En mettant en veille la constitution du nouveau gouvernement, il était clair que c’est tout le plan de sortie de crise proposé par le pouvoir qui était abandonné. L’éclipse totale de celui qui est censé être le Premier ministre de la République cachait mal le fait qu’une autre voie était en train d’être explorée.
Près de vingt jours sont passés depuis la démission d’Ahmed Ouyahia et l’Algérie est toujours sans gouvernement. Noureddine Bedoui, le nouveau Premier ministre, et son adjoint Ramtane Lamamra devaient constituer avec une équipe de « compétences nationales ».
C’était dans la lettre du président Bouteflika du 11 mars, celle où il avait dévoilé sa feuille de route pour l’étape à venir. Trois jours après sa nomination, le 14 mars, le duo a organisé une conférence de presse, sans trop convaincre. Depuis, plus rien, si l’on excepte le périple qui a mené Lamamra dans certaines capitales européennes pour tenter de vendre la vision du pouvoir en place.
Entre-temps, le troisième gros personnage rappelé pour aider à éteindre le feu de la contestation, Lakhdar Brahimi, s’est éclipsé après avoir rencontré en catimini quelques personnes dans le salon de l’hôtel Aurassi.
Noureddine Bedoui, on ne l’a plus entendu depuis son rendez-vous raté avec la presse. D’aucuns s’étaient demandés ce jour-là si sa piètre prestation était due à ses talents limités en communication ou parce qu’on l’a fait avocat d’une cause indéfendable. Au fil des jours, on a compris que Bedoui et Lamamra étaient chargés d’une mission quasi impossible, celle de calmer les manifestants sortis dans la rue par millions sans avoir rien de concret à leur offrir, c’est-à-dire en ayant les mains liées, le véritable centre de décision étant ailleurs.
La difficulté de la mission s’est traduite par l’échec du duo à former un cabinet gouvernemental. Les observateurs expliquent qu’aucune des personnalités approchées, parmi celles qui ont gardé un minimum de crédibilité, n’a accepté de se griller en accompagnant un pouvoir finissant. On parle aussi du rejet d’une première liste proposée, faute de consensus en « haut lieu ».
Le nouveau Premier ministre pouvait toutefois puiser dans le réservoir de l’administration, comme le corps des walis ou celui des secrétaires généraux des ministères, mais il ne l’a pas fait.
Le 17 mars, quatre décrets en lien avec le nouveau gouvernement sont publiés au Journal officiel. Il s’agit des décrets mettant fin aux fonctions du Premier ministre Ahmed Ouyahia et du ministre des Affaires étrangères Abdelkader Messahel, ainsi que de ceux portant nomination de Noureddine Bedoui et de Ramtane Lamamra, respectivement comme Premier ministre et vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères.
Officiellement, il n’est donc mis fin aux fonctions d’aucun des autres membres du gouvernement Ouyahia. Vendredi 22 mars, Bedoui s’est résigné à leur demander de reprendre du service. En début de semaine passée, le ministre de l’Habitat Abdelwahid Temmar et celui de l’Industrie, Youcef Yousfi, étaient au Salon des expositions d’Alger pour l’inauguration du Salon du bâtiment.
En attendant de concocter un nouveau plan après le rejet de celui de Bouteflika par les marches du 15 et du 22 mars, les ministres du gouvernement Ouyahia étaient maintenus pour expédier les affaires courantes, sans plus. Aucune réunion du gouvernement n’a eu lieu depuis une semaine, et les ministères sont quasiment paralysés, avec les conséquences qui en découlent sur le fonctionnement de l’administration et de l’économie.
Le 25 mars, la presse a rapporté que Bedoui a envoyé une instruction à tous les ministères les instruisant de « surseoir à toute proposition de nomination ou de cessation de fonction dans une fonction ou emploi supérieurs intervenus après la date du 11 mars 2019 ».
Le lendemain, tout a changé avec la sortie du chef d’état-major de l’armée, suggérant le recours à l’article 102 de la Constitution, donc la démission ou la destitution de Bouteflika.
La « proposition » n’est pas encore mise en œuvre, mais si cela venait à être le cas, la conséquence directe sera le maintien du gouvernement pour toute la période d’intérim qui suivra le départ du président. Du moins, si l’on s’en tient aux dispositions de la loi fondamentale. Le fameux article 102 stipule que c’est le président du Sénat qui assure l’intérim de la présidence de la République. Mais l’article 104 limite drastiquement ses prérogatives et stipule surtout que le gouvernement ne peut être changé.
« Le Gouvernement en fonction au moment de l’empêchement, du décès ou de la démission du Président de la République, ne peut être démis ou remanié jusqu’à l’entrée en fonction du nouveau Président de la République. »
Si, juridiquement, toutes ces dispositions peuvent s’appliquer, politiquement, elles risquent de ne pas passer. Le maintien du gouvernement équivaudrait à confier à Noureddine Bedoui, ministre de l’Intérieur de Bouteflika, la gestion de la transition et l’organisation de l’élection présidentielle. Une raison supplémentaire pour le rejet de l’option de l’application de l’article 102, à moins que le président nomme un nouveau gouvernement consensuel, c’est-à dire accepté par la rue et l’opposition, avant de démissionner.