L’Italie continue de renforcer ses positions dans le domaine économique en Algérie. Après les hydrocarbures avec Eni, les voitures avec Fiat, le blé dur et les légumineuses avec Bonifiche Ferraresi (BF), les Italiens veulent produire des viandes en Algérie.
C’est le groupe italien BF qui a obtenu en 2024 une concession de 36.000 hectares pour produire du blé dur et des légumineuses à Timimoun dans le Sahara algérien qui porte ce projet, avec le soutien du gouvernement de Giorgia Meloni.
Le groupe veut élargir ainsi son portefeuille d’activités en Algérie à la viande bovine dans le sud. Cette entreprise détient un réel savoir-faire dans ce domaine d’où le partenariat proposé à l’Algérie.
Le 8 avril dernier, le ministre de l’Agriculture, du Développement rural et de la Pêche, Youcef Cherfa, a reçu Fabrizio Saggio, conseiller diplomatique de la présidente du Conseil des ministres italien, Giorgia Meloni.
Selon l’agence APS, il a été question du projet agricole algéro-italien en cours concernant la production de céréales, de légumineuses et de pâtes alimentaires à Timimoun mais aussi de l’élargissement de ce partenariat à la production de viande rouge, à l’initiative de la partie italienne la société Bonifiche Ferraresi (BF).
L’Algérie manque de viandes rouges en raison notamment de la sécheresse et de faiblesse de son cheptel dont le nombre a considérablement baissé ces dernières années.
Pour les deux derniers mois de Ramadan (2024 et 2025), elle s’est tournée vers l’importation pour subvenir aux besoins de la population alors que les prix des viandes locales ont atteint des records. Un kg de viande ovine locale a approché le seuil des 3.000 dinars.
La technologie BF d’élevage en milieu chaud
Le groupe BF possède 7 200 hectares de cultures en Italie et un centre d’engraissement de bovins à Jolanda di Savoia dans sa ferme principale de 3 850 hectares dans le delta du Pô.
Une zone autrefois marécageuse où dix bâtiments d’engraissement de 500 places chacun ont été installés en 2017. Dès mars 2018, ce centre a reçu ses premiers animaux et ce sont 10 000 bovins qui peuvent être engraissés chaque année.
Dès la conception de ce centre, BF a tenu à ce que les enclos soient construits pour « minimiser le stress des animaux et respecter les normes officielles de bien-être animal ». De larges ouvertures permettent une aération naturelle et des auvents de tôle protègent les animaux du soleil.
L’eau est distribuée à volonté par des abreuvoirs automatiques et la présence d’un système de ventilation « équipé de détecteurs thermiques qui s’activent automatiquement lorsque la température atteint 30 °C pour la baisser à 26-27 °C ».
Des capteurs informent en continu les travailleurs de l’étable sur les températures à l’intérieur des enclos.
Elevage, le savoir-faire de Bonifiche Ferraresi
Claudio Pennucci, le directeur agronomique, explique dans la presse locale que les jeunes bovins viennent de France. « Ils doivent avoir un passeport phytosanitaire » tient-il à préciser. À leur arrivée, les animaux ont environ 8 à 10 mois et pèsent environ 400 à 450 kg. En six mois, ils sont amenés à un poids de 750 kg puis vendus à la société spécialisée Cremonini-Inalca qui « s’occupe de l’abattage et de la transformation de la matière première ».
Toute l’alimentation est produite au niveau de la ferme. Claudio Pennucci détaille le mode d’alimentation : « La ration se compose actuellement de 1 kg de paille, 1 kg de foin de luzerne, 1,5 kg d’ensilage de luzerne, 8,5 kg d’ensilage de maïs, 5 kg de maïs grain humide aplati, 1 kg de maïs humide broyé et 1,2 kg de graine de soja ».
L’engraissement de jeunes bovins est connu en Algérie. Ces dernières années, ce sont plusieurs dizaines de milliers d’animaux qui étaient importés de France et d’Espagne avant l’arrivée de problèmes sanitaires.
En 2014, dans la région de Constantine, le docteur Sobhi Habès qui a repris la ferme familiale et son conseiller, un technicien français, insistaient sur l’importance des rations distribués aux animaux : « Les broutards sont démarrés avec du foin d’avoine et d’orge (3,5 kg par bête et par jour), de la paille et 2 kg d’orge, pour les habituer à la ration sèche. Ils passent ensuite à un régime foin (5,5 kg), blé et son, puis à une ration avec paille à volonté et aliment d’engraissement (jusqu’à 12 kg) ».
L’engraissement des jeunes bovins nécessite donc des rations comportant jusqu’à 20 kg d’aliments : paille, foin, ensilage et concentrés. Dans le cas du projet proposé par BF, ces aliments devraient être cultivés au sud avec irrigation sous rampes pivot.
Plusieurs wilayas du sud maîtrisent aujourd’hui la production de foin de luzerne, de maïs ensilage et de maïs grain. L’industrie de trituration des oléagineux produit de son côté des tourteaux de soja et de tournesol qui pourraient être utilisés par ce type d’élevage.
Cependant maïs grain et tourteaux locaux principalement utilisés dans les élevages de volailles sont loin de satisfaire la demande. Chaque année, jusqu’à 4 millions de tonnes de maïs sont importées par l’Algérie.
En février 2021, lors d’un passage à la Radio algérienne, le directeur général de l’Office national des aliments du bétail (ONAB), Mohamed Betraoui avait fait part d’importations annuelles de 4 millions de tonnes de maïs et de 1,25 million de tonnes de soja pour une valeur de 1,2 milliard de dollars.
Le défi des rations et de l’importation de veaux
Un tel projet nécessite donc d’assurer l’alimentation des animaux mais également l’importation de jeunes veaux. Contrairement au cas de la filière avicole, où les poussins peuvent être produits par dizaines de milliers dans des couvoirs, dans le cas de la filière bovine il est difficile de se procurer de jeunes veaux.
Les naissances au niveau du cheptel local ne suffisent pas.
Aussi, traditionnellement de jeunes bovins de 350 kg sont importés de France.
Pour combler le manque d’animaux, la filière espagnole a innové en se tournant vers l’importation de veaux de lait de quelques semaines. Ces animaux de moins de 100 kg non sevrés sont fragiles et sont confiés par des coopératives espagnoles à des éleveurs spécialisés.
Michel Dedenon confiait en 2014 à la revue Réussir qui consacrait un dossier à l’Algérie : « Ils [les Espagnols] achètent des veaux croisés de huit jours dans les pays de l’Est (Roumanie, Autriche, Pologne, Tchéquie) ou en Irlande et en Ecosse, qui arrivent en Espagne à 100 euros pièce. Ils les élèvent jusqu’à 480 kg, puis les expédient vers l’Algérie ».
Pour sa part, Fabien Champion, de l’Institut de l’élevage estimait à l’époque : « Le jour où l’Algérie aura intérêt politique à ouvrir ses frontières à des veaux polonais, hongrois ou autres, il y a des chances qu’ils s’implantent, comme ils l’ont fait en Turquie ».
En Algérie, l’extension de la maladie hémorragique épizootique (MCE) en France et son extension en Espagne a tari les importations d’animaux. En 2022, entre génisses et broutards français, les importations ont atteint le chiffre record de 69.000 têtes.
Une situation qui a grandement impacté la jeune filière locale d’engraissement de jeunes bovins. Et début décembre 2024, Miloud Bouadis, le président du Conseil national de la filière viande rouge en Algérie, confiait son inquiétude à Ennahar Tv : « A quelques mois du Ramadan, les étables étaient vides ». La filière locale était à l’arrêt : acheteurs, transporteurs, propriétaires de lazarets, engraisseurs, maquignons et abattoirs.
Miloud Bouadis ajoutait : « les abattoirs traitaient 200 veaux par jour et ce chiffre est passé à 2 par semaine. Les veaux abattus actuellement sont des animaux nés en Algérie ». C’est le cas de l’abattoir qu’il a construit à Rouiba en 2022.
Cultures stratégiques et viande bovine : l’Algérie doit choisir
S’il est validé par les autorités, le projet du groupe italien BF s’ajoutera à un autre plus colossal : celui lancé par le qatari Baladna en partenariat avec le Fonds national d’investissement (FNI) à Adrar, dans le Sahara algérien. Ce projet prévoit la réalisation d’une ferme géante de 270.000 vaches pour produire du lait, du fourrage et la viande rouge. Un investissement de 3,5 milliards de dollars.
En Algérie, le défi de BF et de la jeune filière locale est donc double : produire des fourrages à un prix compétitif et s’assurer d’un approvisionnement en broutards ou veaux de lait européens.
Reste la trajectoire que peut suivre le secteur agricole algérien: se concentrer sur les cultures stratégiques dont les importations se chiffrent en plusieurs milliards de dollars où tenter, à la fois, les cultures stratégiques et la production de viande bovine.
Un type de production particulièrement consommateur en eau avec sa composante fourrage. Une question qui nécessite sans doute l’expertise des spécialistes en hydraulique quant à la disponibilité future des ressources en eau du pays.