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Algérie – UE : chronique d’un accord d’association très déséquilibré

Algérie – UE : chronique d’un accord d’association très déséquilibré

Dix-neuf ans après l’entrée en vigueur de leur accord d’association en 2005, l’Algérie et l’Union européenne (UE) sont au bord du clash.

La Commission européenne (CE) a annoncé le 14 juin le lancement d’une procédure de règlement des litiges avec l’Algérie auquel elle reproche des manquements aux dispositions de l’accord, sur notamment les importations et les investissements.

« L’Algérie est un pays souverain, qui n’a pas de dette extérieure et ne tolère point de diktat« , a répliqué le ministre algérien du Commerce Tayeb Zitouni, lundi 24 juin. Comment est-on arrivé là ?

Algérie – UE : les raisons de la crise

Il faut rappeler d’abord le contexte et les motifs de la conclusion de l’accord d’association Algérie – UE, au début des années 2000.

Le souci premier du président Abdelaziz Bouteflika qui venait d’être élu à la tête de l’Algérie était de sortir le pays dans la sorte d’isolation diplomatique dans laquelle l’avait plongé une décennie de violence terroriste.

L’ancien chef de l’État était aussi mué par un prestige personnel qui a altéré sa vision des enjeux économiques d’un tel accord.

« Le président Liamine Zeroual avait refusé de signer. Le ministère des Affaires étrangères était opposé. Mais Bouteflika voulait un accord pour son prestige personnel, il a tout fait pour l’obtenir. Les Européens ne lui ont pas fait de cadeau et l’Algérie a fini par le payer très cher », explique une source algérienne qui connaît le dossier.

Du côté algérien, les impératifs politiques ont pesé peu dans la balance. Un accord d’association avec l’UE, comme l’avaient fait les voisins tunisien et marocain, était perçu comme le signe d’une « fréquentabilité » retrouvée.

Alors que l’Algérie, le Maroc et la Tunisie s’étaient mis d’accord pour négocier d’une seule voix, au nom de l’UMA, avec l’UE, chaque pays a fini par se retrouver seul face au bloc européen.

Les Marocains (en 2000) et les Tunisiens (en 1995) ont préféré faire cavalier seul, pointant un clou supplémentaire dans le cercueil de l’UMA naissante.

L’Algérie n’avait d’autre choix que de suivre, acceptant un accord très déséquilibré, faut-il le dire.

Accord d’association : pertes colossales pour l’Algérie

Le caractère désavantageux pour l’Algérie de l’accord, signé en 2002 et entré en vigueur en 2005, avait été pointé à l’époque déjà par les économistes.

En acceptant un démantèlement tarifaire progressif, l’Algérie ouvrait son marché aux produits de l’Europe, sans réciprocité car l’économie algérienne n’était pas en mesure de placer des produits concurrentiels sur le marché européen, hormis le pétrole et le gaz, en raison de la faiblesse de ses entreprises qui se sont retrouvées en face de barrières normatives européennes infranchissables.

Ce déséquilibre est ressorti dans les chiffres de l’évaluation des dix premières années effectuée en 2015. À peine 14 milliards de dollars d’exportations algériennes vers l’UE (hors hydrocarbures) contre 220 milliards de dollars d’importations du même espace.

Le désavantage ne s’arrête pas à ce niveau puisque les pertes pour le Trésor public algérien sont aussi colossales à cause du démantèlement tarifaire entamé d’entrée à 40 %.

Depuis 2005, ce sont 14 milliards de dollars qui ont manqué en droits de douane, selon le professeur d’économie Brahimi Guendouzi, cité par le quotidien El Moudjahid du 26 juin.

Ce manque à gagner s’ajoute aux pertes indirectes de l’Algérie qui a accentué sa dépendance aux importations européennes, sans aucune contrepartie pour son développement économique.

Pourquoi l’Algérie veut renégocier l’accord très déséquilibré avec l’UE

Les importations algériennes de l’UE sont aujourd’hui au même niveau. En 2023, elles se sont élevées à 22 milliards de dollars, a précisé le ministre du Commerce dans son intervention de lundi 24 juin à la Télévision algérienne. Soit près de la moitié des importations globales de l’Algérie (45 milliards de dollars, selon le même responsable).

Une part aujourd’hui menacée par la nouvelle orientation commerciale de l’Algérie vers d’autres partenariats, avec notamment la Chine et la Turquie dont les produits trouvent plus de place sur le marché algérien.

Les autorités algériennes tentent depuis une décennie d’obtenir la révision de l’accord d’association avec l’UE, sans succès.

L’Europe persiste et signe : non seulement l’Algérie doit continuer à respecter les dispositions de l’accord comme au premier jour, mais elle est sommée de renoncer aussi à ses décisions souveraines de régulation et de rationalisation de ses importations prises justement pour préserver ses intérêts économiques. C’est le sens que l’on peut donner à la procédure engagée il y a deux semaines par la Commission européenne.

On pourrait reprocher à l’Algérie de s’être engagée dès le début dans une sorte de marché de dupes, mais il n’est pas certain que les Européens pouvaient être disposés à proposer autre chose, à fortiori dans la conjoncture difficile pour l’Algérie au moment de la négociation de l’accord.

« L’Union européenne a une approche sécuritaire et commerciale avec l’Algérie »

Le processus de Barcelone lancé en 1995, qui promettait une prospérité partagée entre les deux rives de la Méditerranée, s’avère aujourd’hui comme un grand leurre pour les pays du Sud, desquels l’Union européenne attend deux choses sans contrepartie : qu’ils ouvrent leurs marchés aux produits européens et qu’ils fassent le gendarme contre les flux migratoires et la menace terroriste.

La contrepartie, qui devait être l’investissement productif et le transfert de technologie, seule voie pour créer la "prospérité partagée", ne vient pas. On pourrait ressasser les tares du climat des affaires en Algérie pour justifier cette désaffection.

Mais l’Algérie a progressivement amélioré sa législation sur l’investissement ces dernières années, de l’aveu même du représentant de l’UE en Algérie, Thomas Eckert, et les investissements attendus n’ont pas afflué. C’est le talon d’Achille de l’UE en Algérie.

« Le stock des investissements européens en Algérie était estimé à 14 milliards d’euros à fin 2017 », selon les données de la Délégation européenne en Algérie. Un chiffre dérisoire qui cristallise les critiques contre l’accord d’association.

« L’Union européenne a une approche sécuritaire et commerciale avec l’Algérie. Ses investissements au Maghreb sont dérisoires par rapport aux autres régions du monde », pointe notre source.

Pas plus que les investisseurs européens se sont bousculés au Maroc, en Tunisie ou encore en Égypte, des pays dont personne ne critique pourtant le climat des affaires respectif. Le problème est sans doute au niveau de l’Europe et pas sur la rive sud.

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