La croissance des crédits à l’économie n’est que « modérée », selon le terme employé par la Banque d’Algérie dans le communiqué qui a sanctionné la réunion de son Comité des opérations de politique monétaire (COPM), jeudi 13 avril.
La liquidité bancaire « contraste avec une croissance modérée des crédits à l’économie de 3,27% à fin décembre 2022 et de 0,64% à fin février 2024. » Ce passage du communiqué de la Banque d’Algérie est presque passé inaperçu. Pourtant, c’est peut-être le signe d’une situation inquiétante pour l’économie algérienne.
Le COPM a pris plusieurs mesures pour lutter contre l’inflation qui a dépassé 9% en 2022 (9,2% à fin septembre), dont l’augmentation du taux de réserve obligatoire de 1% et le renforcement des reprises de liquidité bilatérales.
La Banque d’Algérie indique avoir ciblé les sources de l’excès de liquidité, « potentiellement inflationnistes », tout en permettant aux banques de continuer à financer l’économie « sans effet d’éviction et sans coûts supplémentaires ».
L’inflation est le seul indicateur de l’économie algérienne qui ne soit pas « au vert », selon les évaluations officielles, y compris du président de la République, Abdelmadjid Tebboune.
Les recettes des hydrocarbures étaient en très forte hausse en 2022 (60 milliards de dollars selon les chiffres de Sonatrach), générant l’embellie des autres indicateurs : excédent de la balance commerciale et des paiements, résorption du déficit budgétaire, augmentation des réserves de change…
Les crédits à l’économie sont un autre indicateur qui traduit l’impact des recettes financières (des hydrocarbures) à l’économie et qui renseigne sur les perspectives de développement de celle-ci.
Le communiqué de la Banque d’Algérie fait juste référence au déséquilibre entre la liquidité et le financement de l’économie. Les derniers détails sur les crédits à l’économie ont été livrés dans la note de conjoncture des 9 premiers mois de 2022, rendue publique en mars.
Il y est mentionné qu’entre janvier et fin septembre 2022, les banques ont financé l’économie à hauteur de 10.202 milliards de dinars, un chiffre en augmentation de 4,17% par rapport à celui de 2021 (9.794 milliards DA), année durant laquelle l’activité économique a été touchée par la pandémie de Covid-19. Les crédits à l’économie étaient de 10.857,8 milliards DA à fin 2019 contre 11.188,6 milliards DA à fin 2020, selon les chiffres de la Banque d’Algérie.
Le gros des crédits a été accordé par les banques publiques (8.764 milliards de dinars), contre 1.436 milliards octroyés par les banques privées.
Les détails fournis par la Banque d’Algérie révèlent aussi qu’une partie importante des crédits est partie aux entreprises publiques (4.226 milliards). La part du secteur économique privé n’a pas été précisée, la Banque d’Algérie indiquant seulement que les crédits aux entreprises privées et aux ménages ont augmenté respectivement de 1,5 et de 7,7%.
Moins de crédits à l’économie algérienne : une tendance inquiétante
L’aspect inquiétant, c’est d’abord cette tendance à la baisse continue de la croissance des crédits à l’économie, sans perspective d’une accélération immédiate. 4,17% pendant les 9 premiers mois de 2022, 3,27% à fin décembre de la même année et 0,64% à fin février 2024.
Une telle situation ne cadre pas avec l’objectif global de booster la croissance et de diversifier l’économie algérienne en encourageant l’investissement productif.
Et encore, les chiffres sont à relativiser puisque près de la moitié des crédits sont destinés aux entreprises publiques, dont une partie est devenue un tonneau des Danaïdes par les financements et crédits consommés presque sans résultat.
L’Algérie a multiplié ces trois dernières années les mesures à même de relancer l’économie et réduire progressivement sa dépendance des hydrocarbures.
Une nouvelle loi sur l’investissement a été promulguée en juillet 2022 et le président de la République a haussé le ton plus d’une fois contre l’administration qui freine les projets par ses réflexes bureaucratiques.
Les résultats de 2021 et 2022 concernant les exportations hors hydrocarbures (près de 5 et de 7 milliards de dollars respectivement), mais sans un plus large accès des entrepreneurs aux crédits, il sera difficile d’aller vers des niveaux plus significatifs. Car la faible cadence de la croissance des crédits à l’économie peut être aussi le signe d’un ralentissement de l’investissement.
Avec l’instabilité juridique et les entraves bureaucratiques, le faible accès aux crédits est l’un des principaux facteurs désignés comme freins à l’investissement en Algérie.
Tout récemment, lors de l’examen à l’Assemblée populaire nationale de la loi monétaire et bancaire, le ministre des Finances, Laaziz Fayed, a indiqué que 75% des crédits accordés par les banques en 2022 ont été destinés à l’économie, dont 55% au secteur privé.
Parmi les mesures prises pour faciliter l’accès aux crédits, le ministre a cité la réduction à un mois maximum des délais de traitement des demandes et la numérisation des procédures.
L’autre facteur décourageant pour les porteurs de projets, c’est la quote-part de financement, et sur ce point, le ministre a juste répondu aux députés qu’elle diffère d’une banque à une autre, suivant la rentabilité du projet et les garanties présentées.
À ce stade, on ne sait quelle lecture faire de l’annonce de la Banque d’Algérie pour déterminer la partie « réticente », donc responsable de la faible cadence du financement de l’économie.
Est-ce les banques qui sont trop prudentes et toujours bureaucratiques ou les investisseurs qui sont moins nombreux à solliciter des crédits ? Peut-être les deux.
En dépit des mesures prises pour redonner de la confiance aux investisseurs et aux cadres de l’État qui ont « peur d’aller d’El Harrach », l’économie algérienne souffre d’un rythme de réformes lent qui plombe sa croissance.
Autre point contenu dans la note de la Banque d’Algérie est relatif à la hausse de la liquidité bancaire qui « ne cesse d’augmenter, passant de 1.996,41 milliards de dinars à fin décembre 2022 à 2.475,817 milliards de dinars à fin mars 2023. »
Cette hausse de la liquidité bancaire est la « résultante » de l’augmentation des revenus des exportations de l’Algérie, selon la même source.
Se pose alors l’apport de la finance islamique qui est censée capter l’énorme quantité de la masse monétaire circulant en dehors du circuit officiel. Cette masse est estimée à 90 milliards de dollars.
Le 27 mars, le président de l’Association des banques et établissements financiers a indiqué que plus de 594 milliards de dinars ont été collectés par les banques algériennes, au 31 décembre 2022, dans le cadre de la finance islamique.