L’Algérie va-t-elle se tourner totalement vers le blé russe, au détriment du blé français ? Une telle décision serait une première en la matière. L’Algérie a déjà importé du blé russe en 2017 et un accord ad hoc devrait être signé si les tests sanitaires en cours sont concluants.
Cette éventualité est rendue possible grâce à l’extraordinaire saut qualitatif réalisé par les agriculteurs russes, ces dernières années. Jusqu’à maintenant, le cahier des charges mis en place par les Algériens favorisait le blé français et excluait de fait les autres pays producteurs.
L’Office algérien interprofessionnel des céréales (OAIC), en charge des importations pour le compte de l’État, importe chaque année près de 60% des besoins en céréales, estimés à environ 8 millions de tonnes. Le blé représente la moitié de ces importations, soit 4 millions de tonnes par an. À titre d’exemple, pour la campagne 2017-2018, l’Algérie a importé de l’Union Européenne 3,2 millions de tonnes de blé tendre, dont près de 98% vient de France. Quant aux importations de blé dur, elles ont atteint 57 622 tonnes durant la campagne 2017-2018, à 100% de France. Pour l’orge, l’UE a exporté vers l’Algérie une quantité de 318 215 tonnes durant la même campagne. La facture des céréales, semoules et farines, représentent 36% des importations alimentaires du pays, et ont déjà coûté plus de 1,8 milliard de dollars durant les sept premiers mois de cette année.
Pression
Dans cette décision algérienne, plusieurs facteurs entrent en jeu. La première et la plus évidente réside dans la volonté de faire des économies dans le sillage de la politique de réduction de la facture des importations. Cela passe nécessairement par la fin du quasi-monopole des céréaliers Français sur les importations algériennes. Faire jouer la concurrence offrira aux Algériens une plus grande marge de manœuvre pour négocier en position de force, d’autant que le blé russe est déjà 20 dollars la tonne moins cher que son concurrent français.
Sans présager de la qualité du blé russe, cette décision, si elle devait se concrétiser, laisse à penser que les autorités ont choisi de rogner sur la qualité du pain, pour maintenir son prix actuel. Une solution de moindre mal, pour ne pas toucher au système des subventions en vigueur dans le secteur.
L’autre explication peut-être politique. On peut supposer que face aux tensions actuelles entre les deux pays, les Algériens cherchent à un envoyer un avertissement aux autorités françaises. Preuve que la menace est prise au sérieux : l’agence Reuters annonce que le secrétaire d’État chargé du commerce extérieur Jean-Baptiste Lemoyne a demandé à l’agence Business France, qui assure la promotion de groupes français sur les marchés mondiaux, de préparer une visite d’exportateurs Français en Algérie au premier trimestre de l’année 2019.
Poubelle
Pour la France, l’enjeu est de taille. S’il mange beaucoup de pain, plus de 48 millions/an, l’Algérien en jette aussi beaucoup. Selon les statistiques de l’Union générale des commerçants et des artisans algériens (UGCA) dévoilées en 2017, plus 120 millions de baguettes de pain finissent dans les poubelles durant ce mois. Pourquoi continuer à offrir du pain de première qualité, s’il termine dans la poubelle ? C’est sûrement une question que les autorités se sont posées à un moment et décidé de trancher la question.
En outre, l’Etat fait face à un autre problème dans le secteur : les minoteries, dont les propriétaires ont rapidement compris les immenses bénéfices qu’ils pouvaient engranger en achetant du blé tendre subventionné chez l’OAIC pour le revendre sur le marché noir. Acheté au prix de 1.285 dinars, le quintal, le blé trouve preneur sur un marché libre où il est utilisé essentiellement comme aliment du bétail pour 2.500 dinars le quintal. Le business est tellement juteux que le nombre de minoteries a explosé et serait désormais supérieur à 500 et la quantité de blé tendre importée par l’Algérie a doublé en passant de 3 millions de tonnes à 6 millions de tonnes en moins d’une décennie.