blé en 2024.

L’Algérie cultive traditionnellement du blé dans les régions du nord, mais elle a investi massivement dans la production de cette céréale dans le Sahara afin d’assurer sa sécurité alimentaire.

Le projet de l’Italien BF pourrait permettre à l’Algérie d’être totalement auto-suffisante en blé dur et ainsi sécuriser l’approvisionnement en couscous, voire d’en exporter.

Une usine de pâtes alimentaires devrait être installée à Timimoun et 40 % de la production devrait être exportée notamment vers l’Italie, pays où la production locale de blé dur ne suffit plus à fournir le marché local.

Avec 25 kg de pâtes consommées par personne, contre 8 en Algérie, les Italiens ont besoin de 3,5 millions de tonnes de pâtes par an.

En Italie, la production locale n’arrive plus à assurer ces besoins. Plus grave, en mars 2024, l’Union Européenne a décidé d’instaurer une taxe sur l’importation de blé russe auparavant largement importé.

Selon Arthur Portier, consultant spécialisé, cette mesure devrait impacter la filière blé dur en Italie : « C’est-à-dire la matière première utile pour fabriquer les pâtes. Et c’est principalement l’Italie qui est importateur de cette matière première ». C’est ce qui explique que l’Italie recherche de nouvelles sources d’approvisionnement en blé dur.

Comme pour le gaz, elle s’est tournée vers l’Algérie qui à son tour recherche des partenaires étrangers pour développer la production de céréales afin de réduire les importations qui représentent chaque année un volume de 14 millions de tonnes dont 8 tonnes de blé.

Blé dur : l’Algérie à la rescousse de l’Italie

Actuellement, avec près de 130 millions de tonnes par an, l’Italie figure parmi les principaux acheteurs de blé dur en provenance du Kazakhstan. Afin de sécuriser ses approvisionnements, BF et un groupe kazakh ont signé fin janvier un protocole d’accord visant à la production de blé et de pâtes alimentaires au Kazakhstan.

Traditionnellement en Algérie, ce sont des variétés locales qui étaient cultivées ; des variétés à faible rendement mais aux qualités exceptionnelles. La variété algérienne Hedba 3 est par exemple la star pour certains paysans-boulangers français qui cultivent des « blés anciens » et font eux même du pain qu’ils commercialisent sur les marchés.

Dans les années 1970, avec l’augmentation de la population, les services agricoles algériens se sont tournés vers les variétés à haut rendement originaires du Mexique.

Cependant, la qualité n’était pas toujours au rendez-vous. À l’époque, une consommatrice témoignait dans le quotidien El Moudjahid que lorsqu’elle pétrissait de la pâte, elle se demandait si c’était de la semoule ou de la farine.

Réussir la culture du blé dur nécessite des apports d’engrais conséquents. En absence d’azote, les grains de blé n’ont pas la belle couleur de l’ambre ; à la place, une couleur terne blanchâtre. Les grains donneront alors plus de farine que de semoule qui sert à fabriquer le couscous et les pâtes alimentaires.

Des professionnels locaux disent que les grains sont mitadinés et se plaignent que pour obtenir un quintal de semoule dans leur moulin, ils doivent parfois utiliser jusqu’à deux quintaux de blé.

Blé dur : les retards de la filière algérienne

Sans apport suffisant d’engrais azotés, la semoule produite présente un autre défaut, elle donnera des pâtes qui ne tiennent pas à la cuisson.

Le problème est tel que dans les années 2010, des propriétaires de moulins privés préféraient travailler des blés d’importation que des blés produits localement.

A cette époque, les silos encore alors plein à l’orée d’une nouvelle récolte avait amené le ministre de l’Agriculture à sermonner ces professionnels. En 2010, lors d’une rencontre entre professionnels l’un d’eux déclarait dans la presse locale : « On m’a obligé d’accepter du blé mitadiné à 80 % ».

À l’époque, Laïd Benamor, alors représentant de la filière céréales confiait à Maghreb Emergent : « On va proposer à l’OAIC de mettre à jour le barème de bonification ! C’est une loi qui a été promulguée en 1990. C’est un peu dépassé. C’est pour encourager les gens qui produisent la qualité ».

Emmenée par le Groupe Benamor, la profession avait alors réagi avec la création de « réseaux qualité blé ».

En 2014, Fatiha Sadli, responsable du réseau d’amélioration de la qualité des blés durs au sein du groupe Benamor, évoquait à El Watan les défis auxquels était confrontée la filière blé dur en Algérie : « Les agriculteurs, pour leur part, ne connaissaient rien à la qualité ».

Elle ajoutait que, par manque de concertation avec les transformateurs locaux, ils « étaient beaucoup plus préoccupés par l’amélioration de la productivité ».

Cette spécialiste insistait sur la nécessité de la traçabilité des lots de blé récoltés : « Si la céréaliculture algérienne n’est pas soumise à une traçabilité, notre production sera étouffée. Nos grains doivent être tracés comme cela se fait ailleurs ».

Au vu de la situation, elle ajoutait qu’« il faudrait des années de travail pour parvenir à cet objectif ».

Le partenariat entre l’Algérie et l’Italien BF vise manifestement à passer à la vitesse supérieure tant en matière de quantité que de qualité.

Outre le choix variétal et la fertilisation azotée, la confection de lots de blé dur à destination de l’industrie de transformation nécessite des analyses de protéines dès la réception aux silos des cargaisons de blé livrées par les agriculteurs.

Une pratique courante en Algérie au niveau des laiteries dans le cas des livraisons de lait par les éleveurs mais étrangement encore inconnue dans le cas du blé.

En Algérie, les grains sont stockés pêle-mêle quelle que soit leur qualité. À l’étranger, des appareils à infra-rouge permettent d’effectuer une analyse rapide du taux de protéines des blés réceptionnés par les organismes stockeurs et la constitution de lots de blé de qualité dispatchés vers les différents silos.

Des pâtes italiennes de la marque Stagioni d’Italia bientôt fabriquées à Timimoun

Nul doute que pour produire des blés durs aptes à la confection de pâtes alimentaires de qualité, le groupe italien BF devra s’assurer la mise en place de mesures qualitatives depuis le champ jusqu’au silo.

Le personnel technique algérien formé ne pourra que profiter de ce transfert de technologie et du management qui l’accompagne. Un transfert qui pourrait à terme servir également aux producteurs de blé du nord du pays.

Avec la fabrication de pâtes alimentaires et de couscous à Timimoun à destination du marché italien, la partie algérienne pourrait également bénéficier du savoir-faire du groupe BF.

En la matière, la technologie a évolué notamment en ce qui concerne le séchage des pâtes à haute température.

La production à Timimoun de légumes secs, dont des pois-chiche, laisse entrevoir l’éventualité d’enrichissement des pâtes alimentaires en protéines, une technique en vogue en Europe.

Un moyen intéressant en Algérie afin d’assurer une complémentation en protéines végétales dans un contexte de hausse du prix de la viande de poulet particulièrement prisée par les ménages à faible revenu.

Reste la durabilité du projet basé sur l’utilisation d’eaux souterraines faiblement renouvelées selon les mesures réalisées en 2013 par le satellite de la Nasa, GRACE (Gravity Recovery and Climate Experiment).

L’occasion pour les services de l’hydraulique d’étudier dans quelle mesure les eaux des oueds sahariens en crue pourraient contribuer à une recharge des nappes les plus superficielles. Qui a dit que produire pâtes alimentaires et couscous était chose facile?

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