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Au-delà des articles 102 & 104 : vers une Constitution provisoire limitée*

Au-delà des articles 102 & 104 : vers une Constitution provisoire limitée*

CONTRIBUTION DE LECTEURS – L’article 102 était une solution pour sortir d’une impasse constitutionnelle et établir une vérité légale qui est l’impossibilité avérée du Président sortant d’exercer ses fonctions. Cependant, du fait que l’article 102 renvoi à l’article le 104, cela nous conduit vers une autre impasse insurmontable cette fois-ci dans le cadre de la constitution de 2016. Cette impasse réside d’abord dans la transmission du pouvoir à des personnalités impopulaires de l’ancien régime politique à savoir les Présidents des Conseils de la Nation, de l’Assemblée Populaire Nationale et du Conseil Constitutionnel.

Ensuite, la constitution de 2016 est ainsi faite que l’article 104 interdit au Président provisoire de changer les membres du gouvernement, de légiférer par ordonnance, de réviser la constitution, d’appeler au référendum ou même de prendre les mesures nécessaires en cas de menace ou de de guerre. Les revendications populaires à l’intérieur du pays et l’environnement international menaçant -notamment à la frontière Est- ne nous permettent pas de s’accommoder avec l’immobilisme programmé d’un pouvoir contesté et « paralysé » la constitution.

Si nous nous en tenons strictement aux articles 102&104 nous serons obligés de subir –sans aucune marge de manœuvre et jusqu’à trois mois- le gouvernement, les lois, les institutions et les conditions électorales de l’ancien régime par excès d’attachement à une constitution qui n’a été soumise ni au débat public ni à l’assentiment populaire.

  • Pourquoi le légalisme demeure une vertu à préserver ?

Nous savons que le respect du formalisme légal est une des caractéristiques de l’Etat algérien. Même en temps de crise, nous avons constaté l’obstination du respect des formes légales à l’image de l’état-major de l’armée qui a eu comme leitmotive le strict respect de la constitution. Bien que certains pourraient voir dans ce légalisme un manque de pragmatisme politique, il semble qu’au contraire ce légalisme –correctement motivé- contribue au renforcement de l’état de droit et de l’impératif de stabilité politique. Plus l’Etat s’efforce à respecter la règle de droit -de surcroit constitutionnelle- plus il solidifie la culture de la primauté du droit et consacre l’idée saine du droit comme seule et unique règle du jeu y compris en politique. Sortir du cadre légal et constitutionnel sans passer à une nouvelle légalité constitutionnelle fragilise l’ossature de l’Etat et envoie un signal interne et externe qui endommage durablement sa légitimité et son image de marque. La flexibilité et la créativité au sein même du droit constitutionnel permet des options innovantes et éprouvées comme celle de la constitution provisoire limitée.

  • Pourquoi une constitution provisoire ?

Force est de constater que la constitution 2016 –héritage du dernier mandat de Présidence Bouteflika- ne convient plus à la situation actuelle.  La constitution provisoire sert justement à créer un cadre constitutionnel adapté et intermédiaire pour transiter d’une constitution caduc ou inapplicable afin de permettre le bon fonctionnement des institutions le temps de passer éventuellement à une nouvelle constitution. Cette constitution provisoire permet de créer une nouvelle légalité constitutionnelle pour dépasser le cadre exigu de 2016.  De nombreux pays ont opté pour des constitutions provisoires dans des phases similaires de rupture politique. C’est une pratique courante en droit comparé. Citons à titre d’exemple l’Afrique du Sud en 1993, la France en 1945, la Tunisie et l’Egypte en 2011, les pays de l’Est de l’Europe tel que la Pologne en 1992.

  • Quel serait le contenu d’une constitution provisoire ?

La constitution provisoire adaptée à notre contexte devrait se limiter à l’organisation des pouvoirs et à l’organisation des élections. Autrement dit, il serait question de l’exercice des pouvoirs exécutif, législatif et aux élections incluant l’instance électorale indépendante. Ce texte ne devrait en aucun cas toucher aux autres aspects et chapitres de la constitution (Identité, Peuple, Etat, droits & libertés, organisation territoriale etc.). Une vingtaine d’articles rédigés en moins de 10 jours – à l’instar du projet égyptien du suffiront à tracer les grandes lignes pour réorganiser les pouvoirs constitutionnels et assurer le bon fonctionnement des prochaines élections présidentielles et législatives. Ce type de constitution appelé depuis 1919 « Petite constitution » serait une réponse idéale afin de jeter les bases des institutions qui permettront d’assurer une transition légale, démocratique et contrôlée.

  • Quelle est la base constitutionnelle pour l’adoption d’une constitution provisoire ?

Etant donné l’ingénierie de la constitution 2016 qui rend impossible toute révision constitutionnelle sans la volonté convergente du Président de la République et du Parlement et considérant que le Président provisoire ne dispose pas du droit d’initier une révision constitutionnelle selon l’article 104, il ne reste donc pour l’adoption d’une constitution provisoire que l’article 7 et l’article 8 alinéa 3. Ce dernier alinéa consacre le principe du référendum comme moyen d’exercer le pouvoir constituant. Rappelons ici que le pouvoir constituant signifie justement le pouvoir du peuple de décider de sa propre constitution. C’est pour sortir des impasses crées par la constitution de 2016 qu’il est nécessaire de puiser dans l’article 8 la légitimité de permettre au peuple algérien en toute souveraineté de se prononcer sur une réorganisation provisoire des pouvoirs afin de sortir de la crise institutionnelle.

  • Comment adopter la constitution provisoire ?

L’adoption de la constitution provisoire nécessite deux étapes. D’abord la rédaction du projet par un comité technique et puis la soumission du projet de constitution dans les plus brefs délais par référendum à l’approbation du peuple. Un comité technique composé de personnalités disposant de la confiance de l’opinion publique serait la structure idoine pour rédiger ce projet. Le peuple révolté et imprégné d’un esprit de dégagisme a tout de même témoigné d’un certain crédit apporté à des juristes qui ont eu le courage de guider l’opinion publique en période de tumultes tels que Maitre Mostefa Bouchachi et les professeurs Fatiha Benabou, Walid Laagoune et Abdelmadjid Zaalani. Il existe d’autres juristes et politologues de renom et fervents démocrates qui ne sont pas médiatisés mais qui pourraient évidement tout aussi bien concourir à ce travail de rédaction. La présence de personnalités qui jouissent à la fois d’une crédibilité politique au sein du peuple algérien en plus de leur expertise technique est un élément fondamental pour s’assurer de la qualité du projet constitutionnel mais aussi du succès de l’opération de vote référendaire. Enfin, le referendum est la condition sinequanone qui donnera sa force légale et sa légitimité à la constitution qui remplacera le texte actuel adopté en 2016 par un Parlement largement contesté. Rendre au peuple le pouvoir souverain de décider n’a de meilleure illustration que le vote populaire pour une constitution démocratique.

L’adoption par référendum d’une constitution provisoire limitée est une solution constitutionnelle et pratique aux verrous de l’article 104 entré en vigueur depuis la démission de l’ex président de la République.


*Mohamed Benyettou, Chercheur en droit et politique comparés, Université de Paris Sorbonne-cité.

Mohamed.benyettou@protonmail.com

https://web.facebook.com/mohamed.benyettou.562


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