Louisa Dris-Ait Hamadouche est politologue. Dans cet entretien, elle commente la désignation d’Abdelkader Bensalah comme président par intérim et la répression de la marche des étudiants ce mardi à Alger.
Un mot sur la désignation de Bensalah comme chef d’Etat intérimaire ?
On est logiquement dans l’application de l’article 102. Il était évident que lorsqu’on commence à appliquer l’article 102, il faut aller jusqu’au bout et la vacance n’est qu’une partie de l’article en question. La suite c’est ce à quoi on a assisté aujourd’hui, c’est-à-dire la désignation du président du Conseil de la nation en tant que chef d’Etat intérimaire.
Maintenant, la question qui se pose bien évidemment est la suivante: est-ce que cette mesure purement constitutionnelle est susceptible de régler un problème exclusivement politique ? Si l’on suit cette démarche, le chef d’Etat intérimaire va devoir organiser des élections dans les 90 jours avec le gouvernement actuel, avec les lois actuelles et avec l’administration actuelle.
Ce statu quo plaide pour une élection présidentielle qui ne pourra pas satisfaire les revendications de la population et de l’opposition, parce que si nous restons dans une mesure purement constitutionnelle ce qui va encadrer la prochaine élection présidentielle qui devra se tenir dans les 90 jours, ce sont autant de mesures qui ont jusqu’à présent confirmé des élections non transparentes.
Les mêmes causes conduisant aux mêmes effets, nous aurons logiquement dans trois mois une élection qui ne pourra objectivement pas être transparente. Le chef de l’Etat intérimaire n’a aucune prérogative pour changer ou réformer quoi que ce soit.
Quelle signification politique au maintien de Bensalah malgré le rejet massif par la population ?
Il est légitime de se poser la question sur l’inadéquation entre l’application de l’article 102 et la non-application des articles 7 et 8. Pourquoi je dis inadéquation ? Parce que les mesures juridiques liées à l’article 102 excluent ipso facto la possibilité pour le peuple de recourir à son droit à une représentation légitime.
Les conditions qui vont arriver sont les mêmes que celles d’avant. Donc, les conditions objectives d’une élection transparente ne sont pas réunies et le chef de l’Etat intérimaire n’a pas les moyens, même s’il le voulait, de les réunir. Ses prérogatives restent extrêmement restreintes.
A cela s’ajoute le fait qu’il est légalement le chef de l’Etat mais il va souffrir de l’absence de légitimité. Sur le plan juridique, il est légal, sur le plan politique il n’a pas de légitimité, il est même au contraire rejeté par l’opposition et par la population.
Les étudiants ont été sévèrement réprimés aujourd’hui, vous y étiez. Que penser de la réaction des forces de l’ordre ?
C’est incompréhensible. Ce qui m’a marqué ça a été l’usage des gaz lacrymogènes et des canons à eau pour disperser les étudiants. Ces derniers refusent non seulement de se disperser, mais ils restent aussi pacifiques. C’est pour cela je dis c’est incompréhensible, parce que depuis des semaines les étudiants manifestent tous les mardis et toutes les manifestations se sont passées de façon pacifique avec un grand civisme, encadrées par les forces de l’ordre. Aujourd’hui, on ne comprend pas ce recours à la violence.
Cela n’augure-t-il pas quelque chose de mauvais à l’avenir ?
Avec la nomination de M. Bensalah comme chef d’Etat intérimaire, le maintien du gouvernement qui est rejeté par l’opposition, la répression dont ont été victimes aujourd’hui les étudiants, ce sont autant de signes qui n’augurent pas d’une politique d’apaisement. D’où des interrogations, puisque le Chef d’état-major a donné sa parole à plusieurs reprises qu’il était garant de la concrétisation des revendications du peuple.