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Maroc : Rabat cherche à décapiter la rébellion du Rif

ANALYSE. Les autorités marocaines pouvaient compter sur une trêve au Rif au moins jusqu’à la fin juillet, date à laquelle une nouvelle grande manifestation a été annoncée. Mais, une fois de plus, leurs maladresses ou leur envie d’en finir avec la rébellion ont réussi à raviver la révolte dans cette région côtière du nord du Maroc.

 

Utiliser la religion à des fins politiques

Cette fois, c’est le ministère des Affaires islamiques qui a jeté de l’huile sur le feu en voulant se servir des imams pour désactiver les protestations à Al-Hoceïma et dans ses environs. Cela fait partie des habitudes de son ministre, Ahmed Toufiq, d’utiliser la religion à des fin politiques non seulement au Maroc mais au-delà de ses frontières, à commencer par les deux enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, dans le nord du Maroc, où les imams sont sous sa tutelle.

Toufiq a demandé aux imams de la province d’Al-Hoceïma, tous des salariés de son ministère, de prononcer un prêche (Khotbat al Jomoua) reprochant aux jeunes révoltés de promouvoir la « fitna », la division parmi les musulmans. L’instruction donnée aux imams mit fin à une bonne semaine de trêve.

En effet, après la manifestation monstre du 18 mai, le gouvernement marocain avait donné des signes d’apaisement. Quatre jours auparavant, les partis de la majorité gouvernementale avaient cependant attisé les braises de la contestation en publiant un communiqué accusant les Rifains de « promouvoir des idées destructives qui sèment la discorde » et d’être des « séparatistes ».

Des projets pour calmer les choses

Une délégation de ministres et de directeurs d’institutions publiques s’est rendue dans la province délaissée pour annoncer des projets d’infrastructures et dans le domaine social, mais sans faire aucune concession culturelle et politique. Création à Al-Hoceïma d’une antenne de l’université de Tanger, réhabilitation des établissements scolaires, recrutement de 500 enseignants, réhabilitation et équipement du centre d’oncologie…Des promesses pour l’équivalent de près de 900 millions d’euros.

Mais, hier vendredi, le prêche des imams allait mettre fin à la trêve. À l’intérieur des mosquées, les accusations de « fitna » ont causé un grand malaise parmi les fidèles. À la mosquée Omar Ibn Al Khattab, dans la ville d’Imzouren, bon nombre de fidèles ont quitté les lieux pour montrer leur désapprobation.

Nasser Zefzafi, 39 ans, le leader charismatique de la révolte rifaine, était parmi les fidèles de la mosquée Mohamed VI, la plus grande d’Al-Hoceïma. Dès que l’imam a commencé à critiquer, sans le nommer, le mouvement qu’il dirige, Zefzafi se lève et lui arrache son micro. C’est lui qui prononcera alors le « prêche » accusant à son tour le « makhzen » de provoquer la « fitna ». « Est-ce que les mosquées sont faites pour Dieu ou pour le “makhzen” » ?, s’est-il indigné.

« Entrave à la liberté de culte »

Escorté par des dizaines de jeunes, Zefzafi est reparti ensuite chez lui d’où il a continué à haranguer la foule du toit de sa maison avant de fuir, à l’approche des forces de sécurité, venues l’arrêter. Peu après, le procureur général du roi à Al-Hoceïma a diffusé un communiqué dans lequel il annonce avoir ordonné l’arrestation du leader de la contestation pour « entrave (…) à la liberté de culte ».

Selon le procureur, Zefzafi avait « empêché le prédicateur de poursuivre son prêche prononçant un discours provocateur, où il a insulté l’imam, et en semant des troubles qui ont porté atteinte au calme, à la quiétude et à la sacralité de ce culte, privant ainsi les fidèles de la dernière prière du vendredi du mois de Chaâbane (…) ».

Si Zefzafi avait prononcé ces mêmes mots en dehors de la mosquée, il aurait été plus difficile, pour les autorités, de lui chercher noise. Là, il leur a fourni le bon prétexte. « Quand Zefzafi se comporte comme Al Baghdadi en plein prêche du vendredi », titre, par exemple, le journal en ligne Le 360.

Arrestations et perquisitions

Dans sa cachette, que la police cherche activement, Zefzafi a enregistré une vidéo. Il déclare qu’il se porte bien et demande à ses partisans de « maintenir le caractère pacifique des marches ». « Nous avons vaincu, et nous avons vu la peur dans leur visage », conclut-il en faisant allusion au « makhzen ».

Les jeunes d’Al-Hoceïma n’ont pas suivi ses conseils. À coups de pierre et de bâtons, ils s’en sont pris à la police, vendredi après-midi, l’obligeant parfois à battre en retraite et blessant gravement trois agents, selon un bilan officiel. Les forces de l’ordre n’y sont pas allées de main morte. Samedi matin, elles avaient déjà arrêté une bonne vingtaine de meneurs et perquisitionné brutalement bon nombre de domiciles à commencer par celui de Zefzafi.

Le pouvoir semble avoir désormais choisi la répression tous azimuts. La preuve c’est le nouveau communiqué du procureur dans lequel il affirme : « Les premiers éléments de l’enquête ont révélé que les personnes impliquées (…) ont bénéficié de transferts d’argent depuis l’étranger ainsi que d’un appui logistique pour mener des campagnes portant atteinte à l’unité du royaume et ses institutions ainsi qu’aux symboles de l’État (…) ». Or, l’État ne négocie pas avec les traîtres.

 

L’Algérie pointée du doigt

Le texte ne nomme pas l’Algérie mais c’est bien elle que le procureur semble avoir en tête. Il reprend ainsi, sans en apporter la moindre preuve, les dénonciations colportées par une poignée de journaux marocains et surtout par quelques internautes, proches du pouvoir, sur les réseaux sociaux.

Le Conseil royal consultatif pour les affaires sahariennes (Corcas) a été l’un des plus actifs sur Twitter, écrivant notamment : « Les services secrets algériens ne réussiront jamais à #AlHoceima ce qu’ils n’ont pas réussi au #SaharaOccidental ».

Les fins limiers qui parsèment les réseaux de calomnies ont même déniché qui est le chef de ces services pour le Maroc : le journaliste espagnol José Luis Navazo, marié à une marocaine, et qui depuis Tétouan écrit sur le pays où il réside pour un certain nombre de publications espagnoles. À en croire ces affirmations, les héritiers du DRS algérien ont été tellement habiles qu’ils ont placé un espagnol à la tête de leur antenne au Maroc !

La preuve des liens de Navazo avec les rebelles rifains ? Des photos le montrant en compagnie de Zefzafi non pas dans une rue étroite et sombre, mais quand, comme tant d’autres journalistes espagnols, assis à ses côtés dans le salon où il l’a interviewé.

Le journaliste espagnol José Luis Navazo avec Nasser Zefzafi

 

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