Politique

Bouteflika, candidat à la présidence à vie

Voilà, c’est fait. Abdelaziz Bouteflika est officiellement candidat à sa propre succession. Après vingt ans à la tête du pays, il sollicite du peuple « souverain » le droit de rester cinq ans de plus au pouvoir.

En dépit de son âge et de la maladie qui l’empêche de s’adresser directement à ses concitoyens depuis plus de six ans ou de mener sa campagne électorale sur le terrain, le président algérien ne compte pas partir. Non, le 18 avril 2019 ne marquera pas la fin d’un règne qui aura duré deux décennies.

Ce sera le début d’un autre mandat, le cinquième du genre. Et à lire sa lettre-programme rendue publique ce dimanche 10 février, ce ne sera pas forcément le dernier. Bouteflika ne s’est engagé sur rien dans ce sens. Il parle certes d’un « devoir ultime », mais il s’agit à peine d’une insinuation qui ne pourrait en tout état de cause lui être opposable dans cinq ans s’il est encore de ce monde. Un peu comme son « tab djenan’na » d’il y a sept ans.

Ceux qui prêtaient à Abdelaziz Bouteflika une farouche volonté de mourir sur le fauteuil présidentiel ont vu juste. De toute façon, le pouvoir assume publiquement le choix du mandat à vie. Le 1er février, le premier ministre Ahmed Ouyahia donnait l’exemple de la Chine, qui a choisi de supprimer la limitation des mandats pour permettre au président de “régner à vie”.

Le jour même de l’annonce de son vœu de « continuer », il a pris le soin de nommer un fidèle parmi les fidèles au Conseil constitutionnel. Avant, les partis de l’Alliance et tout ce que le pouvoir compte comme organisations satellitaires ont fait le boulot pour préparer l’opinion à accueillir la candidature de Bouteflika comme un énième sacrifice de sa part. Ils se sont égosillés des mois durant à le supplier de ne pas priver de sa « clairvoyance » un pays qui n’a connu sous sa conduite que « paix et prospérité ».

Il en est d’ailleurs fait état dans la lettre-programme. Bouteflika ne s’accroche pas au pouvoir « comme Harpagon à sa cassette » comme le soutenait un politique qu’on n’a depuis plus entendu. S’il sollicite aujourd’hui un cinquième mandat, « c’est en réponse à toutes les sollicitations et dans un esprit de continuité dans l’accomplissement d’un devoir ultime ».

Les formes sont sauves, mais reste l’essentiel. Comment convaincre les électeurs, dont au moins une partie ont vécu le quatrième mandat comme celui de trop, de donner son quitus pour un cinquième ? L’exercice est en effet difficile. Il l’est d’autant plus que les Algériens ont assisté ahuris à l’effritement du mythe de la bonne gouvernance de Bouteflika avec la succession des scandales politico-financiers et l’effondrement des prix du pétrole qui a mis à nu son incapacité à diversifier l’économie.

Le pouvoir, ou ce que la presse se plait à appeler le cercle présidentiel a pensé à une vente concomitante : réformes politiques contre cinquième mandat. Il a juste fallu déterrer et dépoussiérer un texte vieux de huit ans. De la lettre-programme publiée ce dimanche se dégage en effet un sentiment de déjà-vu.

C’est même une copie presque conforme du fameux discours présidentiel prononcé le 15 avril 2011, en pleine tempête des printemps arabes. On y trouve le même rappel du rôle du président dans la paix retrouvée et de ses réalisations, la même référence aux bouleversements sur la scène régionale et enfin la même promesse vague d’engager des réformes politiques. Les engagements de 2011 n’ont pas été tenus et c’est Bouteflika lui-même qui en apporte la preuve en les réitérant aujourd’hui.

Pas sûr que les Algériens se laissent prendre encore. Le mois dernier, l’opposition politique avait déjà renvoyé unanimement les émissaires du pouvoir venus lui vendre une chimérique conférence nationale porteuse de réformes contre un prolongement au mépris de la Constitution du mandat actuel du chef de l’État. La soif de changement est palpable dans toutes les franges de la société et ce cinquième mandat se présente comme celui de trop.

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