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Arabie saoudite : pourquoi MBS fait la paix avec ses voisins

L’Iran, la Syrie et sans doute bientôt le Yémen.  L’Arabie saoudite de Mohamed Ben Salmane dit MBS multiplie à tout-va les réconciliations avec les pays de la région avec lesquels la monarchie était en brouille depuis de nombreuses années.

Cette nouvelle orientation est totalement inattendue et semble s’être faite dans le dos des alliés traditionnels de Riyad. Là où certains voient une énième expression du caractère impétueux et imprévisible de MBS, d’autres décèlent au contraire un sens élevé du pragmatisme du prince héritier saoudien.

Début avril, Riyad et Téhéran ont surpris le monde entier, les Américains en tête, en annonçant la conclusion, à Pékin sous l’égide de la Chine, d’un accord pour le rétablissement de leurs relations diplomatiques rompues depuis 2016 et la réouverture de leurs ambassades respectives. Ce n’est pas encore le retour à une relation d’amitié, mais MBS est en train de balayer près de 45 ans d’inimitié avec la République islamique.

S’agissant de la Syrie, et après 12 ans d’intransigeance, l’Arabie saoudite a enfin donné son aval pour le retour du pays de Bachar Al Assad au sein de la Ligue arabe. La décision a été prise dimanche 7 mai au Caire.

Ce changement d’attitude frappe aussi par son caractère imprévu, sachant qu’il y a encore quelques mois, au sommet d’Alger de novembre dernier, la Syrie n’était pas représentée à cause de l’opposition de Riyad et d’autres monarchies de la région.

Avant de se réconcilier avec l’Iran et la Syrie, l’Arabie saoudite l’avait fait avec le Qatar, pays auquel un embargo a été imposé en 2017 par dix Etats menés par les Saoudiens.

Il reste le bourbier du Yémen dans lequel s’empêtre depuis 2015 la monarchie, à la tête d’une coalition également d’une dizaine de pays. Là aussi, les prémices d’un changement de cap commencent à apparaître. En avril dernier, l’Arabie saoudite a dépêché des émissaires au Yémen pour négocier avec les rebelles Houthis.

A cause de leur simultanéité, ces réconciliations ne peuvent être liées à l’évolution de chacun des conflits. Les observateurs yvoient plutôt une nouvelle orientation réfléchie et résolue de MBS.

L’Iran, la Syrie et les Houthis du Yémen font partie du même axe géopolitique, celui de Téhéran. C’est l’Iran qui soutient directement ou à travers les milices du Hezbollah libanais, le président Bachar Al Assad et les rebelles yéménites.

La nouvelle orientation procède donc d’une entreprise globale des Saoudiens de faire la paix autour d’eux. On leur prête même des velléités de se rapprocher d’Israël et de tenter d’amener ce pays à faire la paix avec les Palestiniens.

Arabie saoudite : MBS veut réussir la diversification économique

Beaucoup se demandent bien entendu pourquoi l’Arabie saoudite et son prince héritier Mohamed Ben Salmane ont découvert subitement les vertus de relations apaisées avec son entourage.

Une partie de la réponse peut se trouver dans le contexte de froid avec le protecteur américain, conséquemment à l’affaire de l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi et le départ de Donald Trump de la Maison-Blanche. Son successeur Joe Biden a promis la fin de l’impunité à l’Arabie saoudite, qui s’est aussitôt mise à initier au sein de l’Opep des décisions pas toujours conformes aux intérêts des Américains.

Donald Trump, par son franc-parler, a confirmé publiquement ce que tout le monde savait à propos du fond de la relation entre les Etats-Unis et l’Arabie saoudite.

Pour vous protéger, il faudra payer, a déclaré l’ancien président américain dans la capitale saoudienne, à laquelle il a consacré en 2017 sa première visite à l’étranger et de laquelle il était reparti avec des marchés de 400 millions de dollars pour les entreprises de son pays.

La « protection » ne pouvant se faire que contre l’ennemi iranien et son axe, le moyen le plus simple de s’affranchir de cette forme de chantage est d’asseoir une paix durable avec cet ennemi source de danger. Et quand l’Arabie saoudite se faisait attaquer par les rebelles Haouthis, les Américains n’ont pas fait grand-chose pour la protéger .

En plus de la volonté de l’Arabie saoudite de prendre ses distances avec les Etats-Unis et de déployer d’autres parapluies pour assurer sa sécurité, se trouve aussi l’ambition démesurée de MBS de diversifier l’économie de l’Arabie saoudite, trop dépendante du pétrole.

De nombreux observateurs lient en effet  la volonté de MBS d’apaiser les tensions dans la région à son projet ambitieux de moderniser et de développer l’économie du royaume.

En 2018, MBS avait affirmé que si l’Arabie saoudite réussissait son plan de mutation économique, d’autres pays suivront et le Moyen-Orient deviendra la « nouvelle Europe ». 

Le projet « Vision 2030 », initié par le prince héritier, prévoit des investissements colossaux pour affranchir le royaume de sa dépendance des hydrocarbures, un peu sur le modèle du voisin émirati, mais en plus grand.

Le plan prévoit le développement de tous les secteurs, particulièrement ceux des services et des nouvelles technologies, avec notamment la construction d’une mégapole futuriste baptisée Neom.

Aussi impétueux et imprévisible soit-il, Mohamed Ben Salmane est suffisamment sage pour comprendre que les capitaux nécessaires à une telle entreprise d’envergure n’afflueront jamais dans un environnement d’instabilité, de tensions et de vulnérabilité aux missiles, iraniens ou autres.

L’Europe et toutes les zones développées de la planète n’ont pu avancer qu’après avoir tourné la page des conflits. En parlant de « nouvelle Europe », MBS avait peut-être subtilement annoncé la paix à venir avec l’Iran et les autres.

« MBS sait très bien qu’avec des foyers de tensions autour de son pays, son projet Vision 2030 n’a pas de chances d’aboutir, c’est pour cela qu’il a décidé de faire la paix avec ses voisins », explique un connaisseur de la région du Golfe.

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