L’image d’un ministre algérien qui pose à côté d’un ambassadeur est désormais familière. Depuis au moins quelques semaines, les représentants en Algérie de nombreux pays étrangers défilent chez les membres du gouvernement, et ces derniers font toujours le nécessaire pour médiatiser la rencontre via les réseaux sociaux ou les médias publics.
Qu’un ambassadeur soit reçu par un ministre, cela n’a rien d’exceptionnel et fait partie des missions de l’un et de l’autre. Il y a néanmoins matière à question quand cela devient récurrent jusqu’à laisser l’impression que l’activité diplomatique absorbe l’essentiel de l’agenda de certains ministres, qui plus est dans un contexte de crise interne multiforme dans laquelle est plongée l’Algérie depuis plusieurs mois.
Pourquoi un tel ballet diplomatique dans cette conjoncture précise et pourquoi certains départements sont plus sollicités que d’autres ? De la teneur des pages des ministères sur les réseaux sociaux se dégage un premier constat : les diplomates les plus actifs dans ce registre sont ceux de l’Union européenne.
Et plus globalement ceux des grands pays industriels, tandis que les ministres les plus sollicités sont ceux en charge des questions économiques, ceux de l’Industrie et du Commerce en tête, et à un degré moindre ceux des Mines et de l’Energie.
A partir de là, et au-delà des vagues et éculées formules du « renforcement de la coopération bilatérale » et « des questions d’intérêt commun », l’explication à ce soudain regain d’activité des diplomates en poste à Alger peut bien être la défense des intérêts des entreprises de leurs pays respectifs, plus précisément leurs parts dans un marché qui s’apprête à s’ouvrir de nouveau après plus de deux ans de restrictions sur les importations.
Ferhat Aït Ali, ministre de l’Industrie, a incompréhensiblement hérité du dossier sensible de l’importation des véhicules neufs pour lequel une dépense de 2 milliards de dollars est prévue rien que durant l’année en cours.
Qu’il soit le ministre le plus sollicité par les ambassadeurs des pays industrialisés dans la semaine même où son département a entamé la remise des agréments pour les concessionnaires automobiles, cela ne laisse presque pas de doute quant aux motivations de ses hôtes.
Lors de l’un de ses nombreux procès, l’ancien Premier ministre Ahmed Ouyahia a d’ailleurs vendu la mèche, racontant comment il était harcelé par les ambassadeurs étrangers concernant l’histoire bien connue des usines de montage automobile.
Même Ferhat Ait Ali a avoué jeudi dernier au Sénat que des étrangers venaient dans son bureau pour discuter de la part de leurs constructions dans le gâteau que représentent les importations de voitures que l’Algérie se prépare à distribuer.
Que cherchent les ambassadeurs ?
Le souci est légitime tant la défense et l’accompagnement des sociétés de son pays fait partie des missions d’un ambassadeur, mais le pays d’accueil est aussi en droit d’attendre un intérêt similaire pour tous les segments qui font la relation bilatérale, des échanges culturels au transfert de technologie et de savoir-faire.
Hélas, on ne se bouscule pas devant le bureau du ministre de l’Enseignement supérieur ni devant celui du ministère de l’Education ou encore de la Culture, des Start-up, du Tourisme, de la Transition énergétique…
Hormis Karen Rose, épouse de l’ancien ambassadeur des Etats-Unis, qui avait beaucoup fait pour la promotion de la destination Algérie, on n’a pas trop vu les autres dans ce genre d’œuvres, dans le mécénat ou l’accompagnement de la société civile. A moins que leurs activités n’aient pas été suffisamment médiatisées.
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Les ministres algériens aiment recevoir les ambassadeurs étrangers
Si ce qui fait courir les diplomates étrangers n’est pas difficile à saisir, il est en revanche moins aisé de comprendre cette disponibilité de certains ministres – toujours les mêmes – à accorder des audiences quasi-quotidiennes qu’il n’est pas toujours facile d’obtenir pour les opérateurs nationaux, qui sont confrontés à des problèmes plus graves que ceux des opérateurs étrangers présents en Algérie.
Dans une conjoncture de double crise sanitaire et économique où la diversification de l’économie est érigée en urgence nationale, le temps est pourtant censé être précieux et l’agenda très serré pour un ministre en charge d’un pan de l’économie, que ce soit l’industrie, le commerce, l’énergie, l’agriculture ou les mines.