Cette année en Algérie, les consommateurs se plaignent du manque de goût des pastèques. Celles-ci présentent une belle taille et un rouge vif, mais elles n’ont pas ce goût sucré si prisé de chacun. Pourtant, la profession excelle dans ce type de production.
En été, et même au printemps avec la production du Sud, les pastèques constituent le dessert par excellence. Rondes ou allongées, c’est à celui qui dénichera les meilleurs produits.
La pastèque est souvent achetée avec la possibilité de demander au vendeur de procéder à une entaille « Tbâa » afin de garantir de sa couleur bien rouge. Ce type d’achat est typique de l’Algérie et en mai dernier, elle a même fait l’étonnement et la joie de touristes néerlandais de passage au marché de Ghardaïa.
Pastèque en Algérie : un savoir-faire exceptionnel
Avec ce manque de goût sucré, la profession est montrée du doigt. Pourtant, parmi l’ensemble du secteur agricole, c’est celle qui manifeste le plus de technicité.
Aujourd’hui, la production algérienne de pastèques est estimée à 2,2 millions de tonnes. La confortable marge bénéficiaire dégagée par ce type de culture aidant, le niveau technique n’a cessé de progresser. Aujourd’hui, ce niveau est tel que s’il était appliqué aux céréales, l’Algérie pourrait enfin espérer atteindre l’autosuffisance.
Le cas de pastèques sans goût constitue une égratignure à la solide réputation de qualité de cette corporation. On pourrait rétorquer que celle-ci a déjà été montrée du doigt avec l’affaire de parcelles irriguées avec des eaux usées non traitées. Cela au grand dam des autorités qui avaient immédiatement fait détruire les parcelles incriminées.
Si ces quelques cas ont pu entacher la réputation de cette corporation, les vrais professionnels se démarquent de ce type de pratiques.
Qu’on en juge. Ils ne sèment plus 2 à 3 graines à même le sol tous les 2 mètres. Une pratique qui exposait les plantules aux éventuelles attaques de ravageurs et aux basses températures.
Aujourd’hui, les semis sont réalisés sous serre dans des godets remplis de tourbe. Des semis réalisés non plus par les producteurs eux-mêmes, mais par des pépinières spécialisées.
Bien sûr, il s’agit de semences d’élite provenant des firmes multinationales dont les délégués technico-commerciaux parcourent la campagne et dont les grainetiers proposent à la vente sur l’ensemble du territoire national à des prix faramineux les 100 grammes.
La société Agrichem propose sa plateforme numérique « pastèque/melon » dédiée à l’aide technique des agriculteurs. Le groupe français d’engrais, Timac Agro, se targue que ses équipes de techniciens contribuent à la réussite de plantations de 3.000 hectares de pastèques dans le Sud algérien.
Aujourd’hui, il s’agit le plus souvent de plants greffés. Venue des pays voisins, la technique du greffage de plants de pastèque s’est aujourd’hui considérablement développée en Algérie.
Des plants greffés, cela peut paraître étonnant. Cela concerne habituellement les arbres fruitiers. C’est aujourd’hui aussi le cas de la pastèque. Mais des pastèques greffées sur quel type de plantes ? Sur de la citrouille.
Les agriculteurs gagnent ainsi en vitesse de croissance, résistance en maladies et poids final. Aujourd’hui, sur les réseaux sociaux, c’est au producteur qui exhibera la pastèque la plus grosse. Certaines pesant 20kg.
Les innovations ne s’arrêtent pas aux semences, il y a également le mode de plantation qui a évolué.
Fini la traditionnelle plantation manuelle. Certains producteurs utilisent des engins fabriqués localement qui réalisent plusieurs opérations à la fois.
En un seul passage de tracteur, l’engin déroule un film plastique noir au sol permettant le réchauffement du sol en début de saison et évitant la pousse des mauvaises herbes.
Sous le film plastique, un tuyau pour l’irrigation par goutte à goutte est également déroulé. Par la même occasion, une première trémie dépose les engrais tandis qu’une deuxième permet d’apporter du fumier de mouton juste à l’endroit où sera repiqué le plant greffé.
Appliquée pour la culture de la pastèque et du melon, cette façon de procéder permet de cultiver non plus un simple carré de terre comme auparavant, mais plusieurs hectares de pastèques.
Aujourd’hui, le phénomène a pris une telle ampleur que les économistes qualifient ces agriculteurs spécialisés dans un type unique de production d’entrepreneurs agricoles. Ils y adjoignent le qualificatif d’itinérants dans la mesure où ils n’hésitent pas à louer des terres dans différentes régions dans la mesure où celles-ci sont vierges et riches en eau.
En Algérie, l’engouement pour la pastèque est tel qu’en 2021, des essais ont été menés pour en planter même en sol salé. Dans les terres salines à l’Ouest d’Oran, des pastèques de 15 kg ont été produites. En 2020 à Skikda, la pastèque avait défrayé la chronique avec un cas de plantation au sein même de la zone industrielle d’Aïn Charchar.
Pastèque en Algérie : le greffage cause de perte de goût ?
La technique du greffage peut expliquer, en partie, la perte du goût des pastèques d’antan. L’excès de pluie qu’a connu le Nord du pays en juin aura pu également favoriser la grosseur des pastèques au détriment de l’accumulation du sucre. Ou encore faudra-t-il incriminer de nouvelles variétés inadaptées au palais sucré des consommateurs algériens. Il est encore trop tôt pour se prononcer.
Reste qu’après les difficultés à trouver un mouton adapté à sa bourse pour l’Aïd el Adha et les affres de la canicule de juillet, les consommateurs se trouvent confrontés à un été avec des pastèques sans trop de goût.
Le prix excessif de la pastèque est parfois signalé avec en cause, dans certaines régions, un manque d’eau d’irrigation qui aurait rendu le produit plus rare.
Rappelons que la production de pastèque demande beaucoup d’eau alors que l’Algérie fait face à une sécheresse endémique.
Au Maroc, dans la région de Zagora, les autorités ont imposé des restrictions à sa culture, les agriculteurs ne pouvant pas en cultiver plus qu’un hectare par exploitation.
Par ailleurs, dans les années 1980, les agriculteurs du Haut Chelif, peu intéressés par les prix proposés pour la culture de la betterave à sucre, s’étaient massivement tournés vers la culture de la pastèque.
Ils n’hésitaient pas à réaliser des pompages clandestins dans l’oued, laissant aux fermes d’État la production de betterave à sucre et le manque d’eau. À ce titre, la pastèque aura été, en partie, le fossoyeur de la production de betterave.
Mais que le consommateur se rassure, le cas de la production de pastèques montre que les agriculteurs algériens sont capables d’innover. Certes encore faut-il qu’au calibre exceptionnel des produits soit associée la qualité.
Cette course à l’innovation est à relier au profit élevé tiré de cette culture souvent qualifiée de « culture de rente ». Il n’en demeure pas moins que la performance des agriculteurs mérite d’être signalée. Et il est à espérer que cette recherche constante d’innovations soit appliquée à d’autres cultures comme les céréales dont le niveau des importations reste préoccupant.
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