L’arrivée à la tête du Zimbabwe d’Emmerson Mnangagwa qui, pendant 37 ans a mis en oeuvre sans sourciller la politique répressive de Robert Mugabe, n’augure rien de bon pour les droits de l’Homme dans le pays, relèvent activistes et simples citoyens.
« Nous ne voulons pas qu’un dictateur remplace un dictateur ! », résume Oscar Muponda, homme d’affaires à Harare interrogé par l’AFP au lendemain de la démission du plus vieux dirigeant au monde, 93 ans.
Robert Mugabe, bouté hors de la présidence sous la pression de l’armée, de la rue et de son propre parti, a dirigé le Zimbabwe d’une main de fer dès son indépendance en 1980. Répression des opposants, censure, fraudes électorales… il n’a pas lésiné sur les moyens pour se maintenir au pouvoir.
Sous sa tutelle, « des dizaines de milliers de personnes ont été torturées, ont disparu ou été tuées », selon Amnesty International.
Emmerson Mnangagwa, qui doit prêter serment vendredi à la tête de l’Etat, a été « l’un des acteurs principaux » de cette politique, souligne Dewa Mavhinga, le directeur pour l’Afrique australe de l’organisation Human Rights Watch (HRW).
Celui que les Zimbabwéens appellent « le crocodile », âgé de 75 ans, a occupé plusieurs postes ministériels dès les premières années du règne Mugabe.
Il était notamment le chef de la Sécurité nationale en 1983, quand les forces armées ont mené une campagne meurtrière de répression dans les provinces dissidentes du Matabeleland (ouest) et des Midlands (centre). Selon un bilan non officiel, elle aurait fait au moins 20.000 morts.
– ‘Sang sur les mains’ –
Lors des violences électorales de 2008, qui ont poussé l’opposition à se retirer du scrutin présidentiel, « il était un des chefs militaires aux commandes », ajoute M. Mavhinga.
Pour lui, il est « probable » que l’ancien vice-président conserve les mêmes méthodes, afin de « protéger ceux qui se sont rendus coupables de ces abus ».
M. Mnangagwa « n’est pas un ange, pas un démocrate. C’est un vieux politicien qui a du sang sur les mains », souligne Anthoni Van Nieuwkerk, de l’université du Witwatersrand à Johannesburg.
C’est pourquoi « il bénéficie d’un large soutien dans les rangs des militaires et du parti au pouvoir », estime-t-il.
L’armée et la Zanu-PF, piliers du régime Mugabe et accusés de multiples exactions, n’ont en effet pas intérêt à ce que le nouveau président déterre les cadavres du passé.
Militaires et membres du parti ont donc joint leurs forces pour contrer l’ascension de l’incontrôlable épouse de Robert Mugabe, Grace, et s’assurer qu’Emmerson Mnangagwa, un des leurs, accède à la fonction suprême.
Les Zimbabwéens ne s’y trompent pas.
« Nous avons changé de chef, mais nous n’avons pas changé de régime », regrette Leek Wid, un vendeur de rue. « Il nous faut de nouveaux dirigeants, parce qu’on a juste changé de tête mais que tous les autres sont les mêmes ».
– ‘Elections libres’ –
Pour obtenir un vrai changement, il faut aller aux urnes, souligne Alan Boniface, également marchand sur les trottoirs de la capitale. « Nous sommes satisfaits de ce que l’armée a fait », dit-il, « maintenant nous voulons des élections pour choisir le chef que nous voulons, nous les Zimbabwéens ».
Washington et Londres ont appelé à l’organisation d’élections « libres et équitables » au Zimbabwe, soulignant que le pays avait « l’opportunité d’emprunter une nouvelle voie » plus démocratique.
Problème, relève Munyaradzi Chihota, un homme d’affaires de 40 ans, « avec la Zanu-PF qui reste au pouvoir, je ne vois pas comment nous pourrions avancer ».
Alors, à défaut d’espérer de grands changements dans l’arène politique, les Zimbabwéens se rabattent sur l’économie. Dans un pays en ruine, où 90% de la population est au chômage, ils attendent de leur nouveau dirigeant qu’il les sorte de la crise.
« Soulagé » du départ de Robert Mugabe, Patrick Moyo, 38 ans, met en garde contre Emmerson Mnangagwa.
« On ne doit pas oublier son passé, ce n’est pas le plus propre des leaders », dit-il. « Espérons qu’il parvienne à redresser l’économie. Ca doit être la priorité ».