Vingt-deux heures de route et 1.200 kilomètres aller-retour: chaque semaine, les familles des militants du mouvement de contestation du Hirak viennent depuis le nord du Maroc rendre visite à leurs proches incarcérés à Casablanca, dans l’attente de leur procès.
« Les familles des détenus sont épuisées, chaque semaine c’est la même épreuve. Pourquoi nous font-ils vivre ce calvaire? », s’indigne Rachid Ahbbad. Il est venu voir son fils Bilal, 19 ans, incarcéré début juin pour avoir participé aux manifestations qui agitaient alors la région.
« Nos jeunes sont sortis dans la rue pour des revendications légitimes. Les manifestations étaient pacifiques. Et ils ont été qualifiés de séparatistes », s’indigne ce commerçant d’Al-Hoceïma, l’épicentre du mouvement né après la mort d’un vendeur de poisson broyé dans une benne à ordures.
« Les familles ont besoin de soutien », souffle Amine Abdelhamid, militant des droits de l’Homme et membre du comité de soutien du « Hirak » – la « mouvance » en arabe, nom donné localement au mouvement de contestation.
Avec une poignée de militants, cet ancien prisonnier politique de 73 ans est venu participer à un sit-in devant la prison Oukacha à Casablanca, le plus grand centre pénitentiaire du royaume.
Les grandes manifestations du « Hirak » visaient à demander le développement de cette région marginalisée qui vit essentiellement du tourisme, de la pêche et de l’argent envoyé par ceux qui ont réussi à émigrer en Europe.
Les meneurs ont été arrêtés entre fin mai et juin et transférés à Casablanca. Ils ont depuis droit à deux heures de parloir par semaine, le mercredi.
Tous les mardis soir, un bus affrété par le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH), un organisme officiel, prend la route d’Al-Hoceïma et récupère au passage des familles à Imzouren, l’autre haut-lieu de la contestation.
« La souffrance, ça détruit ». Ce mercredi, Ahmed Zefzafi, père de Nasser, le leader de la contestation, est le premier à sortir. Il salue les activistes et donne des nouvelle de son fils, un chômeur de 39 ans devenu le porte-drapeau de la colère populaire avec ses diatribes enflammées contre l’Etat « corrompu » ou « l’arbitraire du makhzen » (pouvoir).
– ‘Jambes gonflées’ –
Un peu plus tard, le reste des familles franchit l’imposante porte du centre pénitentiaire et rejoint le sit-in.
« Près de la moitié des détenus en grève de la faim ont suspendu leur action », indique Soufiane El Hani, venu voir son frère.
La grève était suivie depuis cinq semaines par 38 des 49 détenus du Hirak pour dénoncer leurs conditions de détention à Casablanca et obtenir leur libération.
« Mon fils a beaucoup maigri, il a le teint pâle, arrive difficilement à parler. Il a perdu 29 kilos. On dirait un cadavre. J’ai essayé de le convaincre de s’alimenter mais il refuse », se désole la mère de Mohamed Jelloul, une figure connue du mouvement qui a décidé de poursuivre sa grève de la faim.
« Je fais le trajet chaque semaine. J’ai les jambes gonflées. On sent la hogra (injustice, mépris), une grande hogra », se lamente-t-elle, toute de noir vêtue.
La mère de Nabil Ahamjik, autre figure du mouvement, est tout aussi inquiète pour la santé de son fils qui refuse toujours de s’alimenter.
« J’ai beaucoup de peine pour lui et les autres détenus. Nous voulons qu’ils soient libérés, ils n’ont fait que demander leurs droits », murmure-t-elle, l’air désemparé.
« C’est un mouvement juste », martèle Amine Abdelhamid, venu pour « faire pression sur les autorités pour qu’elles libèrent l’ensemble des détenus politiques du Hirak, emprisonnés arbitrairement ».
Poursuivis pour « atteinte à la sécurité intérieure de l’État », « tentatives de sabotage, de meurtre et de pillage » ou « conspiration contre la sécurité intérieure », les manifestants, âgés de 20 à 40 ans, risquent jusqu’à 20 ans de prison.
Plus tard, le bus reprend la route. Les familles forment de la main un rapide « V » de la victoire aux militants.