Les consommateurs étrangers font du bio une véritable religion.
« C’est toute une culture en Europe et dans le monde. Ils ont la culture du bio, des produits sans aucun produit chimique » confiait à Ennahar TV en avril dernier Rachid Lakhnef le directeur de Biodattes, une entreprise de Biskra.
La filière datte algérienne aurait-elle sous estimée la demande en produits bio?
Sur le marché mondial, parmi les dattes les plus recherchées, celles provenant d’Algérie se taillent la part du lion.
C’est le cas de la variété Deglet Nour. Sauf que des lots auraient été retirés de la vente en France notamment pour des taux de pesticides au dessus des normes tolérées. Des producteurs locaux s’intéressent de plus près au bio.
En France, des lots de dattes retirés de la vente
Comme de nombreux pays producteurs de dattes, la filière algérienne semble découvrir les contrôles sanitaires.
En juin, le site français Rappel.Conso conseillait de ne pas consommer les dattes Deglet Nour venant d’Algérie et commercialisées sous la marque Dat Vita au motif de la présence d’anhydride sulfureux, un allergène.
Fin août c’était au tour des lots de dattes Deglet Nour sous marque “B&S La Pause” après avoir détecté la présence d’un pesticide interdit dans l’Union Européenne, le diflubenzuron.
En Egypte, et Iran les exportateurs ont connu les mêmes déboires et ont banni les produits chimiques des palmeraies et entrepôts.
Campagne nationale de traitement des palmeraies
A Biskra, berceau de la production de Deglet Nour, Slimane Nadji, le directeur de la section locale de l’Institut National de la Protection des Végétaux (INPV), confiait à El Watan, quelques semaines avant la récolte 2021, que certaines palmeraies ” sont inaccessibles pour nos véhicules [de traitement], mal entretenues et parsemées de grenadiers et de figuiers constituant des gîtes larvaires. »
Il s’inquiétait également que des agriculteurs : « laissent les choses s’aggraver et viennent en trombe solliciter des interventions des agents de l’INPV qui sont souvent à ce moment précis sur le terrain pour soigner et prémunir les régimes de dattes contre le boufaroua et la pyrale.»
Plus de 2 millions de palmiers traités
Depuis plusieurs années un programme de traitement des palmeraies est en cours et en 2021 plus de 2,5 millions de palmiers ont été traités.
Dans la région d’El Meghaïer, les dégâts liés au boufaroua sont considérables. Lors de la dernière campagne, cet acarien a été la cause d’une réduction de 60% de la production de dattes.
Selon le ministère du Commerce, jusqu’à 77 000 tonnes de dattes ont été exportées en 2021 par l’Algérie. Une activité créatrice d’emplois dans le sud. Face aux récents retraits de dattes en France, l’inquiétude des producteurs et exportateurs est grande.
Lutte biologique, un parcours du combattant
La lutte biologique n’est pas simple à organiser. De nombreux ravageurs sont inféodés aux palmiers : champignon qui cause le bayoud, acarien dans le cas du boufaroua, bouguassas ou foreur du rachis, cochenille blanche et pyrale. Le ver de la pyrale a la désagréable habitude de se loger dans les fruits.
Pour des chercheurs du Centre de Recherche Scientifique et Technique sur les Régions Arides (CRSTRA) et de l’université de Biskra, contre ces ravageurs, la parade consiste à trouver des ennemis naturels.
Dans chaque région productrice, afin d’inventorier ces insectes auxiliaires, les chercheurs ont recours à différents moyens : pièges remplis d’eau savonneuse, filet à papillons, assiettes de couleur jaune enduites de colle ou même « parapluie japonais » : des cadres en bois munis d’une toile blanche.
Ils permettent de recueillir les insectes tombant des branches après que celles-ci aient été secouées.
Une fois les auxiliaires identifiés, il s’agit d’installer des élevages afin de procéder à des lâchers. On l’aura compris, ce travail ne s’improvise pas, il s’agit d’un véritable parcours du combattant.
INPV, premiers pas en lutte biologique
Ce type de lâchers est efficace. En Iran, l’utilisation de coccinelles s’attaquant à la pyrale a permis de faire passer le nombre moyen de parasites de 2,5 à 0,5 par datte. A Tolga en 2017, l’INPV a procédé au lâcher de centaines d’individus de Phanerotoma, un redoutable ennemi de la pyrale.
En Algérie, les premiers essais de lutte biologique datent de la fin des années 1970. On les doit aux professeurs Salaheddine Doumandji et à Bahia Doumandji Bahia de l’Ecole Nationale Supérieure d’Agronomie d’El Harrach qui ont formés de nombreux spécialistes.
Il existe également des mesures préventives comme l’élimination des mauvaises herbes, les palmes desséchées ou les régimes de dattes non exploités qui sont autant de refuge pour les parasites. C’est le cas de la pyrale qui hiverne dans l’herbe au pied des palmiers.
Malgré, l’existence de spécialistes locaux, la lutte biologique peine à se développer. Une des causes réside dans la libéralisation des importations de pesticides, ces produits ont progressivement inondé le marché.
A l’étranger les recherches vont bon train pour s’affranchir de la chimie, notamment après récolte.
Des tunnels solaires utilisant des ventilateurs représentent une alternative aux fumigations à base de soufre ou de bromure de méthyle. Selon les concepteurs de ces tunnels, la température y atteint 50°C ce qui assure la mortalité complète des insectes.
Comme en Tunisie, il existe une production locale bio. Avec 3 200 tonnes exportées par an et 465 collaborateurs, la société Biodattes revendique le premier rang de production de dattes bio.
Producteurs et exportateurs, mettre la main à la poche
L’année passée, les exportations de datte ont rapporté 80 millions de dollars à la filière.
Slimane Nadji confirme que des producteurs “ont des palmeraies desquelles ils soutirent de bons dividendes annuels.”
Pour la filière, la solution pourrait passer par le recrutement d’un personnel qualifié chargé d’assurer sa propre production d’insectes auxiliaires.
Quant aux grainetiers, le défi serait de réduire la vente de pesticides au profit de celle de pièges biologiques tel ceux à base de phéromones.