Alors que s’ouvre le salon automobile de Shanghai, le marché automobile chinois a encore déjoué tous les pronostics. Ce marché atypique et ultra-compétitif est devenu le terrain de jeu des marques locales là où les grands groupes mondiaux avaient pourtant acquis de solides positions. Ceux qui n’ont pas su anticiper la très brutale transformation du marché y laissent déjà des plumes…
Le marché automobile chinois est plein de surprises… L’année 2016 n’a pas dérogé à la règle. Avec une croissance de près de 14% des immatriculations, le premier marché automobile du monde ne s’est pas contenté de faire mieux que les attentes, il a explosé les pronostics qui tablaient sur une performance autour de 5%. Ce résultat n’est pas seulement une surprise, c’est un véritable rebond après deux années de fort ralentissement où le marché avait crû de 7% environ par an. En 2016, le marché chinois a donc repris le rythme des années précédentes là où il était acquis aux yeux de tous que la tendance serait au ralentissement. Les constructeurs priaient d’ailleurs pour que la baisse ne passe sous le seuil de 5%. Si bien que les analystes, eux, s’inquiétaient des surcapacités industrielles, fruit des investissements massifs des années de croissance à deux chiffres. Pour éviter de faire tourner les usines à vide, les constructeurs se sont livrés à une violente guerre des prix. Mais tous ces pronostics ont été déjoués…
De la volatilité d’un marché insaisissable
Les analystes ne savent plus comment appréhender le marché. Certains ont même renoncé à livrer de nouvelles prévisions. De son côté, si PwC Autofacts admet sa surprise, ses analystes ne renoncent pas pour autant à la trajectoire qu’ils ont modélisé sur le long terme. « Nous maintenons notre prévision d’un marché autour de 34,7 millions de véhicules en 2023, ce qui portera la croissance moyenne à 3,7% par an au cours des 6 prochaines années. Maintenant, ce n’est qu’une moyenne, il est difficile de dire s’il y aura des années de croissance à +5% ou des exercices en recul… », explique François Jaumain qui est associé chez PwC Autofacts en charge du secteur automobile
Guillaume Crunelle, associé spécialiste automobile chez Deloitte, suggère, lui, de changer de méthodologie :
« Le vrai driver qui va désormais nous intéresser ces prochaines années sera le taux d’équipement. Or, si celui-ci est encore extrêmement bas, il faut néanmoins l’analyser sous deux angles : celui des classes moyennes des villes côtières, et celui des villes moyennes de l’intérieur des terres. C’est dans ce dernier que réside le potentiel de croissance. »
En clair, le marché automobile chinois est un marché extrêmement volatile et il est vain de vouloir coller à une tendance de court terme, le salut passe par une conviction de long terme car le potentiel existe !
Les marques chinoises s’accaparent l’essentiel de la croissance
En attendant, ce sont les constructeurs étrangers qui trinquent, au premier rang desquels le groupe français PSA. Ses ventes, qui avaient déjà beaucoup souffert en 2016 (-17%), ont accéléré leur chute sur les deux premiers mois de l’année (-38% pour Peugeot, et -64% pour Citroën). Pourtant, le marché, lui, est en hausse. Encore ! Il a grimpé de 10% entre janvier et février !
- Lire notre analyse : En Chine, la descente aux enfers de PSA s’accélère
Pour essayer de comprendre, il faut se souvenir que le marché automobile chinois a connu une triple bascule en 2015 que les marques étrangères avaient mal (voire pas du tout) anticipé.
Le maillage du territoire, clé de l’expansion
Ce sont en réalité les marques chinoises qui s’accaparent l’essentiel de la croissance. Elles détiennent désormais plus de 45% du marché, là où elles plafonnaient sous les 30% il y a encore trois ans. D’abord, parce qu’elles ont un meilleur maillage du territoire, y compris dans les régions les plus reculées. Or, c’est là que se situent les gisements de croissance. La Chine côtière est saturée d’automobiles, et les grandes agglomérations appliquent de toutes façons de très fortes restrictions d’achats. Pour les marques automobiles étrangères, l’intérieur des terres est un marché totalement différent. Le pouvoir d’achat est bien moindre que sur la côte.
Les grands groupes réalisent qu’ils ont persisté avec un modèle de distribution fondé sur des réseaux de concessions qui est devenu obsolète. Pour Guillaume Crunelle, le sujet est devenu prioritaire :
« L’enjeu numéro un du marché chinois sera la capacité des constructeurs à structurer des réseaux de distribution rentables. Ils ont très peu investi dans leurs réseaux en dehors de la côte maritime. »
Mais, face à la difficulté de mailler un territoire comme la Chine, les constructeurs s’interrogent sur le bien-fondé d’un réseau en dur.
« La moyenne d’âge d’un acheteur en Chine se situe autour de 35 ans, c’est une génération largement habituée au digital, et qui a déjà pris sa décision d’achat sur internet en arrivant en concession », reconnaît-on chez PSA qui veut être plus offensif sur Internet.
Pour Hadi Zablit, directeur associé du Boston Consulting Group (BCG), ce sujet doit être pris au sérieux par les constructeurs :
« Le modèle de distribution classique n’est plus suffisant. Il faut être présent aussi à travers de nouveaux supports si les marques veulent sécuriser une bonne performance commerciale. »
L’incroyable engouement des Chinois pour les SUV
L’autre changement de paradigme, c’est la soudaine et irrépressible affection des consommateurs chinois pour les SUV. La bascule a été absolument spectaculaire. Ce segment a encore augmenté de 38% sur les deux premiers mois de l’année 2017 pour atteindre plus de 44% du marché (25% en Europe). Là encore, les constructeurs étrangers n’ont rien vu venir. Jusqu’en 2013-2015, ils abreuvaient leurs concessions de grandes berlines statutaires avec des empattements très longs. Et il est vrai qu’à l’époque, les Chinois en raffolaient. Ce segment ne cesse pourtant de baisser depuis 2015 au profit des SUV, et pourrait même voir sa part de marché descendre sous le seuil de 33% avant 2020 d’après des projections de l’institut de conseil IHS Markit, contre plus de 42% du marché en 2010.
« Certaines marques ont même supprimé tout ce qui n’était pas un SUV dans leur catalogue », nous confie un analyste automobile.
L’impressionnante montée en gamme des marques chinoises
Dernière nouveauté toute aussi spectaculaire, l’impressionnante montée en gamme des constructeurs chinois. Ce constat fait l’unanimité chez tous les observateurs de l’automobile chinoise. Toutes les marques locales sont parvenues à améliorer la qualité de construction de leurs voitures en peu d’années. Les grands groupes (BAIC, DongFeng, Geely, BYD…) bénéficient des transferts de technologie obtenues à travers les joint-ventures nouées avec les marques étrangères. Elles ne se sont évidemment pas gênées pour incorporer ce savoir dans leurs process industriels. Et tout cela, à vil prix ! Les marques chinoises affichent des prix de 30% à 40% moins chers que ceux d’une marque généraliste étrangère… Imbattable !
C’est ce qui fait dire à Guillaume Crunelle que le marché chinois est le « marché le plus compétitif du monde ». « Une baisse de prix de 1% impacte directement le taux de marge », illustre-il. François Jaumain, lui, estime que ce modèle devrait s’atténuer avec le temps :
« Le marché augmente plus vite que la hausse des capacités, les constructeurs ont largement revu à la baisse leurs investissements et restructurent leurs usines, ce qui laisse penser que la problématique des surcapacités va s’atténuer dans le temps et cessera d’alimenter la guerre des prix. »
Un consommateur devenu exigeant
A cela, il faut ajouter la montée des exigences du consommateur chinois. Il y a encore deux ans, certaines marques pensaient qu’il suffisait de lancer un produit pour vendre… Certaines lançaient même plusieurs produits sur le même segment. « Il y a de la place », répondaient-elles… Mal leur en a pris, elles contemplent désormais le succès des produits bien ciblés.
« La Chine n’est plus un marché de recyclage de modèles occidentaux, c’est un marché qui a ses spécificités et qui a conscience de son importance, il est désormais désireux d’imposer ses critères », souligne Guillaume Crunelle de chez Deloitte.
Pour Hadi Zablit, du BCG, les marques chinoises ont même pris un coup d’avance en matière d’innovation…
« Les marques chinoises ont fait d’énormes efforts qualitatifs, mais plus encore, elles ont joué la carte de la connectivité davantage que ne le font les marques étrangères. De ce point de vue, elles proposent des produits branchés qui sont en phase avec la demande locale… Le pari en Chine est de parvenir à placer la voiture dans l’écosystème connecté du consommateur ».
Enfin, pour ne rien arranger dans les plans des constructeurs, le marché automobile chinois reste extrêmement tributaire des politiques publiques. Fin 2015, le gouvernement mettait en place un allégement fiscal sur les cylindrées de moins de 1,6 litre. Ce dispositif a été un vrai stimulant, mais il pourrait être progressivement retiré, ou du moins, atténué cette année. « On peut craindre un impact artificiel qui s’estomperait aussitôt à l’échéance de la mesure. Ce type de dispositif ne fait que renforcer le caractère imprévisible du marché automobile chinois », juge François Jaumain de PwC Autofacts.
Vers une consolidation du marché ?
Le marché automobile chinois est en train de livrer une véritable leçon aux constructeurs automobiles étrangers, même les plus puissants. « Les Chinois changent les règles du jeu », reconnaît Hadi Zablit (BCG). Certes, il s’agit d’un marché à fort potentiel de volumes, mais qui sera plus sélectif et exigeant. En 2016, le marché a vu arriver plus de 150 modèles différents faisant de ce marché l’un des plus chargés en termes de références catalogue. Dans ces conditions, la prochaine étape pourrait être une consolidation du marché. Sur les 106 marques implantées en Chine, les 15 premières ont commencé à resserrer les rangs avec une part de marché qui est passée de 57% à 62% en quatre ans, d’après le BCG. Un petit mouvement mais qui, s’il est confirmé, pourrait bousculer toute l’industrie automobile chinoise sans crier gare… C’est la seconde leçon du marché chinois : ici, tout va très vite, et sans prévenir.
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