L’action et la longévité du gouvernement Bedoui ne cessent de surprendre et de semer la perplexité parmi les commentateurs de l’actualité nationale.
Après avoir fait adopter au cours des dernières semaines plusieurs lois très controversées qui redessinent beaucoup d’aspects du cadre juridique de l’économie algérienne, il a contribué ces derniers jours à la désignation de quelques-uns des plus importants parmi les dirigeants chargés de les mettre en œuvre ainsi que l’illustrent la désignation d’un nouveau gouverneur de la Banque d’Algérie ou du nouveau PDG de la Sonatrach.
Tout se passe comme si l’exécutif actuel était chargé d’appliquer une sorte de « feuille de route économique » dont les contours semblent se préciser progressivement et dont l’agenda s’étendrait au-delà de la prochaine échéance présidentielle.
Des ministres très influents
La scène se déroule voici quelques semaines au cours d’une réunion de travail à la Banque d’Algérie. À l’ordre du jour les règles de gestion et d’alimentation des comptes devises.
Dans une correspondance datée du 27 octobre, la BA avait demandé aux banques que toute alimentation d’un compte devises pour un montant supérieur à 1.000 euros soit appuyée, préalablement, par une déclaration douanière d’importation de ce montant.
M. Benabderrahmane Aymane, qui n’est encore qu’un des assesseurs de la Banque d’Algérie, et dont la fonction est de représenter le point de vue du ministère des Finances qui l’a nommé à ce poste, rappelle que Mohamed Loukal avait exempté les citoyens algériens, en juin 2018, lorsqu’il était gouverneur de la BA, de déclarer la source d’alimentation en monnaie nationale et en devises. Il signale également que cette mesure incitative a permis de drainer environ 500 million de dollars en nouveaux dépôts.
Le Gouverneur de la Banque d’Algérie en poste, M. Amar Hiouani, prend alors la parole pour lui indiquer sèchement que c’est lui qui dirige désormais la Banque centrale.
À peine quelques jours plus tard, M. Hiouani est relevé de ses fonctions et remplacé au poste de Gouverneur par M. Aymane.
Difficile de considérer la nomination d’un nouveau Gouverneur à la tête de la Banque d’Algérie comme une simple anecdote. Elle donne certainement une indication très forte sur l’influence intacte du gouvernement Bedoui. Le profil du nouveau Gouverneur renseigne également sur la nouvelle hiérarchie des responsabilités dans le domaine de la gestion des finances nationales.
Le même jour, le président par intérim Abdelkader Bensalah nommait également un nouveau PDG à la tête de Sonatrach. Kamel-Eddine Chikhi y a pris la place de Rachid Hachichi. Quelques jours plus tôt les députés avaient approuvé un projet de loi sur les hydrocarbures fortement contesté par l’opinion nationale mais maintenu vaille que vaille par le gouvernement.
De nouvelles lois et les hommes pour les appliquer
En quelques semaines et à moins d’un mois des élections présidentielles programmées pour le 12 décembre prochain, le gouvernement Bedoui aura donc fait adopter un nouveau dispositif législatif qui fait bouger beaucoup de lignes.
Le projet de loi de finances 2020 ne prévoit pas seulement les recettes et les dépenses de l’État pour l’année prochaine. Elle a aussi introduit d’importantes innovations à la fois dans le domaine financier, et dans celui des investissements. Elle met fin notamment à la règle du 51 / 49 qui était en vigueur depuis plus d’une décennie et à l’interdiction de l’endettement extérieur qui remontait 2005.
Dans le prolongement de l’adoption de la loi de finances 2020 et au cours d’une période où le gouvernement va avoir besoin de recourir à l’assistance très active de la Banque d’Algérie pour financer un déficit budgétaire d’un montant considérable, la nomination d’un Gouverneur très coopératif est donc certainement apparue comme une précaution nécessaire.
De son côté, la nouvelle loi sur les hydrocarbures est censée avoir pour effet de renforcer l’attractivité du domaine minier algérien. Ses principales caractéristiques sont, si on en juge par les différents avis d’experts exprimés au cours des dernières semaines, une baisse du niveau général du prélèvement fiscal, la modulation des formules de partenariat et de la fiscalité en fonction de la nature plus ou moins complexe des périmètres attribués et la possibilité donné à Sonatrach de faire intervenir des partenaires éventuels sur des gisements déjà découverts ou en cours d’exploitation.
Dans ce cas aussi, Kamel-Eddine Chikhi, qui n’a pas forcement le profil d’un manager très charismatique, semble posséder néanmoins les qualités recherchées par les pouvoirs publics algériens grâce notamment à sa bonne connaissance de l’amont pétrolier et gazier ainsi qu’au poste de Directeur du partenariat qu’il occupait au cours des dernières années à Sonatrach.
Les réserves de change comme le lait sur le feu.
Est-ce le secret de la longévité du gouvernement Bedoui ? Ce sont les contours d’une sorte de feuille de route économique pour les prochaines années qui semblent ainsi se mettre en place.
Au centre de la démarche qui a commencé à être mise en œuvre depuis plusieurs mois, on trouve la volonté de l’Exécutif algérien de déjouer le pronostic très largement partagé suivant lequel notre pays s’orienterait inévitablement vers une situation de faillite financière à l’horizon 2021-2022 et aurait un rendez-vous avec le FMI à cette échéance.
Dans le but de préserver l’indépendance de la décision économique nationale, les réserves de change sont désormais surveillées comme le lait sur le feu.
La plupart des décisions prises au cours des derniers mois visent ainsi à prolonger la durée de vie des réserves financières du pays. Depuis les quotas d’importations imposés aux constructeurs automobiles jusqu’à l’obligation de rechercher des financements à crédit pour les entreprises de produits électroménagers et la fin du régime SKD pour les usines de téléphones mobiles.
La liste ne s’arrête pas là et s’étend désormais aux produits de première nécessité puisque le Conseil du gouvernement réuni mercredi dernier 20 novembre a décidé de plafonner les importations de blé tendre à 4 millions de tonnes contre plus de 6 ?2 millions de tonnes au cours des dernières années.
Les objectifs financiers recherchés par le gouvernement ont été consignés explicitement dans un document annexé au projet de loi de finance 2020.
Dans ses perspectives triennales, le ministère des finances annonce très officiellement un niveau de réserves de change de tout juste 60 milliards de dollars à fin 2019.Ce qui correspond à une diminution des réserves de près de 20 milliards de dollars en 2019.
Les prévisions des autorités algériennes pour l’année prochaine et jusqu’à 2022 sont en revanche très ambitieuses. Le gouvernement affiche en effet un objectif de réduction du déficit de la balance des paiements et des réserves de change à moins de 10 milliards de dollars en 2020 et même seulement 5 milliards en 2021 et 2022.
Un tel scénario financier permettrait ainsi de gagner du temps en laissant le nouveau dispositif législatif produire des effets en matière d’attraction des investissements étrangers et de relance de la production et des exportations d’hydrocarbures.
Des chances de succès très minimes
Les chances de succès de cette démarche qui semble aujourd’hui avoir été endossée par l’ensemble du système institutionnel algérien, dans la précipitation et sans aucune concertation, paraissent cependant assez minces.
Pour la plupart des spécialistes consultés par TSA, elle souffre principalement de son absence de réalisme en matière de prévisions d’évolution des importations de biens et de services qui se heurteront rapidement à un plancher à peu près incompressible.
Que se passera- t-il si le « plafond » d’importation de blé tendre fixé par le gouvernement et correspondant selon lui aux « besoins réels » du pays s’avère insuffisant ?
Dans un contexte d’instabilité politique et juridique, le comportement des investissements étrangers devrait également décevoir les attentes des autorités algériennes.
Les échos recueillis dans ce domaine auprès de nombreux diplomates étrangers ne laissent malheureusement pas beaucoup de doutes.
La démarche économique essentiellement dilatoire mise en œuvre depuis bientôt 6 mois devrait surtout être rattrapée rapidement par ses conséquences en matière de baisse de la croissance et des investissements ainsi que d’augmentation du chômage particulièrement chez les jeunes.
L’ONS a déjà annoncé très officiellement une réduction sensible de la croissance et de l’investissement dès le 2e trimestre 2019.
L’opération « mains propres » toujours en cours pourrait enfin avoir des effets durables sur le climat des investissements dans notre pays.
Le dernier rapport de la Banque mondiale publié en octobre relève que « des dirigeants d’entreprises de divers secteurs ont été arrêtés dans le cadre d’enquêtes sur des affaires de corruption, ce qui a eu pour effet de perturber l’économie en raison de changements soudains dans la direction et la supervision de ces entreprises, ainsi que de l’incertitude planant sur les investissements ».