Après les SUV compacts et citadins, les constructeurs automobiles généralistes sonnent la charge sur le segment des grands SUV, jusqu’ici préempté par les marques premiums. Une véritable rupture dans les stratégies des marques qui jusqu’ici n’envisageaient pas d’aller au-delà des 4,60 mètres. Ce virage pourrait être très bénéfique pour elles…
Quand s’arrêtera donc la folie des SUV ? Après la croissance exponentielle de ces 4X4 urbains popularisés par le Nissan Qashqai, puis par l’irruption fulgurante des SUV dits citadins incarnés par le Renault Captur, voilà que les constructeurs s’essaient déjà à une nouvelle segmentation. Le grand SUV, ou SUV de segment D, c’est-à-dire celui dont la longueur dépasse, grosso modo, les 4,60 mètres.
De nombreuses nouveautés
Le phénomène en est encore à ses balbutiements, mais les constructeurs automobiles multiplient les modèles et réfléchissent à aller encore plus loin. Chez Renault, le Koleos a été renouvelé dans une configuration de segment D. Skoda a lancé le Kodiaq. D’autres encore ont choisi un moyen détourné. Plutôt que d’aller franco sur le segment D, ils ont inventé une offre proche. C’est le cas de Peugeot avec son 5008, un SUV 7 places. Idem chez Volkswagen avec son Tiguan Allspace.
Chez Citroën, il est encore tôt pour parler d’un SUV de plus de 4,60 mètres. La marque entame à peine la relance de sa propre gamme SUV. Elle vient de présenter le C5 Aircross pour le segment des compacts, et s’apprête à présenter le C3 Aircross, pour le segment des SUV citadins. Le déploiement de cette gamme doit se faire sur deux ans, et les années suivantes verront le déroulement d’autres modèles hors SUV. Il y a encore quelques mois, la marque n’envisageait pas d’aller plus loin. Désormais, des cadres en interne affirment explorer l’éventualité d’un plus gros SUV. Chez Peugeot, la question est également sur la table.
“Jusqu’à maintenant, l’offre de SUV sur le segment D était essentiellement constituée de marques Premium, à hauteur de 70% des volumes, alors que nous avons une réelle légitimité en termes de prix et de savoir-faire”, explique Jean-François Reynaud, directeur marketing chez Renault, en charge de Koleos.
Les premiums dans le viseur
Face aux Porsche Macan, Audi Q5, Mercedes GLC, et BMW X4, l’offre généraliste paraissait en effet bien pauvre dans cette catégorie. On n’y trouvait guère que des marques spécialisées dans ce type de carrosserie comme Jeep et son Wrangler, Nissan et son X-Trail et Mitsubishi et son Outlander. Il existait donc un espace à combler pour les marques généralistes. “Il y a un trou dans l’offre SUV en termes tarifaires sur la tranche 28.000 à 45.000 euros”, estime Jean-François Reynaud.
De son côté, Laurent Blanchet observe également cette évolution du marché : “il y a un double mouvement, les marques premium descendent dans les segments inférieurs tandis que les généralistes comme Peugeot cherchent à monter en gamme”.
Il pourrait bien s’agir du dernier acte de l’enterrement des monospaces dont les consommateurs ne veulent plus. “Le monospace reste un produit attractif, mais qui n’est jamais sorti de son côté père de famille”, juge Jean-François Reynaud. Pour Laurent Blanchet, “le SUV 7 places doit permettre de résoudre le dilemme du consommateur d’avoir un produit valorisant sans pour autant renoncer à sa famille”. “Il donne ainsi la modularité que ne permet pas le SUV compact”.
Une image statutaire
Le 5008 permet ainsi d’avoir trois rangées de sièges coulissants et rabattables, pour adapter la configuration intérieure en fonction de la taille de la famille ou tout simplement pour passer en mode vacances ou déménagement.
Autrement dit, le SUV de segment D permet d’avoir les avantages du monospace sans l’étiquette de voiture familiale. Jean-François Reynaud va encore plus loin en estimant que ce segment a “une vraie connotation statutaire”.
Pour les constructeurs, le grand SUV a un autre avantage non négligeable… Il est très facilement exportable. Comme le rappelle Laurent Blanchet, “c’est un segment très profitable et très important à l’international, notamment en Chine… Aux États-Unis, c’est presque le cœur de gamme” ! L’exemple le plus frappant c’est le cas Nissan. Si la marque japonaise est plus connue en Europe pour son Qashqai, son produit le plus vendu au monde reste le X-Trail. Ce dernier s’est vendu à environ 600.000 voitures dans le monde en 2016. En comparaison, il ne s’est vendu que 90.000 X-Trail en Europe en 2016 contre 274.000 Qashqai. Mais chez Nissan, la tendance est déjà bien concrète : les ventes de X-Trail en Europe se sont envolées de 24% sur un an, tandis que celles du Qashqai ont augmenté de “seulement” 9%.
Des volumes rikiki, mais une dynamique très prometteuse
D’après les données compilées par AAA Data, la part des SUV de segment D en France est encore mineure puisqu’elle ne dépasse pas les 2,51% du marché total en 2016. En revanche, on note une nette dynamique des ventes. En deux ans, les ventes ont augmenté de 62% ! Certes, les volumes restent encore dérisoires avec 50.000 ventes en 2016, il n’empêche, ils étaient d’à peine 10.000 immatriculations en 2014, toujours d’après les données livrées par AAA Data.
Mais le SUV n’attirerait pas les constructeurs s’ils n’avaient pas un impérieux intérêt économique. En fait, cette catégorie de voiture permet d’aller chercher une zone tarifaire au-dessus de leur zone traditionnelle. D’autant plus que face au déclin des monospaces, mais également des grandes berlines, les marques généralistes étaient de plus en plus plafonnées sur le segment C. C’est d’autant plus bénéfique qu’en général, ces voitures sont construites à partir de la même plateforme que celles du segment C, ce qui permet de contenir largement les coûts. Ainsi, le Qashqai et le X-Trail partagent la même plateforme. On peut d’ailleurs y ajouter les Kadjar, Espace, Talisman et Koleos de l’allié Renault.
Un modèle économique vertueux
De plus, cette catégorie “statutaire” permet de faire le plein de finitions premium et d’options en tous genres. La boite automatique est privilégiée, elles sont également bien pourvues en puissantes motorisations. Enfin et surtout, le SUV de segment D est largement choisi avec l’option quatre roues motrices là où cette option ne figure que pour moins de 20% des achats (dans le meilleur des cas) de SUV de segment C.
Les marques généralistes qui étaient encore totalement absentes des SUV il y a dix ans, sont donc à l’offensive sur le segment des grands SUV après avoir conquis le segment C et avoir inventé le segment B. Iront-ils jusqu’à attaquer le segment E où règnent encore les Volvo XC90, Porsche Cayenne, Land Rover Discovery et autres Audi Q7 ? La question se posera peut-être, mais pas avant de nombreuses années…
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