Politique

« Après le 9 juillet, la solution dite constitutionnelle sera anticonstitutionnelle »

Louisa Dris Aït Hamadouche est politologue. Elle analyse dans cet entretien l’impact que continuent d’avoir sur le pouvoir les manifestations populaires, les raisons derrière les appels de dialogue du chef de l’État et du chef d’état-major ainsi que les raisons derrière l’insistance du pouvoir à organiser des élections présidentielles « dans les plus brefs délais ».

Les manifestations hebdomadaires continuent-elles à avoir un impact sur le pouvoir, seize semaines après leur début ?

Les mobilisations populaires ont déjà pour mérite d’avoir résisté à plusieurs semaines de mobilisation. D’aucuns avaient parié sur l’essoufflement de cette mobilisation, sur le fait qu’elle allait ralentir, sur le fait que le Ramadhan puis la chaleur allaient freiner les manifestants… Ce n’est pas le cas. Cela prouve d’une part qu’il y a une très forte motivation et qu’il existe un réel noyau dur qui constitue cette mobilisation.

C’est cette persistance, cette pérennité, cette mobilisation continues qui en elles-mêmes constituent une énorme source de pression pour le pouvoir en place. Les différentes décisions et annonces faites par le pouvoir politique depuis le 22 février montrent que celles-ci n’ont pas l’impact escompté à savoir soit dissuader soit convaincre les manifestants de stopper leur mobilisation. Elles ont plutôt eu l’effet inverse. Non seulement la multiplication des décisions montre que la mobilisation a un impact, mais cet impact est d’autant plus visible qu’il a obtenu des résultats palpables tels que l’annulation du cinquième mandat, l’annulation du prolongement du quatrième mandat ou plus récemment l’annulation des élections du 4 juillet.

Le chef de l’État par intérim a encore appelé au dialogue durant son discours de jeudi. Qu’espère le pouvoir en continuant à appeler au dialogue ?

Il est dans son rôle lorsqu’il appelle au dialogue dans la mesure où un pouvoir politique, lorsqu’il est acculé de cette façon par des mobilisations pacifiques avec des revendications exclusivement politiques, n’a pas d’autre choix que d’appeler au dialogue. C’est une solution qui est tout à fait logique et c’est de toute façon la solution à la situation actuelle. Il n’y a pas d’autre solution que le dialogue.

Là où le bât blesse, c’est dans le contenu, les parties prenantes et la finalité de ce dialogue. À la place de dialogue, il faudra très certainement parler de négociations. Un dialogue n’implique pas de résultat concret à obtenir, ce qui n’est pas le cas de la négociation. Il y a une difficulté du pouvoir politique à parler de négociation, et il préfère parler de dialogue qui est politiquement beaucoup plus neutre.

Pour que ce dialogue ait lieu, je crois qu’il est nécessaire qu’un climat d’apaisement soit installé, que des mesures de confiance soient prises par le pouvoir politique. Si on observe aujourd’hui un rejet de ce dialogue par les manifestants et par l’opposition, c’est parce que les conditions à l’émergence d’un dialogue serein ne sont pas encore réunies. Parmi ces conditions, on peut citer l’arrêt des arrestations arbitraires, la libération des prisonniers d’opinion ou encore la libéralisation de l’action politique en elle-même. Ce sont autant de gestes qui pourraient être complétés par la mise à l’écart des personnalités qui sont profondément rejetées par la population, à savoir le Premier ministre et le chef de l’État lui-même.

Le dialogue est donc nécessaire, indispensable et même inévitable. Sauf qu’il a besoin pour s’installer d’un climat qui met en place un niveau minimum de confiance.

Comment s’explique l’insistance du pouvoir à aller vers une élection présidentielle, même sans fixer de date ?

L’élection est la solution procédurale qu’a trouvée le pouvoir politique pour éviter toute solution structurelle, profonde et radicale. L’élection est le plus sûr moyen pour le pouvoir politique de donner l’impression qu’il y aura un changement au sein de l’État sans qu’il n’y ait de véritable changement.

Si des conditions objectives de la tenue d’une élection transparente ne sont pas réunies, il est évident que la prochaine élection présidentielle ne fera que produire un visage nouveau pour un système ancien. C’est la raison pour laquelle le chef de l’État comme le chef d’état-major insistent sur la nécessité de tenir des élections, car une élection présidentielle dans les conditions actuelles est la plus sûre façon de reproduire le système politique tout en évitant tout changement.

L’alternative à l’élection présidentielle rapide ou « dans les plus courts délais », c’est une transition démocratique. Une période durant laquelle des réformes politiques structurelles seront mises en place de façon à aller effectivement à une élection, qu’elle soit présidentielle ou pas d’ailleurs, qui soit réellement transparente, légitime et qui pour le coup sera acceptée par la population qui aujourd’hui rejette toute forme d’élection visant à reproduire le schéma existant.

Le pouvoir cherche-t-il encore à « jouer la montre » et gagner du temps en espérant l’essoufflement du mouvement, ou n’est-il plus dans cette optique ?

Un mouvement social n’est jamais à l’abri d’un essoufflement. Donc on ne peut pas dire que le pouvoir politique ne parie pas sur l’essoufflement du mouvement. Le pouvoir politique joue la montre dans la mesure où il avance pour argument principal la solution constitutionnelle à la crise actuelle. Or le mandat du chef de l’État prendra fin le 9 juillet en vertu de la Constitution, ce qui signifie qu’après cette date la solution dite constitutionnelle sera anticonstitutionnelle.

Donc je pense effectivement que le pouvoir politique tente de créer un consensus ou du moins un accord quant à cette optique d’organiser des élections « dans les plus brefs délais ». Ce terme utilisé par le pouvoir montre justement à quel point il y a urgence pour le pouvoir, une urgence liée à sa volonté de rester dans la Constitution. Tout en sachant qu’en sortant de la Constitution, on entre en période de transition. Ce que le pouvoir politique rejette, car une période de transition signifie l’acceptation de négocier dans le but de parvenir à un changement pacifique du système politique en place.

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