L’option du report de l’élection présidentielle du 4 juillet à une date ultérieure semble inévitable en raison de l’absence de candidats de poids et du refus populaire de la consultation électorale.
Amar Rekhila, juriste spécialiste en droit constitutionnel, a prévu, lors de son passage dans TSA Direct mardi 28 mai, que le Conseil constitutionnel, qui doit statuer sur deux dossiers de candidature déposés à son niveau, se dirige vers l’annonce de « l’impossibilité » de tenir l’élection à la date fixée, d’où l’annulation du décret relatif à la convocation du corps électoral datant du 9 avril dernier.
Le général de corps d’armée Ahmed Gaid Salah, vice-ministre de la Défense et chef d’état-major, a évoqué la tenue de la présidentielle dans « les délais les plus brefs possibles », mais n’a pas parlé de la date du 4 juillet.
Mardi, il a plaidé pour l’organisation d’un dialogue pour régler la crise politique et répondre aux revendications populaires. Le dialogue apparaît, aux yeux des observateurs, comme un préalable pour préparer le terrain à la prochaine consultation électorale en désignant une instance indépendante pour organiser et superviser le scrutin.
Mais comment faire ? Pour Fatiha Benabbou, le chef d’Etat par intérim Abdelkader Bensalah ne peut pas prolonger son mandat de 90 jours. L’article 102 de la Constitution stipule que des élections présidentielles sont organisées durant cette période. Le chef d’Etat par intérim cédera sa place après au président élu.
La Constitution n’a pas prévu le cas de non-organisation d’élections présidentielles durant le mandat provisoire du chef de l’Etat. « C’est pour cette raison que le dialogue doit avoir lieu avant la fin du mandat de Bensalah début juillet. L’idéal est que les personnalités politiques, qui ont proposé des feuilles de route de sortie de crise, se retrouvent pour dégager des initiatives. Les gens du hirak doivent aussi se concerter. Il faut s’organiser maintenant pour essayer de trouver une solution pour ne pas aller droit dans le mur », préconise Fatiha Benabbou.
La constitutionnaliste appelle à prendre exemple du groupe des nationalistes algériens qui a déclenché la guerre de libération nationale, le 1er novembre 1954. « A l’époque, ces personnalités n’avaient pas reçu le soutien d’aucun parti (avant de créer le FLN). Elles se sont organisées pour déclencher la Révolution du Premier novembre. Aujourd’hui, les gens doivent prendre des initiative », encourage Mme Benabbou.
Le dialogue peut se faire, selon elle, avec les représentants du pouvoir, pas forcément avec Abdelkader Bensalah dont le départ est exigé par la rue. « L’armée peut déléguer des observateurs au dialogue à une conférence nationale qui sera le fruit d’une initiative citoyenne. Si cette conférence sera portée par des gens intègres, par la société civile, les représentant du hirak, elle pourra dégager des solutions, une feuille de route avec des dates précises, et de créer l’instance électorale. Mais, il est important qu’elle soit souveraine avec un pouvoir de décision », plaide-t-elle.
Reporter l’élection, puis dialoguer
Pour Amar Rekhila, le Conseil constitutionnel peut produire « une fetwa » constitutionnelle pour sauver le chef d’Etat par intérim de l’impasse et éviter au pays « le vide institutionnel ».
Il propose une large lecture de l’article 103 de la Constitution qui autorise le report de l’élection présidentielle de 60 jours dans le cas du décès d’un candidat entre deux tours. « On peut faire adapter cet article à la situation actuelle parce qu’il est impossible de tenir les élections le 4 juillet. Sur le plan logistique, rien n’est encore préparé à ce vote, en plus du refus populaire de cette consultation. Et puis, l’instance d’organisation des élections n’a pas été installée. Donc, même 60 jours ne suffisent pas pour organiser la présidentielle. Il faut aller vers 90 jours, revenir en quelque sorte à l’article 102 », propose-t-il.
Le dialogue peut, selon lui, être organisé durant cette période pour préparer le terrain à une élection acceptée par tous. Allaoua Layeb, spécialiste en droit public, a, pour sa part, proposé, lors d’un débat cette semaine au Forum El Moudjahid, que le Conseil constitutionnel prononce « une déclaration constitutionnelle » permettant le report de l’élection présidentielle et le maintien de Abdelkader Bensalah à son poste jusqu’à la proclamation du vote du nouveau président de la République, « élu par le peuple », pour éviter au pays « le vide institutionnel ».
Les spécialistes en droit constitutionnel s’accordent à dire que la question de l’organisation d’un dialogue relève du politique, pas du juridique. La Constitution, selon eux, n’a rien prévu en la matière. A leurs yeux, la balle est dans le camp de la classe politique et des décideurs actuels pour trouver « les formes idoines » de la tenue du dialogue « qui rassemble tout le monde ».