De plus en plus de touristes qui se rendent à Bejaia passent leurs nuits à la belle étoile. Un phénomène qui cache difficilement l’érosion du pouvoir d’achat des Algériens et l’absence d’offres touristiques adaptés aux bourses modestes.
Mais qui révèle également le sentiment de sécurité que ressentent ceux qui se rendent dans cette wilaya de la Kabylie, connue pour son charme captivant, ses plages magnifiques et ses sites pittoresques.
Il ne veut chercher ni une chambre d’hôtel, ni une auberge, encore moins une location. Alors, Adel, 23 balais au compteur, décide de passer la nuit à la belle étoile.
Face à la cité du « 8 mai 1945 » en plein cœur de la petite ville côtière de Melbou, à une quarantaine de Km à l’est de Bejaia, ce jeune originaire d’Ain Oulméne (Sétif) aménage un petit coin de fortune, à un jet de pierre du siège de la gendarmerie et du siège de la municipalité.
Quelques cartons, une bouteille d’eau à portée de main, un sac à dos en guise d’oreiller et un drap, voilà qu’il s’étend sur ce qui fait office de lit pour passer la nuit.
Ni les bruits incessants des véhicules qui empruntent la RN 43 traversant le centre-ville, ni le vacarme nocturne des estivants qui déambulent ou discutent attablés sur les terrasses en ces soirées de juillet ne semblent l’incommoder.
« Je n’ai pas les moyens pour louer, donc je dors dehors. Ici, je me sens en sécurité. J’ai juste de quoi manger », dit-il.
Familier de la région qu’il a découvert il y a quelques années, Adel, apprenti mécanicien, a souvent passé ses nuits dehors, quand l’envie le prend de venir faire trempette dans la Méditerranée.
« Je n’ai pas un grand budget, donc je ne peux pas louer, car c’est cher. C’est pourquoi je préfère dormir dehors. Et puis, c’est tranquille, je n’ai jamais eu de soucis », témoigne-t-il.
Seul inconvénient : les premiers rayons de soleil qui le réveillent tôt, ou parfois la police « qui nous invite à trouver des endroits plus commodes au lieu du trottoir », dit-il.
Des estivants qui passent la nuit à la belle étoile : un phénomène tendance
Comme Adel, ils sont des centaines, certains en duo, d’autres en groupe ou en famille, à passer leur nuit à la belle étoile dans de nombreux endroits de la côte Est de Bejaia.
Il suffit de traverser cette côte aux premières lueurs de la matinée pour voir d’innombrables silhouettes enveloppées dans des draps ou des couvertures, parfois à côté de leur voiture, sur les trottoirs, généralement non loin des édifices publics, comme les mairies, les banques ou les sièges de la police, sur le sable des plages, sous certains arbres de la bande boisée qui s’étend de Melbou à Tichy, ou comme à Aokas, sur une aire de stationnement longeant la RN 9, à la sortie ouest du tunnel, une sorte de front de mer.
Le choix des endroits est souvent dicté par des impératifs de sécurité et par commodité, non loin de la grande bleue. Il est rare de trouver des estivants se hasarder à dormir dans des endroits isolés et loin des agglomérations.
Apparue, il y a quelques années, cette tendance séduit de plus en plus de monde. Rassurés par la sécurité, amoureux de la mer et attirés par un séjour à moindres frais, ils viennent de Sétif, de M’Sila, de Khenchela, mais aussi de Batna, de Djelfa, Bordj Bou Arreridj ou encore de Biskra.
« On a cotisé et on a loué un fourgon pour passer le week-end. Nous n’avons pas besoin d’hôtel. Il y a les douches et les sanitaires à côté », dit Ahmed, la trentaine, venu de M’Sila en compagnie d’une dizaine de ses camarades.
Allongés sur des cartons, sur un trottoir au front de mer de Melbou, à proximité du complexe touristique El-Djorf Eddahabi, Ahmed et ses camarades profitent de l’ambiance estivale et de la douceur de la nuit sur cette balade en attendant le lever du jour pour le bain tant attendu en mer.
« C’est calme et c’est agréable. Il n’y a pas d’agression. Le séjour ne nous revient pas cher », assure Ahmed qui se dit fasciné par la beauté des paysages de la région.
« On passera deux jours seulement, mais nous reviendrons la prochaine fois. Nous pensons même ramener les ustensiles pour cuisiner, car tout est cher ici », regrette-t-il.
Cet attrait aux nuits à la belle étoile n’est pas toutefois l’apanage des jeunes ou des familles aux maigres bourses. Certains, d’apparence aisés au regard des marques de leurs voitures, font aussi le choix du plein air. C’est le cas de Salim, venu de Seriana, wilaya de Batna.
« C’est une question de « gosto » (feeling). Je dors dans la voiture. J’ai confiance, il y a la sécurité », explique-t-il.
Garé sous un arbre, près de la plage de Lhota, à 5 km à l’ouest du chef-lieu de Souk El Tenine, Salim dit apprécier l’endroit depuis qu’il l’a découvert il y a une année.
« Des amis m’en avaient parlé et depuis je viens régulièrement, particulièrement les week-ends », ajoute-t-il.
Selon le tenancier d’une gargote édifiée à proximité de cette plage, certains ont les moyens de se payer l’hôtel ou même louer une maison. « Mais, en général, certains, notamment les jeunes, se payent du bon temps dans les cabarets et les bistrots de la région et à des heures tardives de la nuit, ils choisissent un endroit où garer leurs véhicules et passent la nuit ».
D’autres, de cas très rares à l’évidence, souvent habitués des lieux, préfèrent des endroits improbables, comme les falaises à l’est de Melbou, où parfois des bagarres éclatent entre « compagnons » après des nuits arrosées. Récemment, un cadavre a été même retrouvé dans un des escarpements de ces falaises, racontent des habitants.
Un tourisme à repenser
Désormais entrée dans les mœurs de certains estivants, passer une nuit à la belle étoile est devenu une parade pour passer quelques jours au bord de la grande bleue et à peu de frais.
« Certains me font rappeler ma tendre enfance quand j’enviais d’aller à la plage. Je les comprends. Un jour, j’ai dû me lever la nuit pour leur demander de ne pas faire trop de bruit », témoigne Madjid, un habitant de la cité « 8 mai 1945 » de Melbou, commerçant de son état, à propos d’un petit groupe installé à proximité de l’immeuble où il habite.
« Mais c’est toujours bien pour nous, commerçants, qu’il y ait des estivants. Nos affaires marchent un peu, contrairement à l’hiver », dit-il.
Et même si elle ne semble pas susciter la curiosité, cette pratique tendance, perçue comme ordinaire, gagnerait pourtant à être mieux organisée à travers notamment l’aménagement d’espaces pour le camping avec les commodités y afférentes dont l’eau, l’énergie et les sanitaires.
« J’avoue que nous n’avons pas évoqué la question cette année. Mais nous avions pensé un moment à réaliser au moins un dortoir pour des nuitées à prix symbolique, notamment pour les jeunes », admet Mouloud Amirouche, élu à l’APC de Melbou.
Selon lui, ce phénomène des estivants qui passent la nuit à la belle étoile est répandu dans la côte Est de Bejaia seulement. « Vous ne trouverez pas ça à Jijel, sauf des cas rares, ni à la côte Ouest de Bejaia. Certainement parce que les gens se sentent en sécurité ici », explique-t-il.
« Certains n’ont pas où aller. Ils ne peuvent pas louer un appartement à 7 000 Da/jour. C’est cher pour eux. On a interdit les campings tout comme les tentes, que leur reste-t-il comme choix ? », déplore, pour sa part, L. Derguini, élu à l’APC de Souk-El Tenine dont le littoral est le plus prisé par ces estivants compte tenu de ses caractéristiques : dégagé et offrant une vue panoramique sur la mer et les montagnes environnantes, et longé par la RN 43 qui relie Bejaia à Jijel.
« Depuis plusieurs années qu’on nous a parlé de la programmation d’une ZET (Zone d’extension touristique), mais on ne voit rien venir. Donc, faute d’organisation, c’est la débandade ». Mais qu’importe : tant qu’il fera beau, Adel promet de revenir. « J’ai juste à économiser pour le voyage et la bouffe ».