Les taux d’échec élevés aux examens du Bac et BEM en Algérie renseignent sur la qualité de l’enseignement dans l’école algérienne alors que les filles continuent de devancer les garçons avec de meilleures notes.
En Algérie, les résultats du Bac 2022 ont été dévoilés samedi 16 juillet, avec un taux de réussite de 58,75 %, en baisse par rapport à 2021 (61,17 %) et une moyenne d’admission de 9,5/20.
Le taux de réussite à l’examen du Brevet d’enseignement moyen BEM 2022 était de 59,16 %.
Ces deux chiffres donnent une idée sur les taux d’échecs élevés aux examens du Bac et du BEM en Algérie.
« Je commence par une comparaison : dans les autres pays avec des taux de réussite de 80 % on se pose des questions pourquoi il y a 20 % de taux d’échec. Ils font des recherches et des études pour déterminer les causes et pour remédier », commente le pédagogue et ex-coordinateur du Snapest, Meziane Meriane.
« L’apprentissage c’est avec la remédiation qu’on peut le faire avancer », dit-il, regrettant qu’on s’attarde dans une sorte d’autosatisfaction sur les taux de réussite aux examens en Algérie.
Pour la deuxième année de suite, la moyenne de réussite au baccalauréat a été fixée à 9,5/20 Pour des syndicats de l’éducation, cela constitue une dévalorisation d’un diplôme d’accès à l’université.
Meziane Meriane parle carrément d’« échec », tout en ajoutant que « si l’on regarde de près le nombre de candidats ayant obtenu une moyenne entre 9,5 et 9,99/20, on saura peut-être le véritable pourcentage de réussite au BAC ».
Le pédagogue ajoute que les élèves ont été amoindris par les trois années de retards accumulées sur le programme d’enseignement à cause de la pandémie de Covid-19 pour les bacheliers de la session 2022 qui étaient en 1ère AS avant le début de la pandémie.
« Je cite l’exemple des élèves de la filière scientifique qui vont aller à l’université, avec deux chapitres en mathématiques très importants en terminale qu’ils n’ont pas étudiés : les nombres complexes et la géométrie. C’est grave ! Malgré cela on accorde un BAC à 9,5/20 », s’étrangle ce professeur de mathématiques.
« Un « produit » venu du lycée qui se dévalorise d’année en année »
Le sociologue à l’université d’Oran, Rabeh Sbaa, contacté par TSA, considère que l’abaissement de la moyenne de passage à 9 et 9,5/20, n’est pas seulement l’indice de la dévalorisation mais aussi celui de « l’échec de l’enseignement secondaire » en Algérie.
« On reçoit à l’université un « produit » venu du lycée qui se dévalorise d’année en année. Ce phénomène existe depuis une dizaine d’années », témoigne-t-il.
Rabah Sbaa estime qu’au lieu d’un Bac à 9 ou 9,5/20, on aurait mieux songé à une seconde session, en septembre. « Car il ne faut pas oublier que parmi ceux qui ont échoué au Bac, il y a les « accidentés » qui ont travaillé durant toute l’année mais qui ont flanché le jour de l’examen. Avec une 2e session, ces derniers auront une seconde chance de confirmer leur résultat de l’année », dit-il.
Fatma-Zohra Sbaa, professeure de psychologie clinique à l’université d’Oran 2, relève qu’un Bac à 9,5/20 pose « un problème psychologique grave » concernant ces lauréats.
« Pourquoi, au préalable c’est-à-dire avant l’annonce des résultats, on n’instruit pas le président de jury pour que les candidats ayant obtenu entre 9,5 et 9,99/20 soient rachetés ? On peut étudier au cas par cas, ça n’est pas énorme. Pour un candidat qui a obtenu 9,50 au Bac et dont la moyenne annuelle est 12/20, en tant que président de jury je peux lui accorder la moyenne de 10/20 au Bac » , relève-t-elle.
« Sur le plan psychologique, ça aide », argumente-t-elle. Mme Sbaa appelle à redonner de la valeur aux jurys et aux présidents de jurys qui doivent décider.
« C’est une décision à prendre au vu du dossier du candidat. En sciences sociales, à l’université, c’est nous qui recevons les bacheliers avec 9,5/20 de moyenne. C’est ce qui fait que nous avons des docteurs à l’université où vous avez le premier de la liste dans les concours d’accès à une moyenne de 6/20 et on le prend ! », témoigne-t-elle, alors qu’il suffit, selon elle, d’annuler le concours et d’en organiser un autre l’année suivante.
« Cela au lieu de dire que nous avons organisé un concours de doctorat et aucun n’a atteint une moyenne de 10/20, et qu’on ne va pas ouvrir l’accès au diplôme cette année », poursuit-elle.
Pour Fatima-Zohra Sbaa, les explications aux taux d’échec élevés dans les examens de fin d’année (BEM et Bac) sont à chercher dans les « conditions de travail et les motivations qu’on ne fait pas valoir chez les enfants » et notamment les adolescents.
A cela s’ajoute l’absence de formation continue pour les enseignants, ce qui fait qu’« il y a un énorme décalage sur le plan technologique » entre la génération d’enseignants et les élèves.
« Il faut prendre tout cela en ligne de compte d’autant que ça participe à ce qu’on désigne comme le taux d’échec », propose Mme Sbaa qui nuance que « l’échec est relatif ».
Elle explique : « Il y a beaucoup d’élèves et d’étudiants qui sont en situation d’échec « administratif » mais qui en fait se débrouillent très bien dans la vie. C’est pourquoi il faut aussi encourager le développement de la formation professionnelle à tous les niveaux ».
« Pour une fille, le diplôme est un passeport social »
L’universitaire regrette que les efforts pour l’instauration du Bac professionnel en Algérie n’aient pas abouti, y voyant une dévalorisation de la formation professionnelle avec une focalisation sur le seul enseignement général.
« Il y a des enfants qui s’en sortent très bien, malheureusement ils n’ont pas les diplômes. C’est le système éducatif algérien qui les a déclarés comme étant en échec. Dans l’absolu, ils ne le sont pas », lance Mme Fatima-Zohra Sbaa.
L’autre enseignement des examens du baccalauréat en Algérie, c’est la percée à chaque fois de la gent féminine. Les trois meilleures moyennes au niveau national ont été décrochées par des bachelières de Batna, Ain Defla et Guelma.
Fatma-Zohra Sbaa confirme que sur le plan scolaire, les filles réussissent mieux que les garçons et dans toutes les filières. Socialement, cela s’explique, dit-elle.
« Pour les garçons, la réussite scolaire n’est pas valorisée dans les familles. Le garçon grandit avec cette perception des choses. Mais la fille, pour sortir de chez elle il lui faut une raison. Elle a donc intérêt à être dans les circuits de scolarisation jusqu’au Bac. Dans les familles on dit à la fille que même si elle ne travaille pas, quand elle est diplômée elle élèvera mieux ses enfants. Ce qui est vrai d’ailleurs », développe-t-elle. « Pour une fille, le diplôme est une sorte de passeport social », reprend de son côté le sociologue Rabeh Sbaa.