Calme, mesuré et discret comme tout diplomate digne de ce nom, Amar Bendjama est propulsé sous les feux des projecteurs malgré lui.
Depuis octobre dernier, il est à la fois l’incarnation de la constance des dogmes de la diplomatie algérienne et la voix de la Palestine opprimée au Conseil de sécurité de l’ONU.
Lorsque la guerre de Gaza a éclaté, le 7 octobre, Amar Bendjama était le représentant permanent de l’Algérie auprès des Nations-Unies depuis six mois.
Il avait été nommé au poste en avril 2023 dans la foulée du retour à la tête du ministère des Affaires étrangères de son ami et camarade de promotion, Ahmed Attaf.
« Dans le choix de leurs collaborateurs, les responsables privilégient soit la confiance, soit la compétence. En rappelant Bendjama, Ahmed Attaf a réuni les deux », résume à TSA un diplomate algérien qui connaît bien les deux hommes.
Pour la diplomatie algérienne, l’alignement des planètes est favorable. En juin 2023, l’Algérie est élue membre non permanent du Conseil de sécurité pour un mandat de deux ans (2024-2026) grâce au travail fait par Nadir Larbaoui, représentant de l’Algérie à New-York depuis septembre 2021 et promu Premier ministre en avril 2023.
Pour une telle tribune, le poids et l’expérience de Amar Bendjama, 72 ans, sont nécessaires. Ce natif de Skikda fait partie de la promotion de diplomates sortis de l’École nationale d’administration (ENA) en 1975.
Il avait comme camarades Ahmed Attaf ou encore Abdelaziz Rahabi, pour ne citer que ceux-là. Sans être la pionnière de la diplomatie algérienne, c’est cette génération qui prendra le relais des « pères fondateurs ».
Le talent de diplomate du représentant de l’Algérie à l’ONU a transcendé les régimes, les présidents et les chamboulements de l’ordre mondial.
Pour résumer sa carrière, il a exercé dans plusieurs capitales qui font et défont le monde (Moscou, Londres, Bruxelles, Tokyo, Paris) et représenté l’Algérie auprès des principales organisations et blocs internationaux, l’ONU, l’Union africaine, l’Union européenne, l’OTAN et l’Unesco. Il a aussi servi sous presque tous les présidents algériens depuis l’indépendance.
Son premier poste à l’étranger, il l’a occupé sous Chadli Bendjedid en ex-URSS comme premier secrétaire de l’ambassade d’Algérie à Moscou de 1980 à 1984.
Il sera ensuite successivement représentant adjoint à l’ONU (1989-1991), ambassadeur en Ethiopie et représentant auprès de l’Organisation de l’unité africaine (OUA, future UA) entre 1991 et 1994, ambassadeur à Londres (1994-1996), à Tokyo (2001-2005), à Bruxelles (2010-2013) puis à Paris (2013-2016).
Il a alterné ces missions avec des responsabilités au sein de la hiérarchie du ministère des Affaires étrangères ; chef du bureau des visites officielles (1977-1979), directeur-adjoint des pays de l’Est (1984-1989), secrétaire général (1996-2000), conseiller sur les questions euro-méditerranéennes (2005-2009) et conseiller au cabinet du ministre (2017-2023).
Avec Amar Bendjama, la diplomatie algérienne brille au Conseil de sécurité
Durant son passage comme secrétaire général du ministère des Affaires étrangères dans la deuxième moitié des années 1990, il avait fait face avec Ahmed Attaf, chef de la diplomatie, à la campagne du « qui tue qui » qui ciblait alors une Algérie sous le feu du terrorisme.
Ceux qui l’ont approché pendant ce long parcours décrivent un homme très généreux, dans l’effort et avec son entourage. Un de ses amis se souvient que le SG du ministère avait tenu à ce que la prime qui lui était destinée, à l’issue d’une mission, soit remise à toute l’équipe qui avait fait le travail.
L’unique couac dans sa carrière, Amar Bendjama l’a connu lors de son passage à Paris. En 2016, il a été brusquement mis fin à ses fonctions pour une histoire de visas délivrés et qui ne devaient pas l’être. Il est parti en silence, mais c’était pour mieux revenir.
Depuis quelques mois maintenant, Amar Bendjama brille de mille feux au Conseil de sécurité. Les plus grands médias internationaux lui consacrent de larges espaces et ce n’est pas sans raison.
Sur la question palestinienne, il tient tête au gotha de la diplomatie occidentale, acculant à plusieurs reprises les Américains dans leur dernier retranchement, le droit de véto.
Certains de ses plaidoyers pour l’arrêt du massacre de Gaza feront date dans la solidarité internationale avec le peuple palestinien.
Amar Bendjama sait toujours trouver les mots simples mais forts pour dire à l’Occident combien il a tort dans son approche vis-à-vis de ce qui se passe en Palestine et combien son « deux poids, deux mesures » est flagrant.
« La vie des Palestiniens est également importante », a-t-il lancé en janvier dernier lorsque le Conseil de sécurité s’apprêtait à examiner avec un rare empressement une requête sur la situation au Darfour (Soudan). Ou encore « les Palestiniens n’ont d’autre lieu que leur terre », en réponse aux projets de déplacement de la population de Gaza.
On retient notamment cet engagement retentissant fait immédiatement après le véto américain contre la résolution algérienne appelant à un cessez-le-feu, le 20 février dernier.
« Ce soir, nous enterrons nos martyrs en Palestine. Demain, l’Algérie reviendra (…) pour frapper aux portes du conseil (…) Nous ne nous arrêterons pas tant que ce conseil n’aura pas assumé son entière responsabilité ».
La même constance dans l’attachement au droit international, le représentant de l’Algérie la montre aussi avec autant de calme et de sérénité quand il s’agit de défendre la cause sahraouie, face à un Omar Hilale, représentant du Maroc, nettement moins sûr de lui.
Il faut toutefois admettre que le diplomate n’a pas tout le mérite à lui seul dans cette phase brillante de la diplomatie algérienne. L’Algérie a apporté la clarté de ses positions et le poids de décennies d’engagement en faveur des causes justes. Le talent de Amar Bendjama a fait le reste.