Si la sécheresse actuelle affecte les cultures de blé en Algérie, elle touche également la production de fourrage alors que de nouvelles techniques existent pour utiliser des produits locaux et réduire les importations de l’aliment de bétail.
Déjà dans les souks aux bestiaux, l’inquiétude des éleveurs est grande. Dans son dernier entretien avec la presse qui a été diffusé samedi, le président Abdelmadjid Tebboune a souhaité que l’agriculture s’imprègne des techniques nouvelles. « L’agriculture est une science et non une tradition », a-t-il dit.
Alimenter le cheptel dans les conditions actuelles est l’occasion de mettre ces orientations en application.
Vendre une brebis pour en sauver une autre
En ce mois de mai, sur le souk aux bestiaux de Barika (Batna) et malgré la fraîcheur matinale, l’activité bat son plein. Emmitouflés dans leur traditionnelle kachabia, des éleveurs attendent les acheteurs.
Certains n’ont qu’une ou deux brebis à vendre, d’autres en proposent une douzaine. Un jeune éleveur vêtu d’un blouson de cuir confie à la chaîne web La Patrie News : « Ce mouton nous l’avons mis en vente la semaine dernière pour 8.500 DA mais il n’a pas trouvé preneur. Aujourd’hui nous le proposons à 8.000 DA et personne n’en veut. On va devoir le proposer à moins de 8.000. »
Il ajoute : « Comment faire ? À cause de la sécheresse, il n’y a pas d’herbe, la botte de fourrage est à 1000 DA. On vend des animaux pour nourrir ceux qui restent. Comment va-t-on nourrir les animaux ? D’où se procurer du fourrage ? »
À nouveau, comme lors de la sécheresse automnale de l’année dernière, des éleveurs désemparés indiquent vendre une partie de leur troupeau pour nourrir le reste.
Alors que les fabricants privés d’aliments de bétail et l’Office national des aliments de bétail (Onab) misent principalement sur les aliments importés, des universitaires proposent des alternatives pour la période de disette.
Mais des alternatives se basant sur l’utilisation des coproduits des industries agro-alimentaires.
Des drêches de tomates pour nourrir les vaches
Afin de valoriser les coproduits issus de ses conserveries de tomate, le groupe Benamor a entrepris des recherches. Ces coproduits, ou drêches de tomates, sont depuis longtemps appréciées par les éleveurs comme aliments entrant dans la ration des vaches laitières. Mais leur conservation pose problème.
« Nous avons constaté qu’elles sont encore conservées de manière traditionnelle à l’état frais, ce qui provoque sa fermentation avec la formation de moisissures, causant leur dégradation, en plus elles ne peuvent pas être conservées pour une longue durée », confiait en juin dernier au quotidien El Watan la responsable du laboratoire du groupe Benamor.
D’où l’idée d’améliorer la conservation des drêches en question en les séchant.
Les premiers essais ont commencé en 2021, poursuit l’initiatrice du projet : « Nous avons lancé des essais de séchage dans un séchoir acquis par la conserverie, et après des analyses physiques et microbiologiques des échantillons, nous avons relevé que les drêches séchées ont une grande valeur nutritive en raison de leur richesse en protéines, en lipides, en glucides et en fibres alimentaires, permettant une bonne production de lait chez les vaches ».
Des analyses permises par un laboratoire doté de matériel moderne et disposant d’un personnel qualifié. Il est même apparu que les drêches pouvaient ainsi être conservées durant trois ans. À raison de 4 unités de transformation réceptionnant quotidiennement 14 000 tonnes de tomates, la production de drêches est loin d’être négligeable.
Drêches, mais aussi grignons d’olives et mélasse
Les grignons d’olives issus de l’extraction de l’huile d’olive peuvent aussi être utilisés comme aliment du bétail. Comme pour les drêches de tomate, le séchage améliore la durée de conservation.
Cet usage est cependant limité par la présence des noyaux d’olives. Leur fort taux en fibres de lignine réduit la digestibilité des grignons aussi, un dénoyautage même partiel par tamisage s’avère très intéressant. Des essais menés sur des chèvres ont donné de bons résultats sur la production de lait.
Dès 2011 en Tunisie, la recherche agronomique locale a montré que « les grignons d’olive peuvent se substituer à des taux relativement élevés aux ingrédients importés entrant dans la ration des lapins et des ruminants. » Et ce type de substitution est estimé à une économie de devises de plus de 40 millions d’euros.
Les chercheurs tunisiens Faten Rejeb Gharbi et Taher Benarif ont proposé d’introduire des grignons d’olive dans les rations des moutons en période de disette avec, dans ce cas-là, « une économie de devises estimée à 27 millions d’euros ».
Un autre coproduit issu des opérations de raffinage du sucre roux brésilien peut être utilisé en élevage. Sur les réseaux sociaux, l’ingénieur Bouhalloufa Abed du Groupe d’appui aux éleveurs laitiers de Relizane conseille d’en mélanger un kilo pour 12 kg de paille.
Une richesse issue d’un astucieux mélange
Les chercheurs de l’École nationale supérieure agronomique (Ensa) d’El Harrach (Alger) ne sont pas en reste. Des laboratoires du département de zootechnie sont sorties différentes préparations à base de grignons d’olive, de mélasse, de son de blé, de rebuts de dattes et de palmes de palmier-dattier.
Le tout associé à des compléments minéraux sous forme de prémix aujourd’hui fabriqués localement et à un correctif azoté tel l’urée. Pour lier le tout, les chercheurs n’hésitent pas à l’adjonction d’une légère dose de chaux ou de ciment.
Leur principe est d’utiliser les coproduits existant dans la région. Des coproduits qui individuellement sont pauvres, mais qui une fois associés assurent les besoins d’entretien des animaux. De quoi passer la période de soudure.
Dès le début des années 1980, en Égypte, la FAO a contribué à la création d’une unité de fabrication d’un mélange liquide mélasse/urée d’une capacité de 45 tonnes/jour.
Installée à Noubariya (Alexandrie), cette unité possède également une capacité de 6 tonnes/jour pour des mélanges solides commercialisés sous forme de blocs ainsi que des moyens d’enrichissement de la paille en ammoniac. L’Irak possède également ce type d’unité de fabrication de blocs nourriciers.
Ces nouvelles techniques sont également maîtrisées dans les universités en Algérie. Arriveront-elles jusqu’aux éleveurs présents sur le souk de Barika ? « L’agriculture est une science et non pas une tradition », a déclaré le président Abdelmadjid Tebboune.
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