Politique

Algérie profonde : les walis et la politique-spectacle

Les scènes sont récurrentes sur les réseaux sociaux et les chaînes de télévision en Algérie. Le plus souvent à l’occasion de visites sur le terrain, des responsables, nationaux ou locaux, sermonnent leurs subordonnés devant caméras et téléphones portables.

Ce que vient de faire le wali de Bordj Bou Arréridj dans un hôpital démontre que ces réflexes ont toujours la peau dure et qu’on n’a pas encore compris qu’ils sont contreproductifs, qu’ils portent atteinte à l’image de leurs auteurs d’abord, des institutions et de ceux qui les subissent.

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Car l’objectif de se donner en spectacle en public ne peut pas être de garantir une meilleure gestion du secteur concerné. Ceux qui humilient les fonctionnaires devant les caméras s’adressent à la fois aux gouvernés, pour refléter l’image d’un responsable qui se soucie de leur quotidien et prêt à les défendre contre la nonchalante administration, mais aussi aux hautes autorités dans la perspective d’une promotion, ou tout au moins de garder le poste.

Quitte à broyer des carrières, humilier et blesser profondément des cadres devant leurs collègues, leur famille et tout le pays. A Bordj Bou Arréridj, le wali a cru bien faire d’ordonner aux médecins le transfert d’un enfant malade vers un autre hôpital. A première vue, c’est ce que l’on pourrait penser.

Mais quand on regarde la vidéo largement partagée sur les réseaux sociaux, on se rend compte qu’on est devant un cas hallucinant : tout simplement, le wali a décidé à la place des médecins ce qu’ils doivent faire pour un malade et il le leur a ordonné de la manière la plus autoritaire qui soit, sans discussion possible.

L’enfant est victime d’une fracture à la jambe et a été opéré avec succès par les chirurgiens de l’hôpital. Souffrant encore de douleur, son père a émis le souhait de le voir transféré dans un autre hôpital, ce que les médecins n’ont pas jugé nécessaire.

Quand tout fonctionne normalement, les choses doivent s’arrêter là. Mais le wali, en visite sur les lieux, en a décidé autrement. Dans son échange avec la chirurgienne qui a effectué l’opération, il ne l’a presque pas laissée s’expliquer.

Il lui a ordonné de transférer l’enfant, et dans l’immédiat. Est-il normal d’en arriver à une telle situation où un administratif ordonne aux médecins ce qu’ils doivent faire à leur malade ?

Bien sûr que non, de même qu’il est inadmissible de traiter ainsi des cadres bardés de diplômes. Un chirurgien, c’est minimum dix ans d’études supérieures.

En plus de leurs salaires en-deçà de ce qui se donne ailleurs, ils doivent aussi subir de telles situations. Et on se demande pourquoi les médecins algériens partent par milliers faire le bonheur des hôpitaux d’Europe et d’ailleurs.

L’impératif de protéger les cadres du pays

Ce cas est, hélas, loin d’être isolé. Régulièrement, on voit des walis se mêler de tout, jusqu’aux questions techniques les plus pointues, sur les chantiers de travaux publics ou dans les établissements, laissant à peine parler les techniciens.

Les résultats des interventions des responsables politiques dans le travail des techniciens et autres ingénieurs est connu : des projets réalisés dans des délais anormaux, avec des malfaçons et des surcoûts exorbitants. L’exemple de l’autoroute est-ouest est édifiant des conséquences de l’immixtion des ministres et des walis dans le travail des techniciens.

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Souvent aussi, des cadres de différents secteurs se font humilier par des commis de l’administration ou leurs supérieurs hiérarchiques. Toute l’Algérie se souvient des larmes de l’ingénieur de Mostaganem, molesté devant les caméras par le wali qui lui a en plus reproché la façon de s’habiller.

Le jeune cadre a dû poster une vidéo sur les réseaux sociaux pour expliquer, les larmes aux yeux, à tout le pays comment il a eu la veste que le wali n’a pas trouvé digne d’un fonctionnaire : il l’a achetée à la friperie, pour 2000 dinars.

Le gouvernement, qui a élaboré une loi protégeant les médecins des agressions par les proches de patients ou autres, devrait penser aussi à les protéger, eux et les autres cadres du pays, de ce genre de comportement.

Un responsable peut faire toutes les remarques qu’il veut à ses subordonnés, mais cela doit se faire impérativement dans un bureau fermé. Dans le cas de l’hôpital de Bordj Bou Arréridj, l’immixtion ne doit se faire ni loin ni devant les regards. Personne ne doit dicter à un médecin ce qu’il doit faire pour son patient. Tout simplement.

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