La mouture préliminaire de la révision constitutionnelle a été dévoilée jeudi dernier par la présidence de la République. Quelle lecture en faites-vous concernant les aspects relatifs à l’économie et la place de l’entreprise ?
Hassen Khelifati, PDG d’Alliance Assurances : Avant d’entamer ce débat, nous devons préciser un point très important, suite à la publication de la mouture du projet de révision constitutionnelle et le communiqué de la Présidence qui précise que ce projet est soumis à débat public avec une liberté totale aux citoyens et acteurs de non seulement l’enrichir, mais d’apporter la contradiction et faire des propositions.
Cette approche ouverte et transparente nous a encouragés à participer en toute transparence dans ce débat national pour donner un point de vue humble, sans croire que nous détenons la vérité absolue, tout en respectant l’avis des autres acteurs de la place, chacun dans son domaine de compétence et sa propre position.
Nous pensons qu’il est nécessaire et primordial que tous les acteurs se mouillent et participent à ce débat par des propositions et des angles de lecture différents afin d’arriver à un consensus national qui préserve notre nation de toutes crises futures.
Notre intervention se limitera aux aspects économiques et la place de l’entreprise algérienne dans la construction de la nouvelle économie algérienne sous la nouvelle Algérie, « new deal new Algeria », comme affirmé par le programme du gouvernement sous l’égide du président de la République.
Quelle est donc votre lecture du projet préliminaire de la révision constitutionnelle ?
Nous avons constaté à la lecture de cette nouvelle mouture de la constitution soumise à débat certaines nouveautés que j’ai pris le soin d’analyser et dont je vous livre le feed-back à chaud par rapport à ma modeste appréciation.
En premier lieu, je salue la décision de l’élargissement du Cnes à l’environnement, ce qui dénote de l’importance accordée à cette nouvelle dimension de l’existence de l’humanité. La protection des ressources naturelles ainsi que leur exploitation avec modération assureront non seulement la protection de la nature et des ressources mais aussi garantiront une meilleure Algérie aux générations futures.
Pour ce qui est de la mise en place d’une institution qui combattra la corruption et veillera sur la protection des deniers publics et garantira la transparence dans toutes les opérations, est une décision que nous ne pouvons qu’applaudir.
L’introduction de la notion de la propriété collective publique de l’argent public et son appartenance à la nation tout entière, dans sa protection et dans sa gestion selon les normes admises, est une avancée incontestable.
S’agissant de deniers publics, pourquoi ne pas soumettre tout engagement d’assainissement financier récurrent des entreprises publiques, au contrôle des parlementaires afin d’éviter tout abus futur et mettre les managers devant leurs responsabilités pour rentabiliser les deniers de la nation et les protéger de tout usage non soumis à l’efficience et la rentabilité économique voulue.
L’instauration de la transparence, l’efficacité, la qualité managériale ainsi que de la redevabilité, rendre des comptes de la gestion des deniers publics est une avancée notable qui encouragera l’émergence d’un management public efficace et efficient.
Il serait bon toutefois, de renforcer le rôle de la Cour des comptes dans le contrôle et la surveillance de la gestion des deniers publics car cela reste un organe important qui peut jouer pleinement son rôle pour protéger les biens de la collectivité nationale.
Une autre nouveauté importante, l’obligation faite à l’exécutif de ne plus présenter une loi au Parlement sans être accompagnée par ses textes d’application afin d’éviter de se retrouver avec des lois adoptées depuis des années sans pouvoir les appliquer faute de textes d’application.
La consécration du droit de s’organiser pour les opérateurs économiques afin de défendre leurs intérêts matériels et moraux, c’est une nouveauté importante.
Néanmoins à la lecture de l’article 61 de la nouvelle mouture et qui remplace l’article 43 de la constitution de 2016, nous pensons que le nouvel article est complètement différent et constitue un recul par rapport aux acquis de 2016.
Pouvez-vous nous donner les raisons ?
La constitution de 2016 représentait, à notre sens, une véritable avancée doctrinale, surtout par la promulgation de l’interdiction de la discrimination, la concurrence déloyale et le monopole.
Cette dernière mouture de la nouvelle constitutionnelle dénature les principes fondamentaux de la construction d’une vraie économie de marché même à caractère profondément social qui ont été tout simplement évacués car tout a été renvoyé aux textes réglementaires et aux lois ; ceci ne donne pas assez de garanties à long terme aux opérateurs économiques ni une stabilité sur le modèle économique choisi. Voilà ce que dit l’article 43 :
« La liberté d’investissement et de commerce est reconnue. Elle s’exerce dans le cadre de la loi. L’Etat œuvre à améliorer le climat des affaires. Il encourage, sans discrimination, l’épanouissement des entreprises au service du développement économique national. L’Etat régule le marché. La loi protège les droits des consommateurs. La loi interdit le monopole et la concurrence déloyale. »
En effet, la discrimination, la concurrence déloyale et le monopole constituent les éléments de distorsion d’une économie et favorisent la destruction de la valeur et des ressources, c’est pour cela que nous avions hautement apprécié qu’il y soit fait référence dans la constitution de 2016 en attendant l’adaptation réglementaire qui assure l’égalité de traitement entre toutes les entreprises algériennes sans distinction de statut. L’Etat ne peut être acteur économique, juge et partie.
La construction d’une nouvelle économie de marché à caractère social, solide, créatrice de richesses et d’emplois et assurant sa propre pérennité à long terme ne peut se construire qu’au prix d’égalité, de combat contre le monopole de toute nature ainsi que la concurrence déloyale, surtout celle provenant soit d’un traitement différencié des entreprises algériennes sur une base discriminatoire qui trouve son origine dans la nature juridique du détenteur de capitaux et sur l’alimentation des déficits chroniques au détriment des intérêts de la collectivité.
L’efficacité économique, la rentabilité, la participation dans l’effort national de construction, la création de valeurs, de richesses et d’emplois, la capacité de se battre et de survivre dans un marché libre et encadré par les lois de la République avec les règles du Code de commerce applicable pour tous, de la même manière doivent être les seuls critères d’évaluation de la poursuite d’activités d’une entité économique sans distinction de détenteurs des capitaux.
Ceci dit, dans le management public, les compétences existent en quantité et en qualité et ils sont capables de relever le défi de la compétition. Il faut aussi assurer aux managers de ces entreprises une liberté d’action, un management moderne par des organismes sociaux compétents et les rémunérations qui vont avec, des objectifs à atteindre, une flexibilité et une capacité de prendre les décisions managériales afin de faire face à la concurrence loyale dans un marché libre, régulé et transparent.
Pensez-vous que la liberté d’entreprendre se trouve renforcée, que l’entreprise disposera de plus de garanties ?
La reformulation de l’article 43 crée plus d’ambiguïté dans les esprits qu’elle n’apporte des garanties et des assurances.
De notre avis, l’article d’origine devrait être maintenu et renforcé par le choix d’un modèle économique efficace loin de tout débat doctrinal et idéologique
L’introduction de la souveraineté de l’Etat à choisir et définir des secteurs d’investissement est un choix économique qui peut se justifier politiquement et économiquement.
L’alinéa 3 de l’article 61 de la nouvelle mouture manque de précision, donne lieu à des interprétations larges et qui peuvent ne pas être bénéfiques à la construction d’une vraie économie de marché basée sur l’égalité, la concurrence loyale, la non-discrimination, cet alinéa a besoin d’être revu et précisé selon notre humble avis.
Pourquoi ?
Parce que notre pays a besoin de ses entrepreneurs honnêtes, travailleurs, qui prennent des initiatives, qui créent de la valeur, des richesses et des emplois.
Ces mêmes entrepreneurs ont besoin d’un cadre et d’une vision stables à moyen et long termes ainsi que d’instruments de régulation et d’accompagnements flexibles et engagés sur le terrain pour faciliter, accompagner et faire réussir.
Faire réussir a des conséquences sur la création de valeurs, la création de richesses et la stabilisation sociale et c’est ce à quoi aspirent les gouvernants.
Le texte fondamental doit garantir cette vision et les textes opérationnels doivent garantir sa mise en route et l’atteinte des objectifs nationaux de développement et diversification économique.
Le projet est soumis à débat pour enrichissement. Que proposez-vous comme amendement en tant que chef d’entreprise ?
Je pense qu’il faut consacrer les points suivants : l’économie de marché à caractère social afin de protéger les couches sociales vulnérables et permettre à l’Etat de jouer son rôle social, l’entreprise algérienne créatrice de richesses, de valeurs et d’emplois sans aucune discrimination basée sur la nature des capitaux, l’égalité du traitement devant toutes les juridictions administratives et commerciales des entreprises sans aucun parti pris sauf l’application du droit et de la loi, ainsi que la régulation du marché et de l’économie par des institutions indépendantes qui soient à équidistance entre tous les opérateurs, il n’y a que le respect des lois, l’efficacité, la compétitivité, la compétition et la concurrence loyale et transparente qui primeront.
Je crois aussi qu’il faut maintenir l’article 43 de la constitution de 2016 en le renforçant et en adoptant des textes réglementaires qui le rendent opérationnel, qui le mettent en pratique sur le terrain et pour permettre aux opérateurs de défendre leurs droits et intérêts devant les institutions indépendantes et la justice.
La constitution devrait aussi consacrer le rôle fondamental joué par les entrepreneurs, les commerçants et tous les créateurs de richesses, de valeurs et d’emplois pour le développement économique et la stabilité sociale. Ses acteurs doivent eux-mêmes être soucieux du respect des lois de la République et conscients de leurs droits et devoirs.
Comme il est souhaitable d’introduire la notion de flexibilité afin de libérer le marché du travail de tous les carcans du passé et rendre l’employabilité plus adaptée aux contextes nouveaux de la construction de la nouvelle économie qui doit accompagner la nouvelle Algérie, et de consacrer la transparence et l’égalité devant la loi et devant l’accès aux avantages, l’accès à la commande publique ainsi que les contrats à toutes les entreprises algériennes sans distinction.
Par la force de la loi, il faut protéger les opérateurs nationaux de tout abus d’autorité de l’administration ou toute autre source qui pourrait constituer un moyen de blocage ou de pression illégale sur leurs activités ou leur développement, et permettre un recours diligent à la justice pour appliquer les lois de la République.
La Constitution doit aussi consacrer définitivement la liberté d’entreprendre, les initiatives économiques, du commerce et d’industrie dans le cadre de la loi tout en garantissant l’égalité de traitement et d’accès à l’information ainsi que la transparence dans le processus avec possibilité d’exercer un recours en toute transparence et loyauté.
Il faut aussi mettre des règles claires pour combattre le monopole et l’oligopole et donner à des institutions indépendantes la latitude de veiller au strict respect des règles par tous les opérateurs sans distinction.
Il est nécessaire, enfin, de consacrer la redevabilité de l’administration dans la gestion des affaires économiques et celle de l’entreprise, la rendre numérique et transparente et engager sa responsabilité en cas d’abus ou de préjudice causé aux entreprises au détriment du droit et de la loi.