Abdelaziz Bouteflika a démissionné de son poste de président de la République ce mardi 2 avril 2019 peu avant 20 heures. Il aurait suffi que la nouvelle soit annoncée un jour plus tôt pour que les Algériens et le monde entier croient à un gros canular de 1er avril.
C’est que beaucoup avaient désespéré d’assister un jour à la démission de Bouteflika. Dès le début de son règne, on a prêté au désormais ex-président de l’Algérie le rêve de mourir au pouvoir. Au fil des années, le rêve s’est transformé en obsession maladive, puis en ferme résolution que rien, ou presque, ne pouvait ébranler.
La Constitution, la maladie, l’âge, la longévité, la morale, le bon sens, rien n’a pu décider Bouteflika à renoncer à son fantasme insensé. Pas même la sortie dans la rue de millions de citoyens. Il manquait finalement le ras-le-bol de l’armée.
Oui, Bouteflika est parti, après vingt ans aux commandes du pays, sous la sommation des militaires et avant eux, du peuple. C’est la sortie qu’il aura choisie. Ou qu’on a choisi pour lui ? Il se dit que l’homme était depuis plusieurs années dans un état qui ne lui permettait pas de discerner. Plus clairement qu’il n’était même pas au courant de sa candidature, que ses frères et son proche entourage avaient le souci de faire en sorte qu’il garde le pouvoir, qu’ils continueront à exercer en son nom le plus longtemps possible, pour sauvegarder leurs intérêts et ne pas avoir à rendre des comptes de leurs méfaits qu’on dit innombrables.
Il y a sans doute du vrai dans cette accusation de « prise en otage » du président. Il en a même été fait état dans le dernier coup de sommation de l’armée qui a mis fin au psychodrame.
Mais devant le tribunal de l’Histoire, Abdelaziz Bouteflika assumera seul. Il lui sera par exemple rappelé dans quel état il a brigué un quatrième mandat en 2014, à 77 ans et avec les séquelles irréversibles d’un AVC. Il avait lu l’intégralité du texte de la prestation de serment, les Algériens avaient vu qu’il était conscient et qu’il n’avait rien d’un otage. Ses adversaires sont formels : en 1999, il n’était pas venu pour gérer le pays, mais pour gouverner les Algériens auxquels il n’a jamais pardonné de n’avoir rien fait pour l’imposer à la mort de Boumediene vingt ans plus tôt.
Que répondra-t-il quand il sera confronté aux preuves de sa gestion catastrophique ? Les infrastructures réalisées ne pèseront pas lourd face aux 1000 milliards de dollars dépensés. Son bilan ne plaidera pas pour lui non plus. Il avait tout pour mettre fin à la dépendance aux hydrocarbures mais il ne l’a pas fait.
Après de vingt ans aux commandes sans contre-pouvoirs (qu’il a neutralisés l’un après l’autre), il part en laissant un pays sans économie, et surtout sans institutions. Et c’est ce qui empêchera peut-être les Algériens de fêter bruyamment son départ. L’absence d’institutions crédibles ne garantit pas, hélas, une transition apaisée.
Le peuple ne veut pas qu’elle soit gérée par celles héritées de Bouteflika et on le comprend. Le départ de celui-ci n’a jamais été une fin en soi, mais une étape vers la construction d’une véritable démocratie et la réappropriation du rêve de liberté confisqué à l’indépendance.
Ce vendredi, il le réitérera sans doute très fort dans la rue. Aux militaires qui se sont admirablement comportés jusque-là de le comprendre et de se dire qu’il serait inintelligent de briser la communion retrouvée avec le peuple pour ne pas heurter une Constitution du reste triturée et malmenée par ceux qui viennent de quitter le pouvoir jusqu’à en faire une coquille presque vide.
Le peuple veut une instance présidentielle, un gouvernement de consensus et une commission électorale indépendante pour gérer la transition et organiser une élection qui mettra fin au cauchemar. Qu’il en soit ainsi et que le rêve ne soit pas le prisonnier d’une loi, fut-elle fondamentale.
Les Algériens, peuple et armée, ont été réconciliés par Bouteflika, bien malgré lui. Ils ont fait le plus dur et ils n’ont pas le droit de trébucher si près du but. L’Histoire ne le leur pardonnera pas.
|LIRE AUSSI: