Mohammed Ben Salmane (MBS) est prince héritier du Royaume d’Arabie Saoudite, un pays de 31 millions d’habitants, depuis juin 2017. Son père, le roi Salmane Ben Abdelaziz Al Saoud, a mis de côté son neveu, le prince Mohammed Ben Nayef, 58 ans, pour le remplacer par son fils.
Le roi Salmane a évincé, auparavant, Moukrine Ben Abdelaziz Al Saoud, premier prince héritier dans l’ordre de succession. L’idée était d’ouvrir les portes du trône « à la deuxième génération » des Al Saoud, la famille régnante.
Mohammed Ben Salmane dirige, depuis 2015, le ministère de la Défense. Il occupe le poste de vice-Premier ministre et préside le Conseil des affaires économiques et de développement qui contrôle les activités de Saudi Aramco, le géant pétrolier qui emploie presque 70.000 personnes et dont le chiffre d’affaire s’approche des 320 milliards de dollars.
Il est aussi président du Conseil des affaires politiques et sécuritaires, président du Conseil d’administration du Fonds des investissements publics (PIF) et président du Haut Conseil de la Saudi Aramco.
Sur la trace du père
La concentration de pouvoirs entre les mains de MBS a presque mis dans l’ombre le Roi Salmane, 83 ans, lui-même. A son arrivé au trône, en janvier 2015, le roi Salmane avait écarté tous les proches de son prédécesseur, le Roi Abdallah, son demi-frère.
MBS, 33 ans, marche sur la voie de son père dont il était directeur de cabinet. Mais avant d’entamer la purge, il vend au monde entier l’image d’un prince réformateur. Il met fin à l’interdiction pour les femmes de conduire des voitures, décide l’organisation de concerts de musique, autorise la construction de salles de cinéma dans le pays et permet aux femmes d’entrer aux stades de football.
MBS explique aux médias occidentaux, émerveillés, qu’il veut une « Arabie Saoudite ouverte, tolérante et modérée ». Il veut donc rompre avec l’image d’un pays fermé et conservateur.
Il chapeaute le projet stratégique « Vision 2030 », lancé par lui-même en 2016 en tant que ministre de la Défense, avant sa désignation prince héritier.
Au nom de ce projet, il propose la mise en vente de 5 % des actions de Saudi Aramco au nom « de la transparence » (les comptes et les bilans de cette société pétrolière sont tenus secrets) et l’élection d’un Conseil d’administration pour cette compagnie publique.
MBS envisage de booster l’investissement dans le secteur de l’énergie, du bâtiment, du tourisme et de l’agriculture. Il donne ordre au Fonds des investissements publics de récupérer tous les fonciers agricoles, industriels et touristiques, biens de l’État, et de contrôler les actifs de Saudi Aramco.
« L’uranium, l’autre pétrole »
Le Fonds souverain saoudien, qui serait doté de presque 2000 milliards de dollars, doit, selon lui, avoir des investissements et des participations partout dans le monde.
« L’Arabie Saoudite possède 6 % des réserves mondiales d’uranium qui ne sont pas encore exploitées. C’est un autre pétrole. Nous avons de l’or, de l’argent, du cuivre, du phosphate et d’autres minerais dont l’exploitation ne dépasse pas les 5 %. Nous pouvons créer 90.000 postes d’emplois dans le secteur minier. Il faut développer l’industrie militaire pour couvrir nos besoins à 50 %. Les futures transactions militaires seront restructurées pour qu’elles soient liées à une industrie interne. Il faut également limiter les dépenses militaires», avait-t-il déclaré à Al Arabiya.
MBS prévoit la suppression des subventions de l’État pour la consommation de l’eau, de l’électricité et des produits pétroliers. Il veut que les saoudiens deviennent propriétaires de leur maison (47 % de saoudiens possèdent leurs habitations aujourd’hui).
Et, il entend ouvrir le pays aux touristes, donner des cartes de résidences (green cards) aux étrangers, augmenter le nombre de pèlerins de la Omra (pour passer de 8 millions à 20 millions par ans) et créer le plus grand Musée d’art islamique au monde.
Al Walid Ben Talal et les autres princes
MBS, qui veut réduire les dépenses publiques, trouve qu’il existe « trop de corruption », et en novembre 2017, il propose à son père de lancer une vaste campagne « anticorruption » dans le pays.
Une dizaine de princes, quatre ministres et une quarantaine d’anciens ministres ont été arrêtés et traduits en justice. La campagne a touché le prince Al Walid Ben Talal, dont la fortune dépasse les 19 milliards de dollars, selon Forbes (il possède des parts dans plusieurs sociétés comme Citigroup, Twitter, Accor, Four Seasons, Apple, Wall Street Journal, etc).
MBS n’a pas hésité à « emprisonner » les princes dans un hôtel cinq étoile, le Ritz Carlton de Ryad, pour les humilier. Ils y resteront pendant trois mois. La libération de la plupart d’entre eux a été faite après payement de ce qui ressemble à des amendes ou à des « cautions ».
Le Roi Salmane a confié à son fils la présidence d’une Autorité anticorruption qui a des pouvoirs élargies : saisies d’actifs, gel des comptes bancaires, interdiction de voyage, émission de mandats d’arrêt etc.
Avant l’opération « Ritz Carlton », MBS a ordonné, en septembre 2017, l’arrestation d’une vingtaine d’intellectuels et d’hommes de religion, connus pour leur franc-parler et leurs critiques à l’égard du régime et des États-Unis. Le sort de ces détenus demeure inconnu puisque aucun procès public n’a encore été tenu dans le pays.
L’enlisement au Yémen
MBS, qui croit au « rôle stratégique » de l’Arabie Saoudite comme « leader du monde arabe et islamique », considère l’Iran comme « un ennemi » à abattre par tous les moyens.
Au nom de cette logique, il engage en mars 2015, en tant que ministre de la Défense, les troupes saoudiennes au Yémen, ravagé depuis 2014, par une guerre civile.
Les Émirats arabes unis, le Koweït, la Jordanie et d’autres pays arabes participent également aux opérations militaires (baptisée « Tempête décisive ») dans la seule République de la Péninsule arabique pour, officiellement, chasser les milices Houthis (chiites), accusés d’être soutenus par Téhéran (les zaidites représentent 40 % de la population yéménite).
Plusieurs organisations internationales de défense des droits de l’homme ont dénoncé les exactions contre les civils. Le conflit aurait fait déjà plus de 10.000 morts et crée, selon les agences onusiennes, une crise humanitaire sans précédent (famine, choléra, sans abris, etc).
Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU mène une enquête au Yémen pour « crimes de guerre ». Comment sortir du « bourbier » yéménite ? Ryad ne semble pas avoir de réponse pour l’instant.
Crise avec le Qatar
Les rapports de l’Arabie Saoudite avec le Qatar se sont également détériorés au point d’arriver à la rupture des relations diplomatiques. La raison est que Doha développe des rapports, plutôt positifs, avec Téhéran, Ankara et les Frères Musulmans (considérés comme une organisation terroriste par Ryad). Le Qatar, gros producteur de gaz, est devenu une puissance médiatique et diplomatique qui fait de l’ombre au grand voisin de l’Ouest. Ryad accuse Doha de soutenir le terrorisme. La crise est bien installée entre les deux pays sans voie de sortie.
L’énigme Sâad Hariri
La vision offensive, voire brutale de MBS, a créé aussi une crise inédite avec le Liban en novembre 2017 lors que le Premier ministre libanais Sâad Hariri annonce sa démission depuis la capitale saoudienne.
Quelques jours auparavant, Hariri était porté disparu. A partir de Ryad, Hariri a critiqué le Hezbollah libanais et accusé l’Iran de vouloir s’ingérer dans les affaires internes du Liban.
Ryad a démenti avoir voulu obliger Hariri à quitter ses fonctions, mais la manœuvre était tellement grossière qu’elle piétinait toutes les règles diplomatiques et politiques reconnues.
Affaire Khashoggi, point de non-retour ?
La méthode anti diplomatique de MBS, qui semble avoir la haute main sur la politique extérieure du Royaume Saoudien, aboutit à une crise majeure, celle du journaliste Jamal Khashoggi, tué à l’intérieur du consulat d’Arabie Saoudite à Istanbul, en Turquie, début octobre.
Cette affaire va probablement obliger le roi Salmane à revoir ses cartes et sa décision de confier le destin de l’Arabie Saoudite, plus grand producteur du pétrole au monde, à un prince impulsif, adepte de la méthode forte qui croyait s’offrir une impunité en se protégeant sous le parapluie américain et en se rapprochant discrètement d’Israël. Sous pression, le Roi Salmane va devoir prendre des décisions douloureuses pour sauver la réputation de son pays et redorer son image.
Quel avenir pour MBS ?
Pour le spécialiste de l’Arabie saoudite, le Roi Salmane pourrait en effet nommer un autre prince héritier à la place de MBS, qui a fait preuve d’un amateurisme inquiétant dans l’affaire du journaliste assassiné. « Je pense que l’assassinat de Khashoggi est une affaire qui a mal tourné. Je ne pense pas qu’il a eu un ordre de le tuer. Les Saoudiens ont fait preuve d’amateurisme », estime un connaisseur de l’Arabie saoudite.
L’assassinat du journaliste Khashoggi pose la question de l’avenir du prince héritier MBS. «Le Roi Salmane, qui n’a certainement pas été associé à l’affaire Khashoggi pourrait nommer un autre princier héritier et se débarrasser de MBS. En fait, tout dépendra de l’évolution de la situation politique et sécuritaire en interne et des pressions internationales », explique-t-il.
Ce spécialiste pense aussi que les Occidentaux, notamment le président américain Donald Trump, pourraient se montrer indulgent vis-à-vis du vice-roi. « MBS va sortir très fragilisé de l’affaire Khashoggi et un prince héritier fragilisé va devenir plus maniable pour Trump. Le président américain ne va pas lâcher aussi facilement MBS avec qui il s’entend bien. Donc, il est encore tôt pour prédire l’évolution de la situation en Arabie saoudite », explique-t-il.
Le Roi Salmane dispose aussi d’autres solutions pour résoudre la crise de l’assassinat du journaliste. “Il peut nommer un vice prince héritier ou un co-prince héritier, qui dégagerait plus de consensus au sein de la famille royale. Mais il est peu probable qu’il se débarrasse de MBS, qui détient beaucoup de pouvoirs dans le pays”, explique le même spécialiste.
Le prince Khaled ben Salmane ben Abdelaziz, fils du Roi Salman et ambassadeur du Royaume aux États-Unis, “pourrait être nommé vice-prince ou co-prince”, ajoute notre spécialiste. “Trump et le Roi Salmane sont les deux seules personnes qui décideront de l’avenir de MBS en fonction de l’évolution de la situation dans les prochains jours”, affirme le même spécialiste.