À quoi joue le roi du Maroc ? L’interrogation n’est pas inopportune dans la conjoncture actuelle faite de tensions réelles entre l’Algérie et son voisin de l’ouest, doublées de l’attitude ambivalente du roi.
Depuis quelques semaines, le Maroc a multiplié les sorties perçues à Alger, à juste titre d’ailleurs, comme des « actes hostiles », tout en maintenant une « main tendue » pour l’établissement de relations fraternelles et sincères entre les « deux frères jumeaux ».
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Il ne s’agit pas d’un léger déphasage entre le discours et les actes à mettre sur quelque ruse diplomatique sans malveillance. Le Maroc est allé trop loin dans l’inimitié.
À la mi-juillet, un mouvement séparatiste algérien a reçu le soutien officiel et public de la représentation marocaine aux Nations-Unies. Plus qu’une tentative de contrebalancer le soutien algérien au front Polisario, l’initiative s’inscrit dans une vaste opération hostile à l’égard de l’Algérie, comme le montreront les pas que le royaume franchira successivement.
Presque simultanément à la sortie de l’ambassadeur Omar Hilale, des médias internationaux avaient dévoilé une vaste opération d’espionnage visant de hauts responsables politiques et militaires algériens. Via le logiciel israélien Pegasus, le Maroc a ciblé plus de 6000 téléphones algériens.
Le 14 août, le pas de trop est franchi lorsqu’Israël met clairement l’Algérie dans le collimateur en notant son prétendu « rapprochement » avec l’Iran qui est l’un des principaux ennemis des Etats-Unis et des monarchies du Golfe notamment l’Arabie saoudite. Le Premier ministre israélien a lancé ses accusations à partir du territoire marocain.
Entre-temps, le Maroc a fait planer le doute sur ses intentions concernant le renouvellement du contrat du gazoduc Maghreb- Europe (GME), qui alimente l’Espagne en gaz algérien à partir du gisement géant de Hassi R’mel.
Dans ce dossier, Rabat a clairement cherché à utiliser la carte économique pour affaiblir économiquement l’Algérie, principal fournisseur en gaz pour l’Espagne. En somme, le Maroc a fait feux de tous bois contre l’Algérie.
Chaque fois, l’Algérie a répondu à la mesure de la gravité l’attaque. Le soutien à « l’autodétermination du peuple kabyle » a été qualifié de « dérive dangereuse » et suivie du rappel de l’ambassadeur d’Algérie à Rabat et demande d’explications.
L’espionnage de ses dirigeants et de ses citoyens a aussi été fermement dénoncé par Alger, avec menace de mettre en œuvre « sa stratégie de riposte ».
Enfin et surtout, l’attaque concertée avec Israël a suscité une vive dénonciation de l’Algérie qui l’a qualifiée de « fuite en avant suicidaire ».
Cette campagne, faite d’ « actes hostiles répétés », a nécessité « la révision des relations entre les deux pays » et « le renforcement de la surveillance aux frontières ouest », a décrété le Haut conseil de sécurité algérien.
Une attitude diplomatiquement inexplicable
Si les choses semblent claires jusque-là, il y a un élément qui déroute les diplomates les plus chevronnés. Il s’agit de l’attitude du roi Mohamed VI qui, entre deux attaques en règle de sa diplomatie ou de ses services, s’octroie le beau rôle, ainsi qu’à son pays, en tendant la main au nom de la fraternité maghrébine.
Il l’a fait dans son discours du 31 juillet, soit deux semaines après le soutien apporté à la dislocation de l’Algérie et la révélation du scandale d’espionnage, et remis ça ce 20 août à l’occasion de la Révolution du roi et du peuple en se disant attaché « à fonder des relations solides, constructives et équilibrées, notamment avec les pays voisins ».
À Alger, le manque de sincérité dans l’attitude du roi a été dénoncé dès le discours du 31 juillet. Le ministère des Affaires étrangères a qualifié sa teneur de « prétendue main tendue » et le président de la République Abdelmadjid Tebboune a carrément refusé de lui apporter une réponse, notant que le Maroc avait fait la sourde oreille devant les protestations de l’Algérie après le dérapage de l’ambassadeur Omar Hilale.
A la veille du second discours, Alger a annoncé que les relations entre les deux pays seront révisées, ce qui signifie au moins que le niveau de représentation sera réduit, avec une réelle possibilité de voir la riposte aller plus loin. Mais le roi a fait comme si de rien n’était, éludant complètement la question.
D’un point de vue diplomatique, l’ambivalence de Mohamed VI est incompréhensible. A moins qu’il s’agisse d’un discours destiné en premier à sa propre opinion publique pour se dédouaner du maintien de la fermeture de la frontière et de la perspective du non-renouvellement du contrat du gazoduc Maghreb Europe, entre autres dossiers dans lesquels le Maroc est économiquement perdant.
Une source algérienne a assuré à TSA que l’Algérie n’a pas encore tranché la question du maintien ou non de ce gazoduc, alors que le Maroc a clairement affiché sa position pour son maintien. “L’Algérie n’a toujours pas décidé de le reconduire à l’expiration du contrat qui encadre son économie en octobre 2021″, affirme notre source, en qualifiant de « mensonges » les déclarations faites jeudi par la Directrice générale de l’Office national des hydrocarbures et des mines, Amina Benkhadra.
Cela, tout en continuant à remplir ce qui semble être sa part du contrat avec Israël : sous-traiter pour ce pays, fortement gêné par l’Algérie dans ses projets de déploiement en Afrique. Et Mohamed VI, par ses agissements belliqueux, a peut-être enterré toute possibilité de réconciliation entre le Maroc et l’Algérie.