Alors qu’il entame la deuxième semaine de son opération séduction aux États-Unis – pour notamment attirer des investisseurs pour son plan de réformes économiques -, le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salmane – dit MBS – s’est entretenu mercredi, à New-York, avec des représentants de la communauté juive américaine au sujet de l’Iran, de la paix au Proche-Orient et de l’approche du royaume en matière d’antisémitisme, rapportent les médias israéliens.
L’AIPAC ( pour « American Israel Public Affairs Committee », principal lobby pro-israélien américain qui veille à maintenir l’alliance qui lie Washington à Tel Aviv depuis 1948), la Conférence des Présidents des organisations juives américaines, les Fédérations juives d’Amérique du Nord, ADL (pour « Anti-Defamation League »), AJC (pour « American Jewish Committee ») et B’nai B’rith (une organisation juive internationale) devaient être représentées au cours de cette entrevue, ont indiqué la veille les journaux israéliens Jewish Insider et Haaretz.
Il n’est d’ailleurs pas inutile de rappeler que l’AIPAC tenait début mars son Congrès annuel et a demandé à l’administration américaine plus de sanctions contre l’Iran.
Convergence d’intérêts
La peur de voir l’Iran – leur ennemi juré – s’imposer comme un leader régional et développer un programme nucléaire a poussé Israël et l’Arabie saoudite à devenir des alliés de circonstance.
« Nous sommes prêts à échanger des renseignements avec les pays arabes modérés pour stopper le danger iranien », avait déclaré mi-novembre 2017 au site saoudien Elaph, le chef d’état-major israélien, Gadi Eizenkot. Une première, largement commentée par les observateurs de la région. La perspective d’une « normalisation » n’est désormais plus taboue.
Depuis plusieurs mois, le sentiment d’encerclement croissant par son rival iranien pousse l’Arabie saoudite, et surtout le jeune prince héritier du Royaume, à revoir sa stratégie en matière d’alliances. L’accord sur le nucléaire iranien a rapproché Israël et l’Arabie saoudite sunnite. Mais quid de la « normalisation » de la relation israélo-saoudienne ?
Certes, l’influence et l’expansionnisme de Téhéran dans la région (au Liban, en Syrie, au Yémen, en Irak) inquiète Riyad et Tel Aviv. Mais un rapprochement trop marqué entre le gardien des Lieux Saints musulmans et Israël – avec lequel Riyad n’a pas de relations officielles – serait mal perçu dans l’opinion.
Les médias officiels ont préparé le terrain
À l’été 2017, le royaume avait d’ailleurs pris l’initiative de subtilement sonder la population sur les réseaux sociaux et dans les médias officiels sur la question d’un rapprochement avec l’État hébreu. Une tribune publiée dans un journal officiel anticipait d’ailleurs les critiques que pourraient éventuellement formuler les Saoudiens sur l’occupation des territoires palestiniens par Israël. « En tant que citoyen saoudien, que puis-je faire à ce sujet, vu que les Palestiniens au pouvoir ont déclaré la paix avec Israël et que d’autres Palestiniens, qui continuent à s’élever contre Israël, sont retournés vivre à Gaza, sachant [parfaitement] qu’Israël les encercle de tous les côtés ? ».
Officiellement, l’Arabie saoudite estime que tout accord de paix doit reconnaître un État palestinien à l’intérieur de certaines frontières, Jérusalem-Est étant sa capitale. Pour rappel, Riyad est à l’origine de l’initiative arabe de paix présentée en 2002 par l’Arabie saoudite (prévoyant la restitution aux Palestiniens des territoires occupés depuis 1967 pour qu’ils y installent leur État, et promettant en échange une normalisation totale des relations israélo-arabes avec la reconnaissance d’Israël par les pays de la Ligue arabe.
Dans la gestion de ce dossier, MBS sait qu’il doit subtilement avancer ses pions. Il a certes été galvanisé par le ré-alignement des États-Unis sur la politique anti-iranienne de Riyad (d’ailleurs généreusement récompensé par la signature de contrats d’un montant de 360 milliards de dollars). Il peut aussi être rassuré par la récente nomination de John Bolton au poste de conseiller à la sécurité nationale de la Maison Blanche. Mais l’allié américain a également été source d’embarras quand en décembre dernier, le locataire de la Maison Blanche Donald Trump a annoncé son intention de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël. Riyad a jugé la décision regrettable et a semblé prendre conscience des limites des initiatives américaines. Quelques jours plus tard, le Royaume refusera d’accorder des visas à des joueurs israéliens qui souhaitaient participer à une compétition internationale d’échecs, ce qui laisse sous-entendre que l’ère de la normalisation avec l’État hébreu n’est pas encore d’actualité. Symbolique mais efficace aux yeux de l’opinion.
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Certes, l’État hébreu et la monarchie saoudienne ont un ennemi commun. Mais la méfiance ne s’est toutefois pas complètement dissipée. Quelques jours avant sa visite aux États-Unis, au cours d’un entretien accordé à la chaîne américaine CBS, Mohammed Ben Salmane s’est montré – comme à son habitude – particulièrement remonté face à l’ennemi iranien. Au cours de cet entretien, il a indiqué que son pays s’équiperait de l’arme nucléaire si l’Iran le faisait. « L’Arabie saoudite ne veut pas se doter d’une arme nucléaire, mais si l’Iran développe une bombe nucléaire, nous suivrons la même voie le plus vite possible, sans l’ombre d’un doute ».
Dans la foulée, un curieux message vidéo de Loay al-Shareef – présenté comme journaliste saoudien et vraisemblablement proche de la famille royale – a été posté sur sa page Facebook, en hébreu, adressé aux Israéliens et aux juifs. Il explique qu’il ne faut pas craindre la possibilité que Riyad s’équipe de l’arme nucléaire, car elle ne serait pas une menace pour Israël, rapporte le journal The Times Of Israël.
« Alors je le leur dis, et je le dis aux Juifs : l’Arabie saoudite a-t-elle jamais menacé ses voisins ? La réponse est non. L’Arabie saoudite a-t-elle l’ambition d’élargir son territoire ? La réponse est non. Le discours du prince Mohammad concernait l’auto-défense en raison de ceux qui représentent une menace pour leurs voisins et qui aspirent à agrandir leurs territoires dans la région. Lisez avec attention les informations, vous en Israël. Merci et à la prochaine fois », selon des propos traduits et rapportés par le journal hébreu.
Flirts en coulisses
En coulisses, les rencontres se sont multipliées depuis des mois. Fin novembre 2017, Mohammed Abdelkarim Al-Issa, le secrétaire général de la Ligue islamique mondiale, le bras religieux de la diplomatie saoudienne, visite la Grande Synagogue de Paris. « Cet ex-ministre de la justice est l’un des oulémas sur lesquels s’appuie MBS dans son effort de réforme du wahhabisme, l’interprétation ultra-rigoriste de l’islam en vigueur dans le royaume », soulignait alors le journal Le Monde.
Quelques semaines plus tôt, fin octobre, un haut représentant de la dynastie saoudienne, le prince Turki Al-Fayçal, ancien chef des services de renseignements, avait participé à un débat, dans une synagogue de New York, avec Ephraïm Halévy, ex-directeur du Mossad, les services de renseignement israéliens. Un événement sans précédent au cours duquel Turki Al-Fayçal aurait, selon des propos rapportés par la presse israélienne, affirmé que c’était la première fois qu’il se trouvait dans une synagogue et qu’il espérait que ce ne serait “pas la dernière fois”.
En outre, en juillet 2016, une délégation d’hommes d’affaires et d’universitaires saoudiens s’était rendu en Israël, offrant ainsi les prémices d’un flirt diplomatique.