Politique

Algérie-Maroc : le casus belli qui a causé la rupture

Beaucoup de lectures ont été faites de la rupture des relations diplomatiques entre l’Algérie et le Maroc, annoncée officiellement mardi 24 août par Alger.

Cette décision extrême a fait suite à plusieurs « actes hostiles » des autorités marocaines –au moins trois- depuis la mi-juillet, selon le ministre des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, qui a annoncé la nouvelle de la rupture mardi.

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Il y a eu d’abord la note de l’ambassadeur du royaume à l’ONU, soutenant formellement « l’autodétermination du vaillant peuple kabyle », suivie de la divulgation de l’affaire d’espionnage, Pegasus, qui a ciblé essentiellement des citoyens et hauts responsables algériens, et enfin la volonté assumée du Maroc d’impliquer Israël dans ses litiges avec l’Algérie. Lequel de ces trois actes a constitué un casus belli aux yeux d’Alger et causé la rupture des relations entre les deux voisins ?

Pour Abdelaziz Rahabi, ex-ministre et ancien ambassadeur d’Algérie à Madrid, c’est le soutien apporté par le Maroc à un projet de partition de l’Algérie qui a constitué la goutte de trop, un acte sur lequel il n’était pas possible de passer l’éponge.

Le 14 juillet, à l’occasion d’un sommet du mouvement des Non-alignés, l’ambassadeur du Maroc à New-York a remis aux représentants des pays membres du mouvement une note dans laquelle il s’est prononcé en faveur de l’autodétermination de la Kabylie. L’Algérie a immédiatement condamné une « dérive dangereuse », rappelé son ambassadeur à Rabat et exigé des explications.

L’indépendance de la Kabylie est prônée par le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), une organisation basée essentiellement à l’étranger et classée « terroriste » par les autorités algériennes en mai 2021. Le Mak a été accusé d’être derrière les incendies qui ont embrasé plusieurs régions du pays cet été, ainsi que le lynchage à mort du jeune Djamel Bensmail, le 11 août à Larbaâ Nath Irathen (w. Tizi-Ouzou).

« La rupture aurait dû survenir le jour même où l’ambassadeur a remis sa note verbale. C’est un acte extrêmement grave. Les autorités algériennes ont sans doute temporisé pour laisser le temps à leurs homologues marocaines de s’expliquer et aussi pour ne pas paraitre expéditives », explique M. Rahabi dans un entretien à TSA.

Entre la sortie de l’ambassadeur Omar Hilale et l’annonce de la rupture, 40 jours se sont écoulés. Entretemps, il y a eu deux discours du roi Mohamed VI, le 31 juillet pour la fête du trône et le 20 août à l’occasion de la commémoration de la révolution du roi et du peuple, mais aucune réponse n’a été apportée à la requête d’Alger. Au contraire, il a demandé la réouverture des frontières entre les deux, qui sont fermées depuis août 1994.

Au contraire, deux autres « actes hostiles » ont suivi dans l’intervalle, l’affaire Pegasus et les déclarations du chef de la diplomatie israélienne à partir du territoire marocain.

« C’est l’histoire qui se répète »

Deux actes qui ont envenimé davantage la situation mais qui ne constituent pas de casus belli.

« L’Algérie a été poussée à la rupture et on ne lui a pas laissé le choix, notamment avec la note de l’ambassadeur marocain à l’ONU. Surtout, elle a très mal accueilli l’absence d’explication du Maroc », ajoute M. Rahabi.

La réponse marocaine est venue, mais très tardivement, soit après l’officialisation de la rupture. Jeudi 26 août, le Premier ministre Marocain Saad Din El Otmani a expliqué que la teneur de la note de Omar Hilale « n’était pas une position politique (du Maroc), mais une réaction dialectique ».

Cette note verbale « engage le roi et toutes les institutions de l’État marocain », a répondu Amar Belani, ancien ambassadeur d’Algérie à Bruxelles,  accusant El Otmani  de « tenter de tromper tout le monde par de fausses déclarations ».

Même si on l’appelle « note verbale » dans le jargon diplomatique, il s’agit en fait d’un document écrit qui engage donc l’Etat marocain, confirme le diplomate Abdelaziz Rahabi.

Pour lui, c’est « l’histoire qui se répète ». En 1994, l’Algérie a procédé à la fermeture des frontières entre les deux pays après l’imposition du visa aux ressortissants algériens et de graves accusations marocaines au lendemain d’un attentat à Marrakech.

Avant cet épisode, il y a eu le recul marocain sur ses engagements concernant la résolution de la question sahraouie et l’édification maghrébine.

Le ministre des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, est longuement revenu, lors de la conférence de presse qui a suivi l’annonce de la rupture, sur les nombreux actes inamicaux du Maroc vis-à-vis de l’Algérie depuis l’indépendance.

Dans un entretien à l’APS jeudi dernier, Abdelaziz Rahabi s’est demandé s’il n’y a pas eu dans cette escalade  un « soutien inconditionnel ou bienveillant des pays alliés du Maroc ». « Cette question se pose et pose celle de l’opportunité de réexaminer avec sérénité, et en tenant compte de nos intérêts, l’ensemble de nos relations avec ces pays », a-t-il dit.

Une autre source soutient que s’il y a une « révision » des relations, elle pourrait concerner la France, la Jordanie et les Emirats arabes unis.

Quoi qu’il en soit, les tentatives de médiation émanant entre autres de l’Arabie saoudite ont très peu de chances d’aboutir. « C’est encore prématuré. On ne mène pas de médiation au lendemain d’une rupture », explique Rahabi.

L’Arabie saoudite savait que les relations entre l’Algérie et le Maroc étaient arrivées au point de non-retour, mais elle n’a pas pesé de son poids, pour éviter la rupture, comme elle le faisait par le passé. En fait, les nouveaux et jeunes dirigeants des pays du Golfe n’ont pas la même perception de l’Algérie que leurs ainés qui connaissaient l’aura et la portée de la révolution algérienne.

En plus, les pays du Golfe ont désormais des agendas politiques en Afrique du Nord en général, ce qui n’était pas le cas dans les années 80 ou 90. Les Emirats arabes unis jouent par exemple un rôle clé dans la crise en Libye, en apportant leur soutien au maréchal Khalifa Haftar, et sont devenus les partisans de la normalisation avec Israël.

Il faudrait des conditions préalables et des gestes d’apaisement des deux pays pour ouvrir la porte à une éventuelle médiation. L’Algérie et le Maroc, dont les relations diplomatiques étaient quasiment inexistantes avant le 24 août, sont toujours à couteaux tirés.

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