Économie

Baisse du dinar : « Il faut s’attendre à une hausse généralisée des prix »

Le professeur d’économie à l’université de Tizi-Ouzou, Brahim Guendouzi, aborde dans cet entretien à TSA les effets de la dépréciation du dinar sur le pouvoir d’achat des Algériens, les raisons des hausses conséquentes des prix des produits de consommation, le déficit de la Caisse de retraite et l’importation des véhicules.

Le dinar algérien a perdu 20 % de sa valeur par rapport à l’euro en 2020. Il a entamé l’année 2021 avec un nouveau record historique face au dollar. Comment expliquez-vous cette chute de la monnaie nationale face aux principales devises ?

Il faut rappeler que depuis 2018, la valeur du dinar algérien était surévaluée corrélativement au double déficit de la balance des paiements et du budget de l’Etat.

La détérioration de la situation économique du pays avec l’impact de la pandémie de la Covid-19 et l’effort financier engagé par l’Etat pour y faire face a aggravé le déficit budgétaire et réduit surtout les ressources à partir de la fiscalité ordinaire, mais également pétrolière.

D’où la question du financement de ce déficit dans un contexte de récession économique. La modification du taux de change apparaît alors comme la variable d’ajustement la plus évidente, et il fallait s’y attendre, pour pouvoir parer au plus urgent face à la dégradation de la situation des finances publiques et au recul du niveau des réserves de change.

Il est clair que la dépréciation de la valeur du dinar est insuffisante à elle seule pour faire face à une situation économique qui devient de plus en plus intenable au regard des difficultés financières dans lesquelles se retrouve la plupart des entreprises ainsi que l’importante perte d’emplois enregistrée.

Aussi, est-il nécessaire d’envisager d’autres mesures d’ajustement pour maintenir un tant soit peu les équilibres macroéconomiques permettant de mettre l’économie nationale sur une trajectoire de croissance économique dès cette année, auquel cas, la récession s’installera dans la durée et rendra encore plus complexe tout effort de sortie de crise.

« Difficile d’allier des objectifs sociaux ambitieux avec des résultats économiques modestes »

Comment atténuer les effets d’une forte dépréciation du dinar sur le pouvoir d’achat des Algériens ?

La dépréciation de la valeur du dinar par rapport à l’euro et au dollar aura pour conséquence directe un renchérissement des biens importés aussi bien en tant qu’inputs que pour ceux destinés à la consommation finale.

Il faut s’attendre à une hausse généralisée des prix tant l’économie algérienne est fortement dépendante des importations.

D’ores et déjàla Loi de finances pour 2021 prévoit un taux d’inflation de 4,2 %, impliquant une détérioration du pouvoir d’achat des ménages.

La préoccupation actuelle des pouvoirs publics va vers le ciblage des subventions afin de faire bénéficier beaucoup plus les couches sociales les plus défavorisées et en même temps alléger un tant soit peu la charge des transferts sociaux sur le budget de l’Etat.

Aussi, même en ayant la sauvegarde du pouvoir d’achat des citoyens parmi les priorités, mais si entre-temps l’économie nationale demeure dans un état lamentable par faute de bonne gouvernance, il sera alors difficile d’allier des objectifs sociaux ambitieux avec des résultats économiques modestes.

Quelles pourraient être les autres conséquences de la dépréciation du dinar ?

Dans les conditions économiques actuelles, l’ajustement du taux de change vise essentiellement l’augmentation des recettes de l’Etat à travers une amélioration de la fiscalité pétrolière ainsi que de la fiscalité ordinaire à travers la hausse des taxes douanières appliquées sur les marchandises importées.

Cela reste évidemment très insuffisant pour combler le déficit budgétaire, et il faudra recourir à d’autres mesures complémentaires de financement, sinon l’effet positif escompté de la dépréciation de la monnaie nationale sur les finances publiques risque de s’estomper.

Les prix des produits de consommation ont augmenté ces derniers mois. Pourquoi ?

La hausse brusque constatée dans les prix des produits alimentaires a pour origine aussi bien des facteurs objectifs mais également spéculatifs. Tout d’abord, s’agissant des fruits et légumesl’augmentation des prix peut être imputée à plusieurs raisons qui reviennent régulièrement chaque année.

Il s’agit par exemple de la concentration de l’offre de produits agricoles provenant de quelques wilayas réputées pour leur niveau élevé de production, alors que la consommation touche l’ensemble du territoire.

Les problèmes logistiques liés au transport interwilayas, au stockage et à la distribution, influent énormément sur les prix de vente aux consommateurs.

Un autre facteur peut être également source de hausse des prix, celui des conditions climatiques défavorables ralentissant les efforts de récolte et de collecte des produits agricoles.

Enfin, le confinement partiel en vigueur gène la production et la libre circulation des fruits et légumes entre les différentes régions du pays, impliquant ainsi une certaine disparité dans les prix de détail.

Nonobstant ces aspects, il faut relever qu’en Algérie, les circuits de distribution des produits alimentaires subissent  régulièrement des distorsions de prix et de quantités que les pouvoirs publics n’arrivent toujours pas à en maîtriser le processus, si ce n’est seulement pour les produits dont les prix sont subventionnés et plafonnés.

Le fait est que le secteur de la distribution est noyauté par une multitude d’intermédiaires dont une grande partie agit dans l’informel et ne possède même pas un minimum de professionnalisme susceptible de donner à l’activité commerciale une certaine stabilité, rendant ainsi l’évolution des prix imprévisible et difficilement maîtrisable.

« Il y a une inégalité dans la répartition des revenus »

Le débat sur les inégalités salariales et en matière de privilèges accordés dans le cadre du régime de retraite refait surface en Algérie. Un sénateur dénonce des inégalités abyssales entre les simples salariés et les anciens hauts cadres de l’Etat, ces derniers étant accusés d’être à l’origine d’une partie du déficit de la Caisse. Une réforme n’est-elle pas urgente quand on sait que le déficit de la Caisse nationale des retraites (CNR) pourrait atteindre 700 milliards de DA en 2020 ?

Il y a plutôt en Algérie une inégalité dans la répartition des revenus qu’il faudra revoir. Ensuite, une autre inégalité à réparer est celle de la pression fiscale vis-à-vis des revenus salariaux avec la retenue à la source, contrairement aux autres revenus qui sont déclaratifs.

Enfin, tous les revenus obtenus dans des activités informelles échappent à la fiscalité. S’agissant du système de retraite, il y a lieu d’aller vers sa refondation et il faudra engager la réflexion sur le dossier dès maintenant du fait de sa complexité et les enjeux qu’il implique.

Le déficit de la CNR va continuer à se creuser et ce sera le Trésor qui continuera à supporter la charge financière jusqu’à ce qu’un nouveau mécanisme efficace de financement soit trouvé.

« Il est urgent de réparer les iniquités du système des retraites »

Est-il juste socialement qu’un salarié doive trimer durant 35 années pour bénéficier d’une maigre retraite, alors qu’il suffit qu’un ministre, un haut cadre ou un élu soit nommé pendant une durée de deux ans pour qu’une fois démis de ses fonctions touchera une retraite dorée alors qu’il est considéré encore actif ?

Il s’agit d’un casse-tête pour le gouvernement tant la question des pensions est sensible. Etant dans un système de retraites par répartition, les ajustements annuels entre les pensions servies aux retraités et les cotisions de la population active, sont obtenus par le mécanisme de point.

Aussi, un actif cotise et accumule chaque année un certain nombre de points dont le total sera converti en pension au moment du départ à la retraite. Aussi, est-il nécessaire et urgent de réparer les iniquités constatées dans le système national des retraites.

« Le marché de l’automobile a besoin d’une nouvelle offre de véhicules »

Ces derniers jours, la décision de libérer l’importation des véhicules neufs fait l’objet de débats houleux avec en toile de fond la sauvegarde des réserves de change du pays. Entre souci économique et considérations politiques, comment faire en sorte que le citoyen puisse avoir un véhicule pour pouvoir se déplacer dans un pays aussi vaste que l’Algérie ?    

Le marché de l’automobile a besoin d’une nouvelle offre de véhicules pour satisfaire la forte demande des citoyens mais également des opérateurs économiques.

D’après certaines annonces de source officielle, il y a une enveloppe de l’ordre de deux milliards de dollars pour l’année en cours qui sera consacrée à l’importation de voitures neuves. La procédure de sélection des concessionnaires sur la base d’un cahier des charges est en cours.

La marge de manœuvre par rapport au montant en devise alloué à l’importation reste encore supportable.

En revanche, la mesure autorisant l’importation de véhicules de moins de trois ans décidée dans la loi de finances 2020, sa non application reste liée beaucoup plus au contrôle des changes en vigueur, à la problématique de circulation des personnes avec les pays européens et au durcissement des mécanismes de surveillance à l’échelle internationale vis-à-vis du blanchiment d’argent.

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