Près de deux ans après le début du Hirak et une année après l’élection d’un nouveau président de la République, la machine économique algérienne est toujours en panne.
L’Algérie en est encore à compter ses réserves de change en croisant les doigts pour une remontée miraculeuse des prix du pétrole, qui demeure sa principale ressource en devises en dépit des promesses répétées de diversifier l’économie.
Les données actuelles mettent tous les économistes d’accord : si les recettes des hydrocarbures ne s’améliorent pas sensiblement dans les prochains mois, l’Algérie se rapprochera davantage des institutions financières internationales pour s’endetter.
À moins d’une très forte croissance hors hydrocarbures, ce qui, au vu des indicateurs du moment, semble hors d’atteinte, du moins à court terme. Au climat des affaires, jugé unanimement défavorable par les investisseurs nationaux et étrangers du fait d’une instabilité juridique chronique et du manque de transparence dans la prise de décision économique, s’est greffé ces derniers mois les retombées des poursuites judiciaires contre des dizaines d’hommes d’affaires et les conséquences de la crise sanitaire.
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L’arrestation de chefs de grandes entreprises privées n’a pas seulement mis au chômage une partie de leurs employés, mais a sclérosé la décision économique. Beaucoup de hauts fonctionnaires, de managers et de banquiers refusent de prendre le moindre risque induisant le blocage aussi bien de l’investissement que des projets de développement au niveau local.
C’est peut-être cet état d’esprit qui a fait que même les budgets alloués aux « zones d’ombre », érigées pourtant en priorité nationale par le discours officiel, n’ont pas été entièrement consommés, provoquant l’ire du président de la République.
Les plus hautes autorités du pays ont promis d’y remédier en clarifiant mieux les dispositions réglementaires et en dépénalisant l’acte de gestion, mais la décision attend toujours d’être actée par des textes.
Tout comme les autres promesses liées à la réforme de la sphère économique. Dans les faits, on assiste même à des décisions susceptibles de tétaniser davantage les donneurs d’ordre, comme le limogeage surprise du ministre des Transports et du PDG d’Air Algérie pour un achat jugé inopportun d’assiettes et de fourchettes, donc pour une histoire de gestion interne.
La crise sanitaire, qui a plombé l’activité dans quasiment tous les secteurs, a compliqué davantage une situation fortement compromise par un cocktail de facteurs objectifs et de mauvais réflexes.
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Des réflexes à la peau dure
On a longtemps fustigé les « pratiques du passé », dont celle qui faisait que la décision économique n’obéissait pas toujours aux impératifs de la performance et de la croissance. Sous Bouteflika, on a entendu des opérateurs se plaindre de passe-droits et de blocages de projets pour favoriser d’autres.
Certains l’avaient fait avant même la chute de l’ancien président et de son régime.
Cevital, premier groupe privé algérien en termes de chiffre d’affaires, avait remué ciel et terre pour faire aboutir de nombreux projets bloqués inexplicablement, dont celui d’une usine de trituration de graines oléagineuses à Bejaïa qui devait, selon le groupe, créer 1 000 emplois directs et 100 000 autres dans la culture de soja.
En novembre 2019, le gouvernement avait promis aux responsables du groupe de lever toutes les entraves, leur signifiant que la priorité nationale était désormais à la création d’emplois dans une conjoncture économique et sociale difficile.
Plus d’une année après, Issad Rebrab jette un pavé dans la mare en révélant que les équipements destinés à l’usine sont toujours interdits d’entrer en Algérie.
Difficile de s’expliquer une telle attitude maintenant que ceux qui avaient été accusés d’avoir bloqué le projet pour favoriser leurs proches sont censés être loin des commandes, de surcroît dans une conjoncture où la priorité politique est de rompre avec les pratiques du passé et l’urgence économique d’encourager l’investissement créateur de richesse et d’emploi.
La « main invisible » continuerait-elle à agir ? Les autorités sont en tout cas appelées à s’expliquer et à agir s’il se trouve que tout ce qui se passe n’est que l’expression de la persistance de réflexes bureaucratiques à la peau dure. Il y a réellement urgence car, à entendre toutes les voix qui montent, les blocages n’affectent pas que les projets d’un seul opérateur et ne se réduisent pas à la seule sphère économique.
Ils s’étendent jusqu’aux sites internet dont TSA (inaccessible en Algérie depuis juin 2019, après avoir été bloqué une première fois en octobre 2017), censés porter la voix de l’Algérie dans le boucan mondial et régional actuel.