Les autorités ont enfin entrepris de mettre un peu d’ordre dans la jungle qu’est devenue depuis quelques années la côte ouest de Béjaïa, surnommée par les habitants la « petite Colombie », à cause de ses cabarets, discothèques et bars clandestins.
Les images des gendarmes débarquant à l’improviste et en grand nombre et des jeunes femmes emportant leurs effets et se cachant le visage ont fait le tour de la Toile algérienne. Faut-il donc s’en réjouir ?
Sans aucun doute et ce ne sont pas les habitants des localités environnantes qui diront le contraire. Au lendemain de cette descente des services de sécurité, ils sont d’ailleurs sortis dans la rue laisser éclater leur joie.
Sauf que, jubiler devant une action conjoncturelle et limitée dans le temps et l’espace risque de faire oublier que le mal est profond et trouve ses racines dans l’ambiguïté de la législation, le laxisme des autorités qui ont laissé faire pour des raisons obscures et les contradictions de la société.
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Un mauvais signal
Faut-il rappeler que cette descente applaudie par la population n’aurait jamais eu lieu sans l’action extrême menée par les riverains il y a quelques jours, lorsqu’ils ont procédé à la fermeture d’importants axes routiers ?
Un autre mauvais signal envoyé aux habitants de tout le pays et de Bejaïa en particulier où le phénomène de coupure de routes a pris des proportions insupportables ces dernières années : il faut fermer un axe routier important pour se faire entendre.
Mais là n’est pas le sujet. Il s’agit juste de se demander comment il a été possible pour des commerces d’une telle sensibilité d’exercer sans autorisation pendant des années sans être inquiétés.
On parle de la côte ouest de la wilaya de Bejaïa et non de quelque patelin enclavé au fond du désert ou de la montagne. A en croire les dénonciations des habitants, il ne s’agit pas d’une taverne clandestine ou deux, dont l’existence pourrait échapper aux autorités, mais de complexes supposément touristiques imposants, visibles et grouillant d’activités.
Enfin, on ne se contente pas d’y servir bière et spiritueux ; il s’agit de boîtes de nuits et de cabarets illégaux où se mêlent prostitution, vente illégale d’alcool, bagarres, tapage nocturne… Bref, des lieux de débauche au vu et au su de tout le monde.
L’Etat a failli. Il a attendu une révolte des riverains pour intervenir et imposer son autorité. Nul ne peut prétendre n’avoir rien vu, d’autant plus que, avant d’en arriver à l’option extrême du blocage de la route, les habitants avaient mené plusieurs actions pour tenter d’alerter l’opinion publique et les autorités locales et centrales.
L’Etat a-t-il opté pour une sorte de « tolérance » pour pallier une autre de ses défaillances, celle d’avoir découragé l’ouverture d’espaces légaux de distraction ? Regarder le problème en face, et l’aspect religieux mis à part, c’est comprendre qu’il y a une demande dans la société sur les boissons alcoolisées et les distractions nocturnes et que, de ce fait, les bars et les boîtes de nuit doivent exister, dans le respect de la loi et de l’ordre public.
Les interdits font le lit de l’informel
C’est aussi comprendre que la nature a horreur du vide et que fermer et interdire c’est faire de la place à l’informel et à toutes les déviances. Certains axes routiers sont jonchés de canettes et de bouteilles vides et la cause est connue de tous : les gens boivent dans leur voiture (ce qui constitue un autre danger grave) parce parfois ils ne trouvent pas de bars et de bistrots pour le faire.
Le gros paradoxe c’est que l’Etat algérien autorise aussi bien la fabrication que l’importation d’alcools et de vins. Devant le manque d’établissements légaux pour les écouler, s’est-on demandé où finiront toutes les quantités produites ou importées sinon dans les circuits clandestins qui échappent à tout contrôle ?
Au début des années 1930, les Etats-Unis avaient mis fin au régime de la prohibition, soit l’interdiction totale de la vente d’alcool dans les années 1920, parce qu’il a donné lieu à la prolifération des tavernes clandestines et des réseaux de trafic, dont celui du célèbre Al Capone.
En parlant de Bejaïa, il est inconcevable que cette coquette ville sur la Méditerranée, avec des atouts qui peuvent en faire une grande destination touristique régionale, ne puisse pas disposer de lieux de distraction de ce genre.
Il est plutôt demandé à l’Etat d’appliquer la loi dans toute sa rigueur et de veiller à ce que les établissements qu’il autorise ne deviennent pas source de nuisance, ne soient pas détournés de leur vocation et ne servent pas de lieux pour des activités répréhensibles, comme la prostitution, mère de toutes les débauches.
Encore une fois, la vigilance doit être permanente pour éviter de se retrouver dans des situations comme celle à laquelle les gendarmes viennent de mettre fin sur la côte ouest de Bejaia.