Un événement historique s’est produit ce mercredi à Washington, capitale des États-Unis. Pour la première fois depuis plus de deux siècles, le Capitole, siège du pouvoir législatif de la première puissance mondiale, a été pris d’assaut par des manifestants et son enceinte violée.
Il faut remonter dans l’histoire à 1814 pour trouver la dernière fois que le siège du congrès américain a été pris d’assaut. C’était à l’époque de la guerre anglo-américaine de 1812, également connue sous le nom de seconde guerre d’indépendance. Le Capitole avait été alors entièrement brûlé par les forces britanniques.
La situation qui s’est déroulée ce mercredi est totalement différente, avec un contexte complètement autre. Mais l’impact de l’incident ayant eu lieu hier est difficile à quantifier tant il révèle la fragilité du pays présenté comme la plus grande démocratie du monde.
L’incident montre également l’impact que peut avoir une rhétorique visant à instiller le doute dans l’intégrité du processus électoral, et le gouffre de plus en plus grand séparant une partie du peuple américain, peut-être près de la moitié, des décideurs et du système politique des Etats-Unis.
L’assaut du Capitole est en effet la conséquence logique d’une campagne de plusieurs mois menée par l’actuel président des États-Unis, Donald Trump. Élu en 2016 à la surprise générale sur fond de discours populiste souverainiste et grâce à une adversaire considérée comme pire par une partie de l’électorat, le président américain a vécu quatre années d’un mandat tumultueux, notamment marqué par une hostilité réciproque entre l’appareil médiatique et lui-même, ayant mené à une rupture de la confiance des partisans de Trump envers les médias traditionnels et empêché que les nombreuses informations rapportées dommageables au président américain aient un effet néfaste sur la haute estime que ses supporters lui portaient.
Alors que les élections présidentielles de 2020 se profilaient, les premiers grains de doute ont ainsi été plantés dès le mois de septembre lorsque Donald Trump a refusé de s’engager à une transition pacifique du pouvoir dans le cas où il venait à perdre l’élection organisée en novembre et l’opposant à l’ex-vice-président américain Joe Biden.
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« Nous verrons ce qu’il se passera », avait affirmé le président américain lors d’une conférence de presse. Son angle d’attaque à l’encontre de l’intégrité des élections ciblait en particulier l’expansion du système de vote par correspondance mis en place par la plupart des États américains pour faire face à la pandémie du coronavirus, permettant d’éviter que les bureaux de vote se transforment en clusters de contamination.
Historiquement, le vote par correspondance a été privilégié par le parti démocrate opposé au parti républicain du président Trump, et le président a exprimé à sa façon ses inquiétudes que l’expansion d’une telle méthode de vote donnerait un avantage décisif à son adversaire Joe Biden.
« Je me suis plaint très fortement des bulletins de vote » par correspondance, avait expliqué M. Trump. « Débarrassez-vous des bulletins de vote, et il n’y aura pas de transfert, franchement, il y aura une continuation », avait-il soutenu.
Les votes par correspondance ont cependant été maintenus, entraînant d’ailleurs quelques problèmes d’organisation dans plusieurs États afin de gérer cet afflux inédit de bulletins arrivés par voie postale.
Il a fallu ainsi plusieurs jours après les élections présidentielles du 3 novembre pour qu’un vainqueur soit déclaré. La situation a cependant été davantage compliquée par le fait que les premiers votes dépouillés dans les bureaux de vote donnaient un avantage au président sortant, avant que le décompte des votes par correspondance ne donne un avantage à Joe Biden, qui est déclaré vainqueur.
Cette confusion a offert un terreau fertile au président Trump pour déclarer sa victoire le soir même des élections lorsqu’il était présenté comme étant premier dans le décompte, avant que l’ensemble des votes ne soient comptabilisés.
« Ils sont en train d’essayer de voler l’élection », a dénoncé le président sortant. Une rhétorique qui ne s’est jamais arrêtée, au contraire. L’accusation de tentative de vol a laissé place dans les semaines suivantes à une accusation de vol en bonne et due forme de l’élection, M. Trump affirmant avoir remporté une victoire écrasante.
Le président Trump et ses alliés se sont ainsi engagés à utiliser tous les moyens pour obtenir réparation. 62 procès ont été intentés afin de renverser le sort de l’élection. Toutes les plaintes ont été classées sans suite, faute de preuves. Alors que la bataille juridique se perdait procès après procès, la bataille médiatique auprès de ses plus fervents partisans continuait à gagner du terrain.
Déconnectés de la réalité après la rupture de confiance vis-à-vis des médias traditionnels, les soutiens de Trump se sont peu à peu laissés convaincre que l’élection présidentielle a en effet été volée, ou au minimum que l’élection était entachée de sérieux doutes.
Ainsi, les sondages ont indiqué que deux Républicains sur trois estiment que les élections n’étaient pas libres et intègres. Un chiffre problématique, puisque 74 millions d’Américains ont voté pour le candidat républicain Donald Trump.
Tous les recours qui auraient pu renverser les résultats des élections ont été épuisés par Donald Trump et ses alliés, rendant l’investiture de Joe Biden comme 46e président des États-Unis inévitable. Cependant, il restait ce mercredi une dernière procédure consistant pour le Congrès américain à certifier les résultats des élections présidentielles.
Bien qu’il s’agisse d’une procédure largement symbolique prévue dans la constitution américaine, le président Trump et ses alliés se sont laissés convaincre d’accorder à cette procédure une importance que la majorité des historiens et spécialistes de la constitution américaine ont affirmé qu’elle n’existe pas.
C’est ainsi que, par désespoir de cause, une grande manifestation organisée à Washington par les partisans de Trump avec l’approbation du président sortant s’est rapidement transformée en assaut du Capitole, avec pour objectif de bloquer cette procédure symbolique mais indispensable pour certifier l’élection présidentielle.
L’enceinte du bâtiment a été largement violée et de nombreux bureaux saccagés, notamment celui de la présidente de la chambre des représentants, la démocrate Nancy Pelosi. Surtout, une manifestante a été tuée par balle par la police du Capitole alors qu’elle tentait de s’infiltrer dans une zone critique. Trois autres personnes sont mortes à cause d’urgences médicales alors que 52 arrestations ont été opérées par les forces de l’ordre, selon le bilan officiel.
La certification a finalement pu être effectuée tard dans la nuit par le Congrès ouvrant la voie à l’investiture de Joe Biden, tandis que le président Trump a indiqué être enfin disposé à effectuer « une transition ordonnée » le 20 janvier prochain.
Après le choc de cet événement inédit dans l’histoire des États-Unis, de nombreux débats devraient voir le jour afin de déterminer les responsabilités. Alors que celle du président Trump semble certaine, les regards se tourneront vers les députés et sénateurs républicains zélés ayant tenté de profiter de la colère des partisans de Trump pour tenter de faire avancer leurs propres ambitions politiques.
L’histoire se souviendra également que le président Trump, commentant l’événement au soir, aura déclaré que « ce sont ce genre de choses et d’événements qui ont lieu lorsqu’une victoire écrasante sacrée est si vicieusement et sans cérémonie arrachée des grands patriotes qui ont été injustement et mal traités pendant si longtemps. Souvenez-vous de ce jour pour toujours », a déclaré Donald Trump dans une publication sur le réseau social Twitter supprimée et censurée par la plateforme. Une décision inédite là encore.
Cependant, la plus grande interrogation réside à déterminer comment le siège du pouvoir législatif de la plus grande puissance mondiale, avec un budget militaire de 750 milliards de dollars, ait pu être pris d’assaut aussi facilement par quelques dizaines ou centaines de manifestants pas particulièrement violents.
Quoi qu’il en soit, déjà écornée, l’image de l’Amérique poursuit son irréfutable déclin sur la scène internationale.
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