Abdelkader Bensalah est devenu ce mardi 9 avril chef de l’État. Par intérim certes et sans les pouvoirs monarchiques que confère la Constitution au président de la République, mais il occupera tout de même le poste le plus élevé de la hiérarchie de l’État algérien pendant trois mois, dans une période cruciale pour le devenir de la révolution populaire et le futur du pays.
Les décisions qu’il aura à prendre, dans les limites de ses prérogatives, seront déterminantes, notamment celles en lien avec le processus électoral censé acter la naissance de la deuxième République. Cela, s’il n’est pas amené lui aussi à jeter l’éponge sous la pression de la rue qui, avant même son intronisation, a clairement exprimé ce qu’elle pense de lui et des autres personnages hérités de Bouteflika et toujours en poste.
Le poste de chef de l’État, le très effacé président du Sénat ne l’a pas cherché et n’en a sans doute jamais rêvé. Bensalah a effectué une longue carrière politique que, dans le baromètre du système politique algérien, on pourrait qualifier de « brillante ». C’est-à-dire qu’il a gravi les échelons sans jamais faire de vagues, sans exprimer une seule opinion contraire à celles des puissants du moment, sans faire un jour preuve d’indiscipline ou de déloyauté.
Il a survécu à tous les présidents et à leurs politiques pourtant souvent antinomiques. Son secret ? Applaudir tout le monde et ne s’exprimer que dans la langue du bois, qui consiste à parler pour ne rien dire. Il en sera récompensé par une incroyable longévité dans la vie parlementaire.
Son premier mandat de député, il l’a obtenu sous le parti unique, en 1977. Plus de quatre décennies plus tard, il est toujours sénateur. Il a dirigé l’APN pendant cinq ans, le Sénat pendant 17 ans et la commission des affaires étrangères de l’APN pendant dix ans. Dans la période trouble du vide institutionnel des années 1990, c’est aussi lui qui a présidé le Conseil national de transition (CNT), qui a fait office de Parlement entre 1994 et 1997.
Certes l’homme n’a rien demandé, il s’est juste retrouvé au bon endroit au bon moment, mais le hasard n’est peut-être pour rien dans sa propulsion au plus haut sommet de l’État. C’est même le cheminement logique de la politique du régime, ces vingt dernières années, qui consiste à placer les personnages les plus effacés au postes les plus névralgiques. Ceux qui avaient fait de Abdelkader Bensalah le président du Sénat en 2002 et insisté à chaque fois pour le reconduire avaient sans doute à l’esprit l’article 88 de la Constitution, devenu l’article 102 en 2016.
C’est la deuxième fois que l’Algérie indépendante se dote d’un président intérimaire. En 1978, à la mort de Boumediene, l’intérim avait échu, conformément à la constitution de l’époque, à Rabah Bitat, un cacique du système mais surtout un historique de la révolution.
Des personnages d’une telle envergure ne se bousculent hélas pas dans l’entourage de la présidence algérienne de nos jours. Abdelaziz Bouteflika a fait le vide autour de lui et ne nommait que suivant les critères de la fidélité, de la loyauté et de la docilité.
Si pour une raison ou une autre la présidence du Sénat était vacante, l’intérim aurait échu à Tayeb Belaïz, un illustre inconnu avant l’avènement de Bouteflika et qui occupe pour la deuxième fois le poste de président du Conseil constitutionnel, au mépris de la Constitution qui n’autorise qu’un mandat unique pour les membres de cette institution, la plus haute juridiction de l’État.
À l’APN, c’est aussi un personnage sorti de nulle part qui officie au perchoir depuis octobre dernier suite au fameux coup de force du cadenas.
Récemment, un ancien wali, Bachir Frik, a fait une petite révélation qui illustre le mode de désignation des hauts responsables sous Bouteflika : pour justifier son choix comme ministre de l’Intérieur, Abdelmalek Sellal, alors Premier ministre, avait expliqué au président que Noureddine Bedoui était quelqu’un qui « écoute ». Le même Bedoui se retrouve aujourd’hui aux commandes de l’Exécutif, dans une période cruciale pour le pays.
Là encore, le hasard n’y est pour rien. Sous Bouteflika, toutes les institutions ont été réduites à des coquilles vides, mais c’est sans doute la fonction présidentielle qui a été le plus dévalorisée avec tout ce qui a été dit sur son usurpation, les scandales de corruption, les coups de force, les violations de la constitution et surtout ces images dégradantes d’un président impotent qui ont marqué la fin de son règne.
Bouteflika a fini par partir mais sa politique a fait que la présidence se retrouve entre les mains d’un personnage qui n’a rien pour redorer l’image écornée de l’institution. Abdelkader Bensalah risque d’obtempérer à la prochaine sommation de l’armée qui, quoi que l’on dise, n’a pas encore dit son dernier mot dans cette histoire après le discours de Gaid Salah ce mercredi.
Deux présidents qui déguerpissent en quelques jours devant le grondement d’un général, fut-il de corps d’armée, il ne resterait plus rien de l’aura de la fonction et de l’institution censée incarner toute la nation.