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Azzeddine Mihoubi : « Le film sur Larbi Ben M’hidi n’est ni à vendre ni à acheter”

L’État n’acceptera pas l’offre proposée par un groupe d’hommes d’affaires algériens de rembourser 29 % du budget du film sur « Larbi Ben M’hidi » de Bachir Derrais. C’est ce qu’a laissé entendre le ministre de la Culture, Azzeddine Mihoubi, après l’annonce faite, sur Facebook, par le réalisateur du long métrage sur la volonté de 29 chefs d’entreprises algériens, établis à l’étranger et en Algérie, de rembourser une partie de la subvention accordée par l’Etat pour réaliser le film sur l’un des héros de la guerre de libération nationale.

Bachir Derrais a parlé de la subvention du ministère des Moudjahidine (29 %), pas celle du ministère de la Culture (40 %). « Le film sur Larbi Ben M’hidi n’est ni à vendre ni à acheter. On n’est pas dans une transaction commerciale ni au Souk de Tijelabine. Nous ne faisons pas commerce de l’histoire. Nous refusons le contournement de la loi »,a réagi hier mardi 18 décembre le ministre de la Culture Azzedine Mihoubi, dans une déclaration à la presse, à l’opéra d’Alger, en marge de la cérémonie d’ouverture du 13e Festival international de la musique andalouse et des musiques anciennes qui se tient jusqu’au 25 décembre 2018.

Et d’ajouter : « Le film appartient à l’État, pas au réalisateur. Tous les films, produits ces dernières années, ont été présentés au public, sauf ce long métrage. Nous avons donné encore une autre occasion au réalisateur pour rencontrer le comité aux fins d’évoquer les réserves faites sur le contenu du film. La décision qui sera prise par le comité sera mise en exécution. Ce comité, crée en application de la loi et composé de spécialistes en histoire qui connaissent parfaitement le domaine, a pour mission l’étude des films relatifs à l’histoire réelle du pays. Qu’un réalisateur devienne un historien, cela n’existe qu’en Algérie ».

« Il y a encore une occasion pour que le film sorte »

Selon lui, le comité, qui dépend du Centre national d’études et de recherches sur le mouvement national, va rencontrer le réalisateur. « Si ça ne marche pas, il y a d’autres solutions légales. Le film ne doit pas rester otage de cette situation. On n’accorde pas d’attention aux déclarations faites ici et là. Nous, on applique la loi. Ce long métrage, comme les autres, est régi par des textes de loi et des accords. Le ministère de la Culture et le ministère des Moudjahidines se sont mis d’accord pour que le film sorte de ce tourbillon. Nous voulons qu’il voit le jour dans le respect de la décision du comité et de ce qui a été convenu au début. Il y a encore une occasion pour que le film sorte. Il n’y a aucune censure », a soutenu le ministre.

Le comité en charge de suivre le film a, selon lui, demandé pour la troisième fois au réalisateur de respecter ce qui lui a été demandé (en août 2018). « Et, il y aura une quatrième fois. Mais, on ne peut continuer comme cela à l’infini. Après la prochaine rencontre entre le réalisateur et le comité et le résultat qui en sortira, on prendra des mesures légales. Le film sur Larbi Ben M’hidi n’est pas la propriété du réalisateur. Le film a été financé par l’État et lui (réalisateur) est producteur exécutif. Il n’y a aucun problème personnel ni avec lui ni avec d’autres. Il est tout de même honteux que Larbi Ben M’hidi soit au milieu d’une telle polémique. Tous les films, produits après le début de tournage de Larbi Ben M’hidi, ont été achevés et présentés au public sauf celui-là. Et cela dure depuis six ans. Il faut poser la question au réalisateur. Le comité a discuté de tous les films relatifs à l’Histoire sans difficultés, il n’y a que le film sur Larbi Ben M’hidi qui fait exception. La raison est simple : les autres réalisateurs ont respecté le scénario original. Le réalisateur de Larbi Ben M’hidi a introduit des modifications. Cela doit être discuté avec le comité. Si ces modifications servent le film, il n’y a aucun problème. Mais, ce qui a été modifié par le réalisateur a touché le fond. Cela dit, le comité n’a aucun intérêt à bloquer le film », a estimé Azzeddine Mihoubi.

Rendre des comptes

Le scénario original du film sur Larbi Ben M’hidi a été écrit par Mourad Bourboune, puis réécrit par Karim Bahloul et Olivier Gorce. Le comité a reproché à Bachir Derrais de n’avoir pas respecté le scénario, d’avoir ignoré les aspects militaires et d’avoir porté atteinte à un symbole de la guerre de libération nationale.

« Ils ont trouvé qu’il n’y avait pas assez de scènes de guerre alors que j’ai fait un film politique. Ils m’ont reproché de n’avoir pas montré la torture, les embuscades, ils voulaient un film à la « Ben Boulaïd » (d’Ahmed Rachedi). Si je devais les suivre, j’aurais fait un film de cinq heures (…). Ils demandent de refaire le film. Ils m’ont demandé pourquoi j’ai montré les désaccords entre les chefs de la Révolution », a précisé Bachir Derrais dans une précédente déclaration à TSA.

Le film aurait coûté plus de 700 millions de dinars. « Nous acceptons tous ceux qui financent nos films, car cela est un soutien au cinéma algérien. Le comité du FDATIC (Fonds de développement de l’art, de la technique et de l’industrie cinématographique) va modifier les procédures sur les subventions accordées aux films. Ceux qui disent qu’il n’y a pas de professionnels dans ce comité, comment alors présenter Ahmed Bedjaoui, critique et universitaire? Bedjaoui n’est pas professionnel? Les membres ont tous des liens avec le métier. Il faut qu’on sache que les moyens de l’Etat sont limités pour financer les films. L’Etat ne fait que contribuer, pas financer les films. Les producteurs doivent rompre avec l’idée que l’Etat et seul l’Etat finance les films. D’une part, ils demandent à l’Etat de les soutenir, et de l’autre ils évoquent la censure. Allez comprendre ce qu’ils veulent », s’est étonné Azzeddine Mihoubi.

Le ministre a annoncé qu’un bilan détaillé sera établi de tous les films qui ont reçu des subventions et qui n’ont pas été réalisés. Il sera demandé aux réalisateurs et producteurs de rendre compte, de s’expliquer. « On sera souple. On donnera une occasion aux gens de terminer leurs films par leurs propres moyens. Il s’agit de l’argent de l’Etat. Il faut dire que les gens n’ont pas respecté leurs engagements. Nous avons chargé un avocat pour récupérer les droits des films algériens projetés et diffusés à l’étranger. Nous n’hésiterons pas à recourir à la justice en cas de besoin », a-t-il précisé.

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