Dans un camp de réfugiés palestiniens de Beyrouth, Manal Kortam expose son programme à des étudiants. Sa candidature aux législatives est toute symbolique: elle brigue un « siège palestinien » qui n’existe pas, mais profite de la campagne électorale pour dénoncer la condition de sa communauté.
Dans un pays où chaque communauté religieuse est représentée au Parlement par un quota confessionnel, Mme Kortam a imaginé une campagne pour un « siège palestinien » en vue des élections législatives du 6 mai.
« Quelqu’un devait dire: +Depuis 70 ans, il y a des gens dans ce pays qui n’ont absolument aucune place dans les politiques publiques+ », martèle la quadragénaire, piercing au sourcil, fille d’un Palestinien marié à une Libanaise.
« On existe », c’est le slogan que cette diplômée en droit international défend sur les réseaux sociaux ou pendant ses tournées dans les camps palestiniens, devenus des quartiers résidentiels au fil des ans.
L’objectif: « Créer un choc parmi les électeurs et se démarquer parmi le nombre très élevé des candidats » aux élections.
Il s’agit du premier scrutin législatif en neuf ans, le Parlement ayant prorogé à trois reprises son propre mandat, évoquant notamment des raisons sécuritaires.
« Peuple isolé »
En raison de la loi libanaise qui interdit aux mères de transmettre leur nationalité aux enfants, Manal Kortam est elle-même considérée comme Palestinienne.
Un de ses atouts: l’humour. Sur sa page Facebook, elle détourne les slogans électoraux des principaux partis. « Le pouls du peuple isolé », ironise-t-elle ainsi, ajoutant un adjectif à celui des Phalanges libanaises, un parti chrétien.
Et pour être sûre d’attirer l’attention, elle pose sur une de ses affiches électorales un chien dans les bras, ne manquant pas d’y mentionner « le siège palestinien ».
« Tous les candidats ont des programmes politiques qui parlent de justice sociale. C’est quelque chose d’important pour tous les résidents au Liban, pas seulement les citoyens », insiste Mme Kortam, en visite dans le camp de réfugiés palestiniens de Mar Elias à Beyrouth.
Plus de 174.000 Palestiniens vivent au Liban, selon un recensement des autorités libanaises. Un chiffre bien plus faible que les estimations circulant dans le pays, et qui vont parfois jusqu’à 500.000.
La présence de cette communauté a toujours été un sujet sensible sur lequel s’affrontent encore les différentes factions politiques, impliquées dans la guerre civile meurtrière de 1975-1990.
Près de 20 professions -comme avocat, médecin, ingénieur- sont interdites aux Palestiniens. Ils ne peuvent pas acheter un logement à l’extérieur des 12 camps palestiniens du Liban et 18,4% d’entre eux sont au chômage.
Un sentiment antipalestinien perdure parfois au Liban et nombreux sont ceux qui refusent qu’ils soient naturalisés.
« Droits sociaux et économiques »
Jeudi, Human Rights Watch a accusé les partis politiques au gouvernement « d’ignorer les questions des droits de l’Homme ».
Selon l’ONG, ces formations ont refusé de s’engager publiquement pour les réformes réclamées par HRW, notamment sur les droits des femmes ou sur la question des réfugiés.
« Je réclame des droits civils, sociaux et économiques, pas des droits politiques », martèle Manal Kortam, originaire de Tripoli, dans le nord du Liban, et qui parle couramment le français et l’anglais.
Elle cite notamment « le droit d’exercer n’importe quel métier, le droit à la protection sociale et à la propriété ».
Les conditions de vie sont difficiles dans les camps, marqués par la « pauvreté », le « surpeuplement » ou encore le « manque d’infrastructures », selon l’Agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens (UNRWA).
La criminalité prospère également dans ces zones où les forces de sécurité libanaises n’entrent pas. Le maintien de l’ordre y est confié à des milices armées.
« Les camps palestiniens ne devraient pas être isolés », estime Mme Kortam, appelant les municipalités libanaises à s’impliquer directement.
« Les programmes de développement libanais doivent inclure les Palestiniens », plaide-t-elle aussi, même si elle est consciente que le changement ne se fera pas du jour au lendemain.
« Que les gens soient pour ou contre, du moment qu’ils interagissent avec la campagne, c’est quelque chose de positif », dit-elle. « C’est une campagne de sensibilisation, il est normal qu’elle soulève des questions ».