L’extrême-droite monte en France en instrumentalisant à outrance la question de l’immigration. Elle semble toutefois rattrapée par la réalité économique qui, au contraire, impose au pays d’attirer la main-d’œuvre étrangère.
Jordan Bardella, le président du principal parti de ce courant, vient de faire un recul spectaculaire sur la question. Il y a encore quelques mois, le Rassemblement national (RN, ex-Front national) avait tout fait pour faire barrage au projet du gouvernement de régulariser les travailleurs étrangers dans certaines filières dites « en tension », c’est-à-dire en manque de main d’œuvre.
France : les contradictions du RN sur l’immigration
Jordan Bardella, président et tête de liste du Rassemblement national pour les élections européennes (6- 9 juin), a déclaré, vendredi 31 mai, au Journal Nice-Matin qu’il n’était pas opposé à une « immigration économique » à condition qu’elle soit « très encadrée ».
Le successeur de Marine Le Pen à la tête du principal parti d’extrême droite en France s’est dit prêt à faire appel à des talents dont la France ne dispose pas, et ce, au nom de la « réalité économique ».
Les révolutionnaires deviennent plus raisonnables quand ils accèdent au pouvoir, dit-on. Jordan Bardella n’est pas encore au pouvoir, mais il se prépare peut-être pour cette perspective. Les sondages donnent la liste de son parti en tête aux européennes et n’excluent pas une victoire de Marine Le Pen aux présidentielles de 2027.
En Italie, Giorgia Meloni, qui a été portée au pouvoir par une coalition d’extrême-droite sur la base d’un programme anti-immigration, a été contrainte une fois aux affaires d’annoncer l’une des plus importantes opérations d’importation de main d’œuvre étrangère de l’histoire du pays : 450.000 titres de séjour ouverts sur trois ans.
L’annonce de Bardella sur l’immigration est peut-être bien plus qu’un pas supplémentaire sur la voie de la « normalisation » du parti entamée par Marine Le Pen depuis la mise à l’écart de son fondateur, Jean-Marie Le Pen.
Le président du RN semble avoir pris en compte, lui aussi, les mises en garde de la sphère économique et universitaire française contre « l’immigration zéro » et les restrictions drastiques envisagées ou réclamées par les uns et les autres.
Immigration : le RN et Bardella rattrapés par la réalité économique et l’attractivité de la France
Les appréhensions se retrouvent d’autant plus renforcées qu’un nouveau phénomène, généré par le climat de tension autour de l’immigration et les stigmatisations qui ciblent les musulmans, a fait son apparition et prend de l’ampleur : de nombreux cadres musulmans bien installés font le choix de quitter la France pour d’autres destinations européennes, l’Amérique du Nord où les pays du Golfe, plus attractifs, car moins regardants sur l’origine ou la religion des arrivants.
C’est ce problème d’attractivité qui a fini par se poser en France après des décennies de législations restrictives, de stigmatisation et maintenant de racisme assumé.
Le phénomène du départ des cadres musulmans a fait l’objet d’une étude sociologique parue en avril dernier sous ce titre qui résume tout : « J’aime la France, mais je la quitte. » Selon le sociologue Julien Talpin qui a participé à l’étude, il y aurait des milliers, « voire des dizaines de milliers » de départs.
« Double frontière »
Le décalage entre la réalité économique et la surenchère de l’extrême-droite et de la droite traditionnelle a été mis en avant lors des débats sur la loi immigration à l’automne dernier.
Alors que le RN et les LR étaient vent debout contre la clause sur les « filières en tension » voulue par le gouvernement, des voix bien placées pour se prononcer sont montées au créneau pour signifier que la France ne peut pas se permettre de se passer de la main d’œuvre étrangère ni de l’apport des talents étrangers.
Patrick Martin, président du Medef, principale organisation patronale française, a déclaré que, sauf à « réinventer son modèle économique », la France aura besoin dans les prochaines années d’importer « massivement » la main étrangère.
Dans le même contexte, des collectifs de présidents d’universités et de grandes écoles s’étaient élevés contre les restrictions prévues dans la nouvelle loi pour les étudiants étrangers en France.
Dix-huit présidents d’université avaient dénoncé dans une tribune un texte « indigne de la France », car il s’attaque à ses valeurs qui sont celles de « l’universalisme, de l’ouverture et de l’accueil, de la libre et féconde circulation des savoirs, celles de l’esprit des Lumières ».
Trois présidents de grandes écoles avaient estimé de leur côté que la loi menace gravement la « compétitivité internationale » de la France qui risque ainsi de « faire une croix » sur l’apport des talents étrangers.
Pour Jordan Bardella, dont le parti a participé à la diabolisation de l’immigration et des immigrés, ce qui a impacté l’attractivité de la France dans les bassins traditionnels de recrutement de talents et de compétences étrangères comme le Maghreb.
Le même Bardella, dont le parti ne cesse de parler de « subversion migratoire » qui menacerait les valeurs chrétiennes et civilisationnelles de la France, prône dans son programme électoral pour les européennes du 6 au 9 juin, la « double frontière » qui consiste à fermer l’espace Schengen aux migrants illégaux.
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