D’aucuns ont un peu trop vite crié victoire après le lifting apporté par le président Bouteflika, lors du dernier conseil des ministres tenu mardi 5 juin, au projet de loi de finances complémentaire (PLFC) 2018.
La nouvelle a satisfait une bonne partie de l’opinion publique algérienne qui, avec la décision présidentielle de retrait de toute augmentation de droits pour les documents biométriques, n’aura plus à payer plus cher un service qu’elle avait l’habitude de s’offrir à moindre frais.
Passons sur le fait que certains sceptiques n’ont rien vu d’autre dans ce rétropédalage qu’un petit jeu de rôle entre le président et son Premier ministre pour permettre au premier de se donner l’image du bon père de la nation et récolter, du coup, quelques dividendes politiques.
Dans cette affaire, les pouvoirs publics ont donné l’air d’avoir accédé à une doléance des citoyens qui, depuis l’ébruitement de l’avant-projet de loi de finances complémentaire, ne rataient aucune occasion pour laisser libre cours à leur exaspération sur les réseaux sociaux.
Certes, les Algériens n’auront plus à renouveler leur carte d’identité en payant 2500 DA pour les droits de timbres ou 10 000 dinars pour le passeport de 28 pages et 50 000 dinars pour le passeport de 48 pages.
Des frais qu’ils ne payeront qu’une fois les dix ans mais cela reste tout de même une petite bouffée en ces temps de vaches maigres où le pouvoir d’achat de pans entiers de la société algérienne a subi une chute drastique.
Le hic est que le maintien de bon nombre de mesures contenues dans la LFC 2018 autrement plus préjudiciables au pouvoir d’achat des Algériens n’a fait l’objet de critique ni soulevé la moindre tempête.
C’est le cas par exemple de l’institution d’un « droit additionnel provisoire de sauvegarde applicable aux opérations d’importation de marchandises mises à la consommation en Algérie. Le taux de droit est fixé entre 30% et 200% », comme il est précisé dans l’article du chapitre 3 du Projet de loi de finances complémentaire.
Pour le moment, on ne connait pas la liste des marchandises soumises à ce droit mais, à n’en point douter, les premiers à subir les contrecoups de cette taxe imposée aux produits importés et consommés régulièrement, ce seront les consommateurs qui seront amenés à payer 30 à 200 fois plus chers les produits concernés.
On se souvient de l’épisode de l’interdiction début 2017 de l’importation de la pomme qui a vu le prix de ce fruit, y compris la variété locale, connaître une hausse vertigineuse sur les marchés algériens.
Ainsi, après avoir tenté de juguler les importations, en instituant des licences, le gouvernement algérien a passé la vitesse supérieure en interdisant carrément l’importation de certains produits avant de surprendre son monde par cette nouvelle trouvaille qu’est la taxation jusqu’à 200% de certains produits.
Déplumer les Algériens
Or, la production locale ne peut absolument pas, dans les conditions présentes du moins, supplanter les produits importés. Aussi, toute surtaxation ou interdiction d’un produit importé sera subie non pas par l’importateur mais plutôt par le simple consommateur.
Autre exemple de mesure contenue dans le Projet de loi de finances complémentaire et qui ne manquera pas de déplumer les Algériens : l’imposition d’une TVA de 19% pour les véhicules montés en Algérie. Initialement, il était prévu d’appliquer cette TVA aux collections CKD et SKD destinées aux usines de montage automobile. Mais le gouvernement a frappé fort.
« Les exonérations de la TVA accordées en vertu des dispositions de l’article 61 de la loi de finances complémentaire pour 2009 et de l’article 18-2 de la loi n° 16-09 du 03 août 2016 relative à la promotion de l’investissement, au titre de la commercialisation des véhicules fabriqués localement, cesseront de produire leurs effets à compter de la promulgation de la présente loi », lit-on dans l’article 06 de la LFC2018.
Une mesure qui aura des conséquences immédiates si elle est adoptée: les prix des véhicules sur le marché de l’automobile repartiraient à la hausse après avoir connu une sensible baisse suite à la divulgation mi-mars dernier par le ministère de l’industrie des prix de sortie d’usine des véhicules légers fabriqués en Algérie.
Nombre de constructeurs ont alors baissé les prix des véhicules montés localement. Mais avec cette nouvelle taxe, les constructeurs automobiles, qui ont déjà rogné sur leur marge bénéficiaire, vont, à coup sûr, procéder à l’augmentation des prix des véhicules neufs.
D’abord parce que dans la fixation du prix de leur produits, ils ont certainement intégré l’exonération de la TVA pour une période de 5 ans. Ensuite, ils ne sont pas du tout associés à cette décision qui ne manquera pas d’influer sur le coût de production de leurs véhicules. Dans cette affaire, les constructeurs ont été quelque part les dindons de la force.
Dans l’optique de doter le pays d’une industrie mécanique, les concessionnaires ont été obligés d’installer des unités de montages en contrepartie de certains avantages comme l’exonération de TVA.
Et quand ils se sont mis à produire localement des véhicules, le ministère de l’Industrie les a obligés à baisser les prix en rendant publics les prix de sortie d’usine de leurs véhicules qui ont “scandalisé” une partie de l’opinion publique qui a alors lancé une campagne de boycott.
Et, comme pour boucler la boucle, le même gouvernement a décidé unilatéralement de réinstaurer la TVA à 19% au mépris des conventions signées entre le Conseil national de l’investissement (CNI) et les constructeurs automobiles avec leurs partenaires algériens. Un revirement inattendu.
Ces changements brusques dans les lois sont un très mauvais signal aussi bien pour les investisseurs locaux qu’étrangers, au moment où le gouvernement tente de séduire les équipementiers automobiles pour produire des pièces de rechange en Algérie.
Mis ainsi dos au mur, les concessionnaires n’auront donc pas d’autres choix que celui d’augmenter les prix pour amortir un tant soit peu les coûts au risque de fermer leurs usines.
Des augmentations qui seront supportées bien évidemment par le seul client algérien. C’est dire que les consommateurs algériens ont quelque peu lâché la proie pour l’ombre, en applaudissant des dix mains l’annulation par les autorités de toute augmentation de droits pour les documents administratifs dont l’effet sur leurs poches est des plus minimes, ignorant que le maintien d’autres mesures va saigner à blanc bien des bourses. Un marché de dupes en somme.