La campagne anti-Ghediri a commencé avant même que le général-major à la retraite ne fasse part de son intention de s’engager dans la bataille électorale.
Lorsqu’une mise au point au vitriol lui fut signifiée sur le site du ministère de la Défense, le 30 décembre, on a d’abord cru voir une réaction légitime d’une institution militaire « offensée » de voir son chef appelé publiquement, par un de ses anciens subordonnés de surcroit, à investir l’arène du jeu politique.
L’insistance de l’armée à vouloir remettre à sa place celui auquel elle prêtait déjà une « ambition démesurée pas en rapport avec ses capacités » et la montée au créneau d’Ahmed-Gaid Salah en personne furent ensuite mises sur le dos d’une vieille inimitié entre les deux hommes et qui remonterait au temps où Ali Ghediri gérait les ressources humaines de l’ANP. Mais il s’avérera vite que la petite polémique était bien plus qu’une histoire de vieux comptes non soldés et que l’enjeu est éminemment politique.
Si l’annonce officielle de sa candidature l’a en quelque sorte « immunisé » contre les rappels à l’ordre et mises en garde de l’armée, elle n’a en revanche pas pu éviter au nouveau venu sur la scène politique les attaques frontales des proches du cercle présidentiel. Bien au contraire.
Le tempo était donné par les médias lourds publics qui ont complètement zappé sa déclaration de candidature et sa première sortie publique, très médiatisée par ailleurs. Au lendemain justement de son passage au forum du journal Liberté, le député FLN Bahaeddine Tliba l’a chargé violemment sur TSA. S’ensuivront des piques certes moins virulentes mais tout aussi inamicales d’Ahmed Ouyahia puis d’Amar Ghoul.
Hier lundi, le coordinateur de campagne de M. Ghediri, Mokrane Aït Larbi, a fait part d’entraves rencontrées au niveau de certaines APC, dénonçant une « délinquance institutionnelle ». « Au moment où la campagne pour la collecte des signatures de parrainage atteint la vitesse de croisière, certaines APC multiplient les entraves, et parfois les intimidations contre les citoyens qui parrainent le candidat Ali Ghediri. Plus grave encore, M. Ghediri est l’objet de filatures quotidiennes par des « inconnus », à bord de véhicules banalisés. Même les membres de sa famille sont ciblés par des mesures de rétorsion indignes », a indiqué le célèbre avocat dans un communiqué.
Il devient chaque jour un peu plus évident que le pouvoir voit en Ali Ghediri un adversaire à prendre au sérieux lors de la prochaine joute électorale. Lors de ses rares sorties publiques, le général a clairement fait comprendre que son objectif est de dégager tout le système. Dans son ébauche de programme mise en ligne en fin de semaine passée, sept des huit grandes lignes commencent par le mot « rupture ».
S’il est dans l’ordre des choses de voir se liguer toutes les composantes du régime devant une telle velléité, il est difficile de ne pas voir un début de d’inquiétude, du moins de doute, derrière cette stratégie de certaines parties et leur insistance à vouloir discréditer d’entrée le candidat.
Mais un général fraîchement retraité, qui fait ses premiers pas dans la politique, sans ancrage populaire ni soutiens de partis représentatifs, peut-il constituer un danger pour un système qui détient tous les leviers, la manne financière, l’administration, les médias lourds, les forces de l’ordre, et qui réclame une large représentativité dans les assemblées élues ? C’est peut-être le cas et ce n’est pas tant Ali Ghediri qui a des biceps à étaler que le pouvoir qui s’est lui-même tiré des balles successives dans le pied ces derniers mois.
La plus invalidante c’est sans doute l’incapacité de ses composantes à se mettre d’accord sur un successeur à Bouteflika, se condamnant de fait à un choix par défaut, comme l’explique Mohcine Bellabès, le président du RCD, à TSA : « Il y avait impossibilité de trouver un consensus autour d’un candidat alternatif à Bouteflika à l’intérieur du système. (…) C’est une candidature par défaut, mais aussi une candidature de contrainte parce que le pouvoir, et là on a eu des confirmations de plusieurs sources, était réellement tenté d’aller vers une prolongation du mandat… »
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Par définition, un choix par défaut n’est pas le meilleur. Il est même risqué. Les stratèges du pouvoir ne sont pas sans savoir que l’état de santé du président, qui l’empêche depuis plus de cinq ans de s’adresser directement au peuple et le contraint à annuler régulièrement des rendez-vous avec des dirigeants étrangers, ne l’aidera pas à convaincre les Algériens de lui accorder un autre mandat, eux qui ont vécu celui qui s’achève comme un supplice. « Quand on voit les prérogatives constitutionnelles du président, on se rend compte que seul un homme qui dispose de toutes ses facultés peut assumer une telle responsabilité », renchérit le président du FJD, Abdallah Djaballah, toujours sur TSA.
En 2014 déjà, Bouteflika qui n’était pas amoindri comme il l’est aujourd’hui, avait perdu 4.5 millions de voix par rapport au scrutin de 2009. En 2019, le recul risque d’être encore plus spectaculaire au vu de toutes les péripéties du mandat qui s’achève, marqué par une éclipse quasi-totale du chef de l’État et une baisse des prix de pétrole qui a mis à nu les errements de sa politique économique.
Le désir de changement est réel et un bon taux de participation au prochain scrutin pourrait valoir au président sortant un énorme retard dans les urnes qu’il sera difficile de combler par la fraude.
Ali Ghediri, lui, pourra compter sur cette soif indéniable de changement, son profil et sa promesse de rupture. Cela, s’il parvient jusqu’à la dernière étape, car on ne sait pas jusqu’où l’inquiétude qu’il a suscitée mènera le pouvoir.
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