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Arabie saoudite : les réformes en trompe-l’œil du prince héritier MBS

Alors que la levée de l’interdiction de conduire pour les Saoudiennes est entrée en vigueur le 24 juin dernier, le caractère absolutiste de la monarchie saoudienne ne fait que s’accentuer, malgré un rajeunissement de sa direction symbolisée par le tout-puissant prince héritier, Mohammed Ben Salman.

Depuis sa désignation comme prince héritier d’Arabie saoudite en 2015, Mohammed Ben Salman, communément désigné par ses initiales MBS, mène des réformes sans précédent dans l’histoire du royaume wahhabite.

Ces réformes, faisant partie d’une stratégie appelée « Vision 2030 », ont pour principal objectif d’extirper l’Arabie saoudite de sa dépendance du pétrole.

En raison des difficultés budgétaires induites par la baisse des revenus pétroliers qui assuraient, jusqu’en 2015, près de 90% de ces recettes budgétaires, l’Arabie saoudite a fortement réduit ses dépenses publiques, notamment les subventions pour l’eau, l’électricité et les carburants.

La stratégie « Vision 2030 » prévoit aussi la vente en bourse de 5% du capital de la compagnie nationale d’hydrocarbure, la Saudi Aramco, ainsi que d’autres privatisations afin de pouvoir financer des investissements hors-hydrocarbures.

Alors que le projet Vision 2030 est essentiellement formulé en termes économiques, beaucoup de ces propositions sont aussi à caractère social, avec le développement des secteurs de la santé, de l’éducation, des loisirs et du tourisme.

Cette vision prévoit également des changements sociaux inédits dans le royaume et la promotion d’une interprétation plus libérale des normes sociales très rigoristes tirées du wahhabisme, notamment en direction des femmes.

MBS qui ambitionne de transformer la société et l’État saoudiens en profondeur, mène ces réformes d’une main de fer.

Le prince héritier ne tolère aucune forme de contestation, qu’elle émane de l’intérieur ou de l’extérieur du régime, quitte à bouleverser les traditionnels équilibres du pouvoir du royaume.

Une volonté de réforme sociale

Parmi les réformes sociales de MBS, se trouve la création d’un secteur du divertissement qui était totalement interdit auparavant dans son pays. Il y a maintenant des spectacles de danse, des festivals de bandes dessinées alors que le premier cinéma a ouvert ses portes dans le pays en avril dernier après une interdiction de 35 ans.

Une autre réforme significative de MBS, a été de limiter le pouvoir de la police religieuse. Connue officiellement sous le nom de Commission pour la promotion de la vertu et la prévention du vice, ou de « Muttawa’a » cette police est chargée de veiller au respect des préceptes du wahhabisme, y compris pour le mode vestimentaire.

Cette police très intrusive dans la vie privée des gens dont elle pouvait dicter la vie quotidienne, avait même le pouvoir de procéder à des arrestations, ce qui menait fréquemment à des abus.

Une décision du Conseil saoudien des ministres prise en avril 2016, a limité le pouvoir de la police religieuse, surtout pour ce qui est des arrestations et poursuites contre des individus dont elle juge le comportement offensant, se contentant de veiller à la fermeture des magasins durant les heures de prière et à la ségrégation des hommes et des femmes dans les restaurants.

La réforme la plus emblématique est probablement cette volonté de donner davantage d’autonomie aux femmes qui représentent en Arabie saoudite, un segment de mieux en mieux formé et de plus en plus entreprenant dans la société saoudienne.

Depuis juin, l’Arabie saoudite a cessé d’être le seul pays au monde interdisant aux femmes de conduire. Elles peuvent aussi désormais s’engager dans l’armée, créer une entreprise sans obtenir d’autorisation préalable d’un tuteur mâle, assister à des événements sportifs et obtenir plus facilement le droit de garde sur les enfants après le divorce.

Bien qu’importantes, ces réformes sur les droits des femmes demeurent incomplètes car les règles de tutelle – selon lesquelles une femme a besoin de l’approbation d’un tuteur pour voyager à l’étranger, obtenir un passeport ou se marier – sont toujours en place et demeurent le principal obstacle à l’émancipation des femmes dans le royaume.

Tandis que ces réformes, parfois présentées comme révolutionnaires mais qui sont en fait assez normales, visent à une libéralisation économique et sociale du royaume, le domaine politique reste totalement interdit.

Une monarchie qui reste absolutiste

Que ce soit pour les droits des femmes, ou la sphère religieuse, le régime saoudien veut bien faire comprendre que les réformes version MBS ne peuvent émaner que de celui-ci et que toute forme de participation politique et citoyenne est interdite.

En septembre 2017, quelques heures après l’annonce de la levée de l’interdiction de conduite pour les femmes, une quinzaine de militantes féministes ont reçu des appels des autorités leur interdisant de s’exprimer dans les médias sous peine de « procédures ».

En mai dernier, soit un mois avant l’entrée en vigueur de la levée de l’interdiction de conduire faites aux femmes, 6 militantes saoudiennes connues pour leur engagement en faveur du droit à la conduite, ont été arrêtées après avoir été accusées de porter atteinte à « l’unité nationale » et à « la stabilité du pays ».

Au-delà des militantes pour les droits des femmes, depuis septembre 2017, ce sont plus de 60 activistes, dignitaires religieux, journalistes et intellectuels qui ont été arrêtés.

Un groupe d’experts des Nations Unies a dénoncé des « motifs inquiétants d’arrestations et des détentions arbitraires généralisées et systématiques ».

Cette façon paradoxale du prince héritier de gérer le changement social, en libéralisant d’un côté et en réprimant de l’autre, lui permet en même temps de coopter les revendications des mouvements de la société civile, notamment pour les droits des femmes, tout en les empêchant de se structurer.

L’Arabie saoudite, aussi libéral que puisse être son prince héritier, reste une monarchie absolue où les citoyens sont privés de tout rôle politique.

Même les foyers de contestation potentielle à MBS au sein du régime saoudien, où la collégialité est d’habitude la norme, y compris dans le clergé et la famille régnante, sont vigoureusement combattus.

Rupture des équilibres de pouvoir traditionnels au profit de MBS

L’ascension au pouvoir du prince héritier MBS, tout comme sa gestion des affaires, s’est faite au prix d’une double rupture des équilibres de pouvoir du régime saoudien.

D’abord à l’intérieur de celui-ci, où toute contestation du prince héritier est systématiquement réprimée, parfois au mépris d’une règle importante au sein de la famille régnante qu’est la collégialité.

En novembre 2017, MBS a lancé une vaste campagne anti-corruption qui a concerné plus de 300 membres de l’élite du royaume au sein des corps de l’État, du secteur économique et des médias.

Même des membres de la famille royale et des milliardaires ont été emprisonnés ou tenus au confinement dans un prestigieux hôtel de Riyad, le Ritz, car accusés d’avoir participé au détournement de plus de 107 milliards de dollars de fonds publics.

Au-delà des questions du respect des droits de l’Homme que ces arrestations ont soulevées, beaucoup d’observateurs ont interprété ce mouvement de répression comme un moyen pour le prince héritier d’imposer son pouvoir afin d’étouffer toute contestation interne avant son intronisation à la tête du royaume.

Ces arrestations sont intervenues dans un contexte où le prince héritier cumule les fonctions de second vice-premier ministre, de ministre de la Défense et de président du Conseil des affaires économiques et du développement, marquant une transition vers un mode plus personnalisé de l’exercice du pouvoir au sein de la famille royale, au détriment de la traditionnelle collégialité.

Ensuite, c’est l’alliance de la famille Al Saoud avec le clergé wahhabite datant du 18e siècle qui a été partiellement remise en cause, car en septembre 2017, des dizaines de religieux ont été arrêtés car jugés hostiles au pouvoir.

Ce sont les parties les plus politisées du clergé wahhabite, surtout ceux appartenant au mouvement de la Sahwa, à cheval entre le wahhabisme et les Frères musulmans, qui ont fait les frais des purges du prince héritier.

Après les déclarations de MBS sur le retour à un Islam de modération, les mesures de limitation des pouvoirs de la police religieuse et celles en faveur des droits des femmes, les observateurs ont vu dans ces purges une volonté de MBS de redéfinir le pacte originel entre la famille royale et le clergé wahhabite.

Alors que ce pacte donnait aux Al Saoud le contrôle du politique et attribuait au clergé le pouvoir spirituel, le prince héritier, même pas le souverain, se donne maintenant le droit de dicter la norme sociale et religieuse dans le royaume, chose totalement nouvelle en Arabie saoudite.

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