Dans un contexte marqué par le scandale retentissant de l’espionnage de nombreux pays par le royaume, dont ses alliés, une note d’un institut allemand de renommée préconise aux Etats membres de l’Union européenne de revoir leur stratégie dans la région du Maghreb et à œuvrer à arrêter « les tentations hégémoniques » du Maroc.
La teneur de la note est un reproche à la politique européenne qui favoriserait le Maroc au détriment des autres pays du Maghreb. Son auteure préconise en substance de stopper le Maroc dans ses « tentations hégémonique » sur les autres pays du Maghreb et « d’arrêter d’aider sa croissance et son développement économique », qui, toujours selon la note « freine ainsi l’émergence de l’Algérie et de la Tunisie ».
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La note émane du Stiftung Wissenschaft und Politik (SWP, Institut allemand des affaires internationales et de sécurité), une institution fondée en 1962 qui conseille le Parlement allemand.
Elle qualifie la politique marocaine dans la région de « tentations hégémonique » et appelle à y mettre fin. Intitulée « Rivalités maghrébines sur l’Afrique subsaharienne : l’Algérie et la Tunisie cherchent à suivre les pas du Maroc », la note, qui n’a pas de caractère officiel certes, constitue une sorte d’orientation pour l’Allemagne et l’UE sur la politique à mener au Maghreb. Le constat établi est en quelque sorte un reproche aux largesses accordées par l’UE au Royaume au détriment des autres Etats de la Région.
« La politique subsaharienne du Maroc a exacerbé les tensions avec l’Algérie et éveillé les ambitions en Tunisie. Alger (…) cherche à contrecarrer les avancées de Rabat. Tunis, pour sa part, essaie de suivre les traces de Rabat, espérant que des relations plus étroites avec l’Afrique stimuleront la croissance économique », écrit l’auteure de la note, Dr. Isabelle Werenfels.
Quelques chiffres contenus dans la note sont révélateurs de cette hégémonie, notamment dans les relations économiques avec l’Afrique subsaharienne. Alors que l’Algérie n’a exporté en 2019 vers ces pays que pour 440 millions de dollars et la Tunisie pour 355 millions, le Maroc a dépassé le milliard de dollars (1,308 milliard USD).
Idem pour les investissements étrangers directs (IDE) dans la région : le Maroc est largement devant avec 1,446 milliards USD, loin devant la Tunisie (292 millions) et l’Algérie (146 millions).
Ce que suggère la note à l’Union européenne
Celle-ci suggère à l’Union européenne de « considérer ces tendances comme une opportunité pour l’intégration africaine et la coopération triangulaire UE/Maghreb/Sub-Sahara ». « Cela pourrait contrecarrer le sentiment d’inutilité croissante de l’Algérie, renforcer l’économie tunisienne, relativiser les ambitions hégémoniques du Maroc et ainsi atténuer la dynamique négative de la rivalité », estime-t-elle.
« Il est donc évident, ajoute-t-elle, pour des exportateurs expérimentés comme l’Allemagne d’offrir une expertise technique aux deux ‘retardataires’ sur des questions telles que l’élaboration de stratégies et l’expansion des infrastructures d’exportation de produits locaux vers l’Afrique ».
La publication de cette note survient dans un contexte particulier marqué en outre par la crise entre le Maroc et certains pays de l’UE, dont l’Allemagne, par le scandale Pegasus qui pourrait avoir de graves conséquences pour le Maroc.
« Ce contexte va obliger la France (dont le président a été espionné par Pegasus, NDLR) et l’ensemble de l’Union européenne à clarifier leurs relations avec les pays de l’Afrique du Nord et à remettre à plat les rapports économiques et migratoires », écrit le journaliste économique français Jean-Marc Sylvestre.
Pour lui, et vue d’Allemagne, cette note signifie en substance : « Il faut arrêter le Maroc dans ses tentations hégémonique sur les pays du Maghreb et notamment cesser d’aider la croissance et le développement économique du Maroc, qui freine ainsi l’émergence de l’Algérie et de la Tunisie ».
En mai dernier, juste avant la crise avec l’Espagne et le chantage migratoire du Maroc, ce pays s’était déjà fâché avec un autre grand pays de l’UE, l’Allemagne.
Il faut dire que le pays d’Angela Merkel n’a jamais été un soutien franc aux thèses marocaines sur la question du Sahara occidental, contribuant à équilibrer la position de l’Europe sur la question.
Le 6 mai, le Maroc a rappelé son ambassadrice à Berlin, dénonçant des « actes hostiles » de la part de l’Allemagne. Outre ses positions sur le Sahara, le Maroc reprochait à l’Allemagne de combattre le rôle régional du Royaume, notamment sur le dossier libyen.