Le 18e Doha Forum a débuté samedi 15 décembre à l’hôtel Sheraton, sur la corniche ouest de la capitale qatarie, avec la participation de 2000 invités, choisis parmi les personnalités « qui font la décision dans le monde ».
« Diplomatie, dialogue et diversité » sont les maître-mots de la grande manifestation bâtie sur le principe de la multiplication des idées. Al Dafna hall, principale salle de conférences, a vu passer sur la tribune, durant toute la journée de samedi, plusieurs intervenants et speakers autour de la thématique principale choisie cette année : « Concevoir la politique dans un monde interconnecté ».
L’émir du Qatar Tamim Bin Hamad Al Thani, qui a ouvert la cérémonie animée par une journaliste d’Al Jazeera English, a rappelé que son pays est toujours attaché au dialogue dans la crise qui l’oppose à ses voisins, mais sans rien céder sur ses positions de principe.
Doha refuse toute accusation de « soutien au terrorisme », formulée par Riyad, Abu Dhabi et Manama depuis juin 2017, et ne veut en aucune manière que sa souveraineté soit remise en cause.
« Notre position est que le dialogue aide à réduire le fossé entre les parties en conflit. Le dialogue est le début et la fin. Tous les différends peuvent être réglés dans le cadre du dialogue, dans le respect, dans la non-ingérence des affaires internes des États et dans le refus de toute forme de discrimination ou de terrorisme. Aucune solution ne peut réussir en dehors d’un ensemble de valeurs humaines, consacrées après la Deuxième guerre mondiale et les décolonisations », a-t-il déclaré.
La stabilité, selon lui, ne doit pas être bâtie sur la répression et la paix ne peut s’appuyer que sur la justice, « pas sur l’occupation ».
Le Conseil de la coopération du Golfe critiqué
Le ministre des Affaires étrangères du Qatar, Mohammed Ben Abderrahmane Al Thani a, de son côté, critiqué ouvertement le Conseil de coopération du Golfe (CCG). « Le secrétariat du Conseil ne peut rien faire. Il y a des mécanisme qui sont inopérants. L’alliance régionale a été minée par la crise », a-t-il dit. Outre le Qatar et l’Arabie saoudite, le CCG comprend le Koweït, les Emirats arabes unis, Oman et Bahreïn.
Le 39e sommet du CCG s’est réuni la semaine écoulée à Riyad, mais sans aborder la crise qui oppose ses membres depuis 18 mois. Il a seulement salué la médiation engagée par le Koweït pour préparer le terrain à une réconciliation.
Le chef de la diplomatie qatarie, qui semble pessimiste, a appelé à « une nouvelle alliance régionale » pour faire face aux défis politiques, économiques et sécuritaires. Il a, dans la foulée, accusé Riyad et ses alliés de faire dans « le mensonge ».
Le Qatar, qui a claqué la porte de l’Opep, ira-t-il jusqu’à se retirer du CCG ? La question est posée à Doha. Wolfgang Ischinger, président de la Munich Security Conference, a appelé à la nécessité de rétablir la confiance en évoquant les crises du Golfe et de l’Ukraine ainsi que les attentats en Europe. « Comment faire face à toutes ces mutations ? Quid de la Chine ? De la Russie ? De la Turquie ? De l’Iran ? Comment faire pour mieux gérer les conflits ? », s’est-il interrogé. Selon lui, le rôle de l’ONU, souvent critiquée pour son incapacité à régler les conflits, doit être repensé.
Pour sa part, Teodor Viorel Melescanu, ministre des Affaires étrangères de la Roumanie, l’Union européenne, qui sera présidée par la Roumanie à partir de janvier 2019, organisera une conférence spéciale pour essayer de régler la crise entre les pays du Golfe. « Nous avons toujours considéré le CCG comme un pilier de la sécurité dans la région arabe. L’Europe doit renforcer ses relations avec les pays arabes, l’Est du continent et l’Asie », a-t-il plaidé comme pour tracer une feuille de route stratégique pour l’Europe, ouvertement attaqué par le partenaire américain.
« Condamnés à être libres »
La situation en Somalie, souvent oubliée, a été rappelée par Hassan Ali Khayre, actuel Premier ministre, qui a tenté de rassurer les présents au Doha Forum sur la pénible sortie de la guerre dans ce pays de la corne de l’Afrique, ravagé par la pauvreté et les violences depuis dix ans.
« La Somalie est soutenue par ses voisins comme l’Ethiopie, ou vivent sept millions de Somaliens, le Kenya et Djibouti. Nous essayons de redynamiser l’économie. Il faut que les médias cessent de parler de pirates et de terroristes à chaque fois que la situation au Somalie est évoquée. Nous voulons nous appuyer aussi sur la diaspora somalienne pour redresser le pays », a-t-il dit.
Assis sur un fauteuil roulant, le président de l’Equateur, Lenin Moreno, en tournée asiatique, a, de son côté, appelé, dans une allocution, à « concevoir des politiques et construire des solidarités » pour le monde interconnecté. « Je ne blâme pas la science ou la technologie. Au contraire. Sartre disait que les humains sont condamnés à être libres. Et bien, nous sommes aujourd’hui condamnés à trouver des accords et des agréments pour mieux vivre ensemble, coexister », a-t-il proposé en évoquant la nécessité de privilégier le dialogue « pour régler les problèmes ».
La lutte contre le terrorisme et le radicalisme a fait l’objet d’un autre panel avec la participation de Brett McGurk, envoyé spécial du président américain pour la Coalition globale contre Daech, et Vladamir Voronkov, secrétaire général adjoint de l’ONU, en charge du contreterrorisme. Ils ont, lors d’un débat animé par Peter Bergen de la New America Foundation, évoqué les mécaniques utilisées par les groupes terroristes, notamment en Irak et en Syrie, pour contourner les systèmes sécuritaires, mis en place pour les traquer et les neutraliser.
Mondial 2022 au menu aussi
D’autres discussions ont été organisées d’une manière parallèle notamment sur le renforcement des normes internationales dans le cyberespace (pour combattre la cybercriminalité) et sur « les conséquences de la désinformation ».
Ce débat a vu la participation du très influent Michael Rich, président de la Rand, thin- tank américain, et de Alain Gresh, éditorialiste à Orient XXI. L’Europe face aux problèmes de la région Mena (Moyen-Orient et Afrique du Nord) a fait l’objet d’une discussion marquée par la présence de Alistair Burt, ministre d’État britannique en charge du Moyen-Orient, et de Ibrahim Kalin, conseiller spécial du président turc Tayyip Erdogan.
Enfin, une partie des invités du Doha Forum (dont le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres), ont assisté, samedi soir, à la cérémonie-gala de lancement du projet du stade Lusail, dernier des huit stades prévus pour accueillir la coupe du monde de football de 2022. Situé à 15 km de Doha, le Lusail stadium aura la forme d’un fanar (lanterne traditionnelle), accueillera 80.000 spectateurs et est déjà retenu pour le match d’ouverture et finale du Mondial. L’achèvement des travaux est prévu en 2020.